Les céréaliers redoutent «une pénurie d’engrais»
Agriculteur dans le Loiret et secrétaire général adjoint de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), Cédric Benoist revient sur les raisons qui peuvent expliquer actuellement l’envolée des prix des engrais azotés.
Agriculteur dans le Loiret et secrétaire général adjoint de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), Cédric Benoist revient sur les raisons qui peuvent expliquer actuellement l’envolée des prix des engrais azotés.
L’AGPB est très remontée contre le prix des solutions azotées ? Pourquoi ?
Depuis quatre ans, nous portons le fer auprès de la Commission européenne pour qu’elle abroge les taxes antidumping sur l’azote et, notamment, sur les solutions azotées. En effet, certains pays notamment du Nord et de l’Est de l’Europe (Lituanie, Pologne) veulent protéger leurs industries qui sont peu compétitives. Ces pays ont convaincu l’Union européenne d’imposer des surtaxes à l’importation, ou plutôt ce qu’on appelle dans le jargon fiscal, des droits additionnels car ils s’ajoutent aux droits de douane ordinaires de 6,5 %. Ces taxes frappent les importations de solutions azotées originaires de Trinité-et-Tobago, des États-Unis et aussi de Russie, avec des surtaxes variant de 22 € à presque 43 €/t.
En somme, vous souhaitez libéraliser le marché…
Ce n’est pas une question de libéraliser le marché mais une question de justice et d’équilibre économique. Ces droits additionnels ont des effets pervers sur les exploitations agricoles françaises et européennes. Ils engendrent un surcoût pour les agriculteurs européens qui produisent ainsi plus cher leurs céréales, oléagineux, betteraves et autres cultures. Ces dernières qui n’ont plus de protection douanière sont, par conséquent, moins compétitives sur un marché ouvert, mondial où la concurrence est frontale. Le prix de l’azote dans les charges variables est très important sur les cultures. Nous demandons simplement à ce que les prix des solutions azotées soient alignés, en Europe, sur le prix hors-Europe, afin que nous puissions être dans un schéma de concurrence loyale.
Avez-vous porté ce sujet au Copa-Cogeca ?
Bien entendu. Une demande de suspension signée par Copa-Cogeca pour la Commission européenne a été déposée depuis le mois d’avril. Il y a d’autant plus urgence sur ce dossier que le prix du gaz est en train de flamber. Selon la Commission de régulation de l’énergie, ce prix a augmenté de presque 60 % depuis le début de l’année, rien qu’en France. Les tarifs du gaz sur les marchés internationaux ont quadruplé depuis avril. Or, le gaz est indispensable pour la production d’engrais azoté. En bout de chaîne, le prix de la tonne de solution azotée est passée de 170 € en 2020 à presque 450 € aujourd’hui, et la taxe antidumping aggrave les choses. Un autre risque est la mise en place de la mesure d’ajustement carbone aux frontières qui pourrait renchérir encore plus le coût des engrais azotés dans l’avenir.
Craignez-vous une pénurie d’engrais ?
C’est un scénario fort probable que nous redoutons. Avec la fin de la crise du Covid et l’amorce d’une reprise économique, la demande chinoise est très forte. Tant et si bien que depuis le début de la morte saison, nous ne sommes qu’à 10-15 % de livraisons de solutions azotées quand celles-ci atteignent, normalement à cette date 60-70 %. En termes de disponibilité, il risque d’y avoir des tensions au cours du printemps 2022. À titre d’exemple, le Norvégien Yara, numéro deux mondial de la production d’ammoniac, a décidé de réduire de 40 % sa production (lire ci-dessous). Une solution consisterait à s’approvisionner en Biélorussie, mais par peur des représailles des Américains, aucun importateur européen n’envisage de le faire. Ce dossier est d’autant plus majeur qu’il renvoie non seulement au revenu des agriculteurs et à la compétitivité de nos exploitations et de nos entreprises agroalimentaires, mais aussi à la souveraineté alimentaire de notre pays.