«Le non travail du sol en bio reste complexe»
Emmanuel Decayeux pratique depuis une trentaine d’années les techniques de l’agriculture de régénération des sols. Sa conversion en bio en 2011 a cependant été un bouleversement. Aujourd’hui, il tâtonne toujours.
Emmanuel Decayeux pratique depuis une trentaine d’années les techniques de l’agriculture de régénération des sols. Sa conversion en bio en 2011 a cependant été un bouleversement. Aujourd’hui, il tâtonne toujours.
L’agriculture de régénération ? «C’est une vielle histoire», opine Emmanuel Decayeux. Voilà une trentaine d’années que l’exploitant d’Hallencourt n’avait pas labouré une seule parcelle. «Je suis passé aux traitements bas volume il y a vingt-cinq ans, à l’allongement des rotations, à la couverture systématique du sol…» Le pionnier s’est vite fait respecter pour ces pratiques innovantes dans son secteur.
Le passage en bio en 2011 l’a néanmoins déstabilisé. «Sans glyphosate, on m’a conseillé de labourer à nouveau. Mais jusqu’ici, j’avais réussi à m’en passer.» Le déchaumage est pratiqué, mais surtout, l’agriculteur a mené un gros travail sur ses couverts. «Il faut trouver celui qui va étouffer les adventices au maximum. Mon sol est vert du 1er janvier au 31 décembre.» Un réel bénéfice pour ses terres calcaires, très séchantes. Le ruissellement est ainsi limité, et les micro-organismes sont boostés.
Seulement, depuis deux ans, la météo ne joue pas en la faveur de ces pratiques. «Il ne gèle plus assez l’hiver pour détruire les couverts. Leur implantation en conditions sèches est compliquée, et les automnes humides sont une vraie galère.» Si bien qu’au printemps 2021, certaines parcelles étaient «à l’état d’une forêt vierge». «L’année dernière, j’ai donc pris la décision d’acheter une charrue avec mon voisin», rougit Emmanuel Decayeux.
Une fois ce cap psychologique franchi, le convaincu des bienfaits du non travail du sol assure assumer son choix. «J’étais dans une réelle impasse. Je ne pouvais plus du tout semer mon blé.» Il pratique ainsi un «labour agronomique», soit un travail du sol pas trop profond, à 15 cm maximum, pour «limiter la casse». Cette charrue lui permettra des pratiques différentes. «Je vais tester l’implantation de trèfle blanc nain en même temps que le blé, qui resterait en place pour la culture suivante, soit presque deux ans. Il sera détruit le printemps suivant grâce au labour.»
«rester humble devant la nature»
Emmanuel Decayeux teste de nouvelles techniques pour améliorer ses pratiques. Il a notamment investi dans une théière à compost, pour fabriquer son propre compost, mariné pendant 24h. «C’est un plus pour nourrir la plante et la flore du sol. Mais ce n’est pas encore une science exacte, car le monde des bactéries est très complexe.» Il fabrique aussi du jus d’adventices à l’aide d’une baratte qu’il utilise en guise d’herbicide. «Le sol reçoit une information qui est censée le conduire à freiner la pousse des mauvaises herbes.» Là encore, les résultats restent aléatoires. «Il faut rester humble devant la nature. On essaie, on échoue, mais on réussi aussi, et c’est ce qui pousse à continuer de chercher.»