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L’agriculture régénératrice, un concept tout-terrain

Dans le sillage de Danone, des industriels comme McCain, Nestlé, ou encore le fabricant de vêtements
Patagonia, ont annoncé, ces derniers mois, leur engagement dans l’agriculture régénératrice. 

Plusieurs définitions de l’agriculture de régénération coexistent. Elle est le plus souvent recentrée sur des pratiques d’«amélioration du sol» en s’approchant du concept d’agriculture de conservation.
Plusieurs définitions de l’agriculture de régénération coexistent. Elle est le plus souvent recentrée sur des pratiques d’«amélioration du sol» en s’approchant du concept d’agriculture de conservation.
© D. R.

Fondé aux États-Unis dans les années 1980, ce concept visait initialement à renforcer plusieurs aspects du cahier des charges de l’agriculture biologique (préservation des sols, bien-être animal, durabilité sociale). Il essaimera finalement aussi en agriculture conventionnelle, et sera le plus souvent recentré sur des pratiques d’«amélioration du sol» en s’approchant du concept d’agriculture de conservation. Plusieurs définitions coexistent désormais à travers le monde, rattachées ou non à l’agriculture biologique. En France, ses promoteurs vantent justement la souplesse de l’agriculture régénérative, dont l’application peut même différer d’une filière à l’autre. Un flou qui suscite la méfiance des producteurs bio de la Fnab, plus proches de l’esprit des fondateurs américains. «Il y a encore trois ans, personne ne parlait d’agriculture régénératrice en France», se souvient Anne Trombini, directrice de l’association Pour une agriculture du vivant (PADV), qui accompagne les entreprises dans cette démarche. Selon elle, c’est Emmanuel Faber, alors PDG de Danone, qui l’a introduit dans le landerneau, en prononçant le mot pour la première fois au Salon de l’agriculture en 2018, sans en définir les détails.

 

Les industriels s’y mettent

Depuis, de nombreux autres grands industriels ont annoncé, à leur tour, leur engagement dans l’agriculture régénératrice : pour du blé dans les croquettes Friskies de Purina (Nestlé), de l’avoine dans les céréales Quaker (Pepsico), du coton bio pour les tee-shirts Patagonia, des pommes de terre chez McCain, ou encore du sucre de betterave dans les yaourts La laitière (Nestlé). Des distributeurs comme Système U et Lidl se sont également lancés dans cette voie, et jusqu’à l’école Hectar, fondée par Xavier Niel et Audrey Bourolleau, qui en a fait l’un de ses axes de formation.

À l’exception de quelques coopératives comme Noriap ou Vivescia, l’agriculture de régénération reste pour l’heure moins populaire dans le monde agricole. «Le concept plaît beaucoup à l’aval, parce qu’il leur permet de prendre la main sur les agriculteurs», grince François Mandin, président de l’Apad (association promouvant l’agriculture de conservation). Comme il le rappelle, l’agriculture régénératrice se repose souvent sur l’agriculture de conservation des sols. Un système de production sur lequel quelques producteurs passionnés travaillent depuis plus de vingt ans en France, et qui avait jusque-là peu retenu l’attention du secteur agroalimentaire.

 

Au-delà du bio

Dans une étude parue récemment dans la revue Outlook on agriculture, des chercheurs de l’université de Wageningen expliquent que le concept d’agriculture régénératrice est né dans les années 1970, avant d’être formalisé au début des années 1980 par Robert Rodale, journaliste et expérimentateur américain à l’origine de plusieurs ouvrages. Pour lui, l’agriculture de régénération «était au-delà de l’agriculture biologique», grâce à des engagements supplémentaires en matière de régénération des sols, de bien-être animal et de durabilité sociale. Autant de critères qui figurent aujourd’hui dans la certification en agriculture régénérative biologique proposée par le Rodale Institute aux États-Unis. Alors que le concept connaît une popularité renouvelée depuis une dizaine d’années, la même étude observe qu’une majorité des nouvelles définitions de l’agriculture régénérative «se concentrent sur la notion d’amélioration du sol», en accordant un rôle central à l’agriculture de conservation. Selon les auteurs, les publications sur l’agriculture régénératrice mentionnent cependant également de nombreuses autres pratiques, de l’agroforesterie au biochar (amendement au charbon bio), en passant par la permaculture, le pâturage tournant ou encore le sylvo-pastoralisme.

«Dans la plupart de la littérature concernant l’agriculture régénérative, et de manière surprenante, très peu d’attention est portée aux méthodes alternatives de contrôle des ravageurs et de maladies, ce qui sera pourtant l’un des plus grands défis qui attendent les agriculteurs», regrettent les auteurs. Pour eux, le flou actuel autour des pratiques agronomiques de l’agriculture de régénération «est plutôt susceptible d’embrouiller le débat public, plutôt que de l’éclairer».

 

À chacun sa régénération

Les entreprises françaises qui se sont engagées dans la voie de l’agriculture de régénération illustrent bien la variété des pratiques et définitions actuelles du concept. La plupart d’entre elles revendiquent ainsi des liens avec deux ONG, Earthworm et Pour une agriculture du vivant, qui mettent à leur disposition des outils d’évaluation ou des conseils personnalisés, en évitant d’imposer des itinéraires techniques précis. Plébiscitée par McCain, Lidl, ou Nestlé, Earthworm a ainsi créé le programme Sol vivant, qui propose des outils simplifiés de diagnostic de santé des sols et de performance économique. Comptant Soufflet, Système U ou Danone parmi ses membres, Pour une agriculture du vivant a lancé de son côté en mai dernier un indice de régénération (voir notre encadré), prenant en compte les pratiques agronomiques, mais également les pesticides, les utilisations d’engrais ou encore la biodiversité.

Sur le terrain, chaque entreprise peut alors s’approprier le concept. Pour McCain, par exemple, régénération rime avec travail simplifié du sol, mais également avec une réduction de 20 % des épandages d’engrais, des efforts sur la consommation d’eau ou des jachères fleuries. Chez Pepsico également, l’utilisation raisonnée des intrants et de l’eau fait partie des exigences des programmes sur l’avoine ou les pommes de terre. Des objectifs que le fabricant de soda veut atteindre grâce à des logiciels d’aide à la décision : iCrop pour les pommes de terre ou Optimoat pour l’avoine. Tout comme McCain, qui recommande à ses fournisseurs l’utilisation de l’outil Mileos développé par Arvalis.

 

Renouer avec l’agronomie

La nouvelle école Hectar valorise, de son côté, avant tout le sol, en se référant à la définition de Regeneration international. Une association mondiale qui, dans une publication de 2017, considère l’agriculture de régénération comme un ensemble de pratiques «qui renverse le changement climatique en reconstruisant la matière organique des sols et en y restaurant la biodiversité dégradée». «C’est une agriculture qui renoue avec l’agronomie et qui se fédère autour de principes clés : travail minimal du sol, couverture du sol et rotation des cultures», résume Audrey Bourolleau, directrice d’Hectar. Ici aussi, les outils de mesure et d’aide à la décision seront mis en avant, «illustrant parfaitement cette volonté de placer l’agriculteur au cœur d’un écosystème grâce à toutes les connaissances mises à sa disposition», précise l’ancienne conseillère agricole d’Emmanuel Macron.

La Fnab (agriculteurs bio) se méfie précisément de l’ouverture du concept, qui pourrait justifier pour elle l’engouement des grands acteurs de l’aval. Comme l’observe Philippe Camburet, son président, «avec des cahiers des charges très stricts, et des engagements sur la durée, la bio peut faire peur. C’est peut-être un peu plus de souplesse que certains industriels pourraient rechercher avec l’agriculture régénératrice. Nous resterons donc scrupuleux sur leurs engagements, pour lever les doutes entre un affichage pour le consommateur et de réelles ambitions environnementales.» Plus proche de l’esprit original de Robert Rodale, son organisation tient donc plus que jamais à poursuivre son travail sur le développement d’un cahier des charges pour une «Bio +», en offrant des garanties supplémentaires par rapport aux cahiers des charges français et européens. Après le label «Bio. Français. Équitable» lancé dans le cadre d’une collaboration avec Picard en février 2020, l’organisation pourrait d’ailleurs bientôt ajouter de nouvelles briques sur les conditions de travail des salariés ou la biodiversité.

 

Intégrer la régénération aux politiques sans la figer

Ni PADV ni Earthworm ne défendent pour l’heure une définition de l’agriculture de régénération par la réglementation ou un cahier des charges, redoutant de décourager les expérimentations en cours. «Comme les cahiers des charges, une réglementation figerait les choses, mais le vivant évolue sans cesse», estime Anne Trombini. Comme elle le rappelle, l’agriculture régénératrice est d’ailleurs une composante de l’agroécologie, qui possède, elle, déjà un cadre depuis la loi d’avenir agricole de Stéphane Le Foll de 2014.

La préservation d’une marge de manœuvre sur les frontières du concept ne devrait cependant pas, selon ses défenseurs, empêcher de faire de l’agriculture de régénération un objectif politique. Début juillet, le conseil scientifique de Pour une agriculture du vivant a ainsi interpellé le ministère de l’Agriculture à travers une lettre ouverte pour lui demander de faire de son indice de régénération «une voie possible d’accès à l’éco-régime de la prochaine Pac». 

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