La vente et le conseil en phyto seront séparés
Ce n’est pas la première fois que les pouvoirs publics ont l’intention de séparer la vente et le conseil. Mais, cette fois-ci, le gouvernement semble déterminé à aller jusqu’au bout.
C’est une vieille idée dans le monde des phytos qui va se concrétiser. La séparation entre la vente et le conseil entrera en vigueur. Elle est inscrite dans la feuille de route du gouvernement. Et pas question d’y aller de main morte. La dernière version du projet de loi prévoit à son article 8 «une séparation capitalistique des structures exerçant ces activités» de conseil et de vente de produits phytos.
Le coup est rude pour les coopératives et négoces. Auditionné le 23 janvier, à l’Assemblée nationale, par la mission d’information commune sur l’utilisation des phytos, le vice-président de Coop de France Christian Pèes a tenté l’esquive. «Un conseil général sur l’exploitation agricole» assuré tous les ans «qui ne dépendrait pas des coopératives ou des négoces, cela ne me gêne pas», a-t-il déclaré.
Garder le conseil ou la vente ?
Mais le plan d’actions, dévoilé le 19 janvier par les ministères de l’Agriculture, de la Transition écologique, de la Santé et de l’Enseignement et la recherche, va plus loin. Désormais en phase de concertation, certains veulent l’assouplir. Eric Thirouin, président de la commission environnement de la FNSEA, s’inquiète de savoir comment financer le coût supplémentaire d’une séparation capitalistique pour le seul conseil annuel individualisé. C’est pourtant un autre scénario qui se prépare. Il est question de séparer complètement toutes les activités de vente de phytos et de conseil.
Une «fausse bonne idée», estime Coop de France. Les coopératives veulent garder leur «capacité à conseiller au plus près l’agriculteur dans sa pratique quotidienne : on l’aide à produire pour un marché», a souligné Christian Pèes devant la mission phytos. Interrogé sur la meilleure façon de séparer vente et conseil, il a répondu qu’au sein des entreprises, «une séparation du corps des conseillers, des vendeurs, cela ne me choque pas non plus», insistant toutefois pour que les coopératives «gardent une vision globale de l’exploitation».
Coop de France se positionne prioritairement sur le conseil plutôt que sur la vente de phytos. Mais nombre de coopératives françaises pourraient faire le choix inverse. Reste à savoir comment ces nouveaux distributeurs vont assurer la logistique, considérable, pour acheminer des produits, fragiles, partout en France. Et l’agriculteur n’aura plus forcément la possibilité de retourner les produits non utilisés (du fait d’absence de maladie), comme c’est le cas aujourd’hui.
Un bouleversement du secteur
«Pour nous, le conseilleur doit être le payeur, et c’est le cas des conseillers de coopératives qui sont en prise directe avec l’économie du fait de l’achat des produits agricoles issus des exploitations agricoles, voire leur transformation», explique-t-il. Les agriculteurs ont créé des coopératives pour «être performants aux achats», selon Christian Pèes. Or, «si le conseiller est totalement indépendant», avec «des officines dans tous les coins», «chaque groupe de conseillers aura son idée sur la bonne solution» en matière de protection des cultures, dit-il.
Le son de cloche est à l’unisson en écoutant le négoce. Comme chez les coopératives, des efforts sont envisagés pour mettre fin au «procès d’intention» contre les vendeurs de phytos, suspectés de «conflit d’intérêts», explique Damien Mathon, délégué général de la FC2A. «Nous sommes prêts à davantage de transparence : aller plus loin dans la documentation des actes de conseil et de vente, séparer les deux au sein des factures.» Peine perdue, le gouvernement voit encore plus loin.
Les coopératives et négoces vont donc se trouver face à l’épineux choix de conserver la vente ou le conseil. «C’est un bouleversement complet de l’activité», redoute Damien Mathon, parlant de nombreux «dégâts en termes économique et social dans les entreprises». Des arguments qui ne font pas le poids aux yeux du ministère de l’Agriculture : «C’est leur problème», lâche-t-on au cabinet de Stéphane Travert. Autre question, celle de la mobilisation de nouveaux conseillers. «Comment arriver du jour au lendemain à 5 000 ou 10 000 conseillers indépendants ?», s’interroge Damien Mathon.
Les vertus du conseil indépendant
Du côté des conseillers privés, la réaction est tout autre. Hervé Tertrais, président du Pôle de conseil indépendant en agriculture (PCIA), assure que la France peut et doit aller vers une indépendance totale du conseil, des conseillers. Selon lui, les conseillers adhérents du PCIA sont les seuls à être véritablement indépendants (pour l’instant, il y aurait environ 200 conseillers indépendants en France), car «ceux des coopératives et du négoce sont impliqués à la fois dans la vente et le conseil. Quant à ceux des chambres d’agriculture ou des instituts techniques, ils sont dans un contexte syndicalo-politico-administratif, de sorte qu’ils ne sont pas complètement indépendants», explique-t-il.
Florent Thiebaut, ingénieur conseil du Ceta de Romilly, est lui aussi très favorable au conseil indépendant et à la séparation du conseil et de la vente. Il y voit une vertu, «celle de pouvoir faire prendre conscience à tous les agriculteurs du coût réel du conseil car, aujourd’hui, les agriculteurs n’y sont pas du tout sensibilisés». Chez les coopératives et le négoce, le coût du conseil est intégré dans le prix des produits phytosanitaires. Pour lui, «cela va enfin permettre de faire décoller le conseil sous forme d’outils d’aide à la décision (OAD) car, là encore, pour l’instant, ce type de service est souvent inclus dans le prix des produits phytosanitaires».