Les défis et les opportunités de la production laitière
Ozé organisait le 31 janvier sa première journée ambition, «Manager mon entreprise de production laitière à l’horizon 2018», à Amiens. Ou la nécessité de se professionnaliser face à un monde de plus en plus complexe.
Ok, cela tangue fort dans la filière laitière. Entre l’arrêt des quotas, le yo-yo incessant des cours du lait, comme des matières premières, la concentration des élevages, la crise laitière qui sévit depuis deux ans, il y a de quoi avoir le tournis, ne plus reconnaître ses petits et être tenté de jeter l’éponge. D’autant qu’à ce tournis succède aussitôt un bombardement de questions. Faut-il s’accrocher ? Est-il vraiment raisonnable de travailler sans productivité ? Quels sont les leviers pour trouver de la valeur ajoutée ? Quelle est la bonne gestion de la main-d’œuvre salariée ? Etc. Même si les réponses sont multiples, il n’y a que deux options : «soit j’arrête, soit je change littéralement de paradigme et passe d’un modèle d’élevage laitier à un modèle d’entreprise de production laitière», précise David Saelens, président de Novial, en introduction de la journée.
Katrine Lecornu, éleveuse de vaches laitières dans le Calvados et présidente du réseau European Dairy Farmer, n’a pas hésité. Son choix ? Il est dans un extrait du film
«Les bronzés font du ski». Et l’éleveuse de rappeler la réplique. «Ecoute Bernard..., j’crois que toi et moi, on a un peu le même problème ; c’est qu’on peut pas vraiment tout miser sur notre physique, surtout toi. Alors, si je peux me permettre de te donner un conseil, c’est oublies qu’t’as aucune chance, vas-y, fonce ! On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher...» Vous l’avez compris, elle, a décidé de relever le défi. Parce que, sans cinéma aucun, la réalité présente des opportunités pour aujourd’hui, comme pour demain.
«On a tout pour être heureux en France»
Quittant les écrans du cinéma pour un petit tour d’Europe, esprit Erasmus et manière de prendre de la hauteur, qu’avons-nous que nos voisins n’ont pas ? Les Italiens nous envient le prix du foncier (une moyenne de 800 €/ha chez eux, 700 €/ha aux Pays-Bas, 180 €/ha chez nous). L’Allemagne rêve, elle, du développement raisonnée du biogaz que nous avons. Au Danemark, c’est le banquier qui gère la ferme. En Suède, les coûts de production comparativement aux nôtres sont très élevés. L’Irlande aimerait bien faire du maïs ensilage, comme chez nous, car elle est trop dépendante de la production d’herbe. Les Espagnols nous envient nos transformateurs, qu’ils considèrent comme les meilleurs au monde…
«Globalement, résume Katrine Lecornu, nos voisins nous disent que nous avons tout en France pour être heureux et réussir, mais que nous nous plaignons tout le temps.» Mais, nature humain oblige, l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Une fois cela dit, les challenges à relever sont pourtant les mêmes dans tous ces pays : indisponibilité du foncier, régulations environnementales incontournables, marché de travail incertain, attractivité du métier, volatilité des cours, attentes fortes de la société, gestion de notre image et besoin de nouvelles compétences. Comment donc s’adapter à toutes ces contraintes et changer de mental ?
Les clés pour réussir
«Outre le fait de trouver une production en cohérence avec le lieu où l’on vit et avoir un vrai projet d’entreprise, trois facteurs clés de réussite sont à notre portée : la gestion du troupeau, la stratégie de l’entreprise et la gestion du risque. Autrement dit, il faut désormais passer plus de temps au bureau que dans la salle de traite», énumère-t-elle.
Reste qu’on ne s’improvise pas chef d’entreprise du jour au lendemain. «L’esprit d’entreprise, ce n’est pas dans nos gènes. Il faut se former», indique Katrine Lecornu. Les nouvelles compétences que cela requiert s’apprennent. Et l’éleveuse de tacler, au passage, les formations proposées par les chambres d’agriculture, multiples dans les acquisitions techniques et quasi inexistantes dans le développement personnel.
Or, rien de plus indispensable face à un système où les éleveurs n’ont plus de repères depuis la fin des quotas, qui a entraîné une volatilité des prix, inconnue jusqu’alors. Quels choix s’imposent alors pour gérer cette volatilité ? Faire, bien sûr des réserves, mais aussi fixer la contractualisation des prix. Reste à fixer cependant à quel coût et à quel risque. Autre carte à jouer : le système assurantiel. «Mais il faut connaître, pour cela, notre prix d’équilibre», prévient-elle.
Parmi les cartes maîtresses, il y a également l’opinion publique. «En France, on a de la chance. Quand on fait des manifestations, les consommateurs comprennent notre ras-le-bol, mais force est de constater que ce mode d’action, à long terme, n’est pas un bon moyen de communiquer. On aura plus de choses à gagner en faisant de la communication positive. Et pourquoi pas vendre de la communication avec le lait ?», interroge-t-elle. Une communication qui peut se traduire en monnaie sonnante et trébuchante, d’autant que la marque France est plébiscitée dans le monde.
Alors, certes, si l’avenir est plutôt flou, ce n’est pas en restant l’œil rivé dans le rétroviseur qu’on le bâtira. «Nous sommes capables de changer nos modes de production et de faire mieux demain. Et l’innovation, ce n’est pas le drone, les systèmes embarqués, le numérique… L’innovation passe d’abord et avant tout dans notre tête. Il ne faut pas avoir peur de rêver», conclut-elle. Et de rêver à voix haute d’une filière capable d’être unie de l’amont à l’aval, et syndicalement, pour être capable de proposer un projet de filière au gouvernement français qui, quoi qu’on en dise, se préoccupe bien plus de ses agriculteurs que ne le fait le britannique…
Elle a dit
«Le prix du lait, c’est le prix du marché. Ce n’est pas un prix politique. En France, on croit encore qu’en manifestant, on pourra avoir un prix politique. On ne peut pas y revenir. Ce qui fera la différence, c’est celui qui vendra le mieux son lait. Cela concerne les producteurs, comme les coopératives et les organismes de producteurs. Il faut savoir se vendre et s’adapter à la demande. Pour cela, il faut être prêt à changer face à la demande finale, soit face au consommateur final, et pas seulement face au transformateur». Katrine Lecornu