Elevage laitier
Eleveurs bovins (5/10). L’autonomie fourragère pour un élevage viable
Épisode 5/10. Ils sont éleveurs bovins par choix, et leur professionnalisme leur permet de vivre de leur métier. Chaque semaine, nous allons à la rencontre de l’un de ces passionnés de la Somme. À Daours, Jean-Louis Bouthors mise sur l’autonomie fourragère pour que son élevage laitier soit de nouveau viable.
Épisode 5/10. Ils sont éleveurs bovins par choix, et leur professionnalisme leur permet de vivre de leur métier. Chaque semaine, nous allons à la rencontre de l’un de ces passionnés de la Somme. À Daours, Jean-Louis Bouthors mise sur l’autonomie fourragère pour que son élevage laitier soit de nouveau viable.
Depuis 2018, 5 ha de luzerne ont été réimplantés dans les terres de Jean-Louis Bouthors, éleveur laitier à Daours, entre Corbie et Amiens. La reine des plantes fourragères, comme elle est surnommée, a permis à l’exploitation de retrouver la rentabilité qu’elle avait perdue. «Je me suis installé en 1997 avec vingt-quatre vaches. La fusion avec une autre exploitation en 2008, en Gaec, a fait monter le troupeau à cinquante vaches. Mais en 2012, mon associé et moi nous sommes séparés. J’ai gardé le troupeau seul, avec les charges qui vont avec», raconte-t-il. Un divorce coûteux, qui a nécessité une réorganisation dans l’urgence.
En 2013 et 2014, l’EBE était négatif. La crise laitière, avec la fin des quotas en 2015, n’a fait qu’enfoncer un peu plus la situation. Mais Jean-Louis Bouthors n’a jamais cessé de croire en l’avenir de sa ferme familiale. «Des coups durs, il y en a toujours eu. Même du temps de mes parents. Il faut savoir rebondir, car une exploitation a de la valeur tant qu’elle tourne.» Ce rebond, ou plutôt ce virage, l’éleveur l’a entamé en 2016. «La Région mettait en place des audits dans les fermes, qu’Anthony Chemin, ingénieur conseil à la chambre d’agriculture, a réalisé pour nous. Il s’agissait de mettre la situation à plat et de trouver des solutions.» Bilan : des vaches productives, à 30 l de lait par jour, mais une marge sous les 200 €/1 000 l. «Ça ne pouvait pas continuer. Il fallait absolument réduire les charges.»
«Des coups durs, il y en a toujours eu. Il faut savoir rebondir, car une exploitation a de la valeur tant qu’elle tourne.»
Le poste de l’alimentation, notamment, était très coûteux. «J’avais un système très simple, basé sur l’ensilage de maïs. Or, mes terres blanches ne permettent pas d’obtenir 35 % de matière sèche à tous les coups.» Les 5 ha de luzerne réimplantés en 2018 sont désormais récoltés en vert, du 15 avril au 15 octobre. 20 kg par vache environ sont distribués chaque jour en période estivale. «Je récolte aussi mon Rumiluz maison pour l’hiver : de la luzerne déshydratée brins longs en balle.» Les vaches se régalent également avec 5 kg de betteraves fourragères, cultivées sur 1,5 ha.
+ 70 €/1 000 l de marge
Cette technique lui a permis d’économiser 18 à 20 tonnes d’aliments par an. «L’hiver, la ration comporte, entre autres, 35 kg de maïs par jour et 3,5 kg de tourteaux de colza et de soja non OGM. Elle ne contient plus que 25 kg de maïs et 1 kg de tourteaux l’été, grâce à la distribution d’affouragement en vert.» Autre avantage de la légumineuse : elle a nettoyé la parcelle sur laquelle elle est implantée, et sera un excellent précédent pour la culture suivante.
Les vaches, elles, produisent moins : environ 25 l de lait par jour, soit 370 000 l produits en un an alors que la référence est de 460 000 l,
mais elles sont plus efficientes. Le troupeau très coloré répond aussi à cette envie de rusticité. «J’ai toujours inséminé en partie avec de la Holstein rouge. Je ne cherche pas des Formules 1, mais plutôt des coureuses de marathon : des vaches qui ne coûtent pas cher car rarement blessées ou malades, qui peuvent donner cinq ou six veaux.» Aujourd’hui, la marge est remontée à 270 €/1 000 l. Ceci est aussi dû à la valorisation de ces «bonnes pratiques», puisque l’éleveur a intégré la démarche «Les laitiers responsables» de sa laiterie, Sodiaal.
Une remise en question nécessaire
Ce résultat a néanmoins nécessité une remise en question des pratiques. Il fallait d’abord investir. Jean-Louis Bouthors a acheté une auto-chargeuse pour 12 000 € et un godet à betteraves coupe-racines pour 3 000 €. «Les concessionnaires ne savent même plus ce qu’est un fourché à betteraves», plaisante-t-il. Il a ensuite fallu s’approprier la technique de récolte. La luzerne est implantée dans une parcelle pour quatre ans avant d’en changer. «Le plus délicat est d’appréhender la date de récolte par rapport à la pousse.» Il y a enfin l’astreinte d’aller chercher le fourrage chaque jour. «Je mets 55 minutes au maximum, alors que la parcelle actuelle est la plus éloignée du bâtiment d’élevage. C’est finalement presque équivalent au temps de distribution du maïs, le temps d’atteler le godet, de charger…»
Ce que l’éleveur souhaiterait améliorer aujourd’hui ? «Indéniablement, c’est le stockage. Comme je ne dispose pas de bâtiment pour mettre les ballots au sec, je perds entre 1 500 et 2 000 € chaque année.» Chaque chose en son temps. Mais petit à petit, l’exploitation sort la tête de l’eau.
25 ha de prairie sont à proximité de l’exploitation de Jean-Louis Bouthors, à Daours, dans le bassin versant de l’Hallue, dernière commune avant la jonction avec la Somme. Un luxe, pour faire pâturer les bêtes, surtout les génisses et les vaches taries. Mais 10 ha sont dans les marais inondables. Fin mars de cette année, jusqu’à 1,30 m d’eau recouvrait les terres. Impossible, donc, d’y sortir le troupeau. «Nous sommes concernés par le PMAZH (Programme de maintien de l’agriculture en zones humides, ndlr). C’est bien beau, mais c’est un sacré boulot au quotidien !» À ses enfants, Jean-Louis raconte qu’il est «tombé dans le chaudron de l’élevage quand il était petit», mais il est désormais «le dernier gaulois du secteur». Ces voisins agriculteurs ont délaissé les bêtes et les prairies au fil des ans. «Il faut dire que c’est un sacré boulot. L’été, c’est encore plus chronophage que l’hiver. Il faut surveiller, apporter de l’eau, entretenir les clôtures…» Des aides financières pour accompagner ces efforts ? «Je n’ai jamais misé dessus. Certaines sont des perfusions qui rendent dépendantes les exploitations.» En 2021, l’éleveur va tout de même entamer les démarches pour bénéficier de Maec (Mesures agro-environnementales et climatiques). L’aide vise à financer les surcoûts et manque à gagner qu’impliquent le maintien ou le changement de pratiques combinant performance économique et performance environnementale.