Les distributeurs dans le viseur du gouvernement
Trois ans après son adoption, la loi Egalim n’a pas encore mis fin au psychodrame des négociations commerciales annuelles. Cette année encore, les ministres haussent le ton et promettent contrôles et sanctions aux distributeurs.
Trois ans après son adoption, la loi Egalim n’a pas encore mis fin au psychodrame des négociations commerciales annuelles. Cette année encore, les ministres haussent le ton et promettent contrôles et sanctions aux distributeurs.
«Les ministres constatent que l’appel à la responsabilité réitéré lors d’échanges bilatéraux mais également lors des comités de suivi des relations commerciales a ses limites», ont concédé Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’Industrie et Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture 29 janvier faisant suite au comité de suivi des négociations commerciales. La veille, lors d’un décryptage réalisé pour la presse, leurs cabinets ont fait état de leur inquiétude face à une trop faible prise en compte des hausses des matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur. «Nous sommes assez inquiets des effets de l’augmentation des coûts dans certaines productions comme le lait, la viande ou les œufs, du fait de l’augmentation des matières premières ou de la sécheresse», rapporte ainsi le cabinet de Julien Denormandie.
À un mois de la fin des négociations commerciales, le ministère observe «des difficultés chez certaines enseignes – pas toutes – à prendre en compte la très forte envolée des cours». Lors de ce point presse, le cabinet a notamment rappelé «l’attachement» du ministère de l’Agriculture au respect du principe de «construction des prix en marche avant», soutenu par la loi Egalim (intégration des coûts de production, initiative de proposition du prix au producteur...).
Contrôler, sanctionner
Alors, lors du comité de suivi des négociations commerciales, les ministres ont haussé le ton contre «certains comportements [qui] rompent en effet le consensus qui avait émergé des États généraux de l’alimentation et se heurtent aux principes de la loi tel que celui de la construction en avant du prix». Une intensification des contrôles de la DGCCRF est ainsi annoncée. Outre ces nombreux contrôles, la DGCCRF examinera «attentivement le respect des règles de formation des conventions annuelles», prévient-elle. Et pour accentuer encore un peu la pression, la ministre de l’Industrie a également annoncé le «lancement prochain d’une procédure visant à sanctionner une centrale internationale à la suite d’enquêtes de la DGCCRF».
Les deux ministres en charge des négociations commerciales ont annoncé également l’ouverture d’une adresse email (signalement@agriculture.gouv.fr) qui permettra de signaler des «prix constatés en magasin qui paraissent trop bas par rapport aux coûts de production ainsi que des problèmes d’étiquetage». Enfin, l’hypothèse d’un recours au «name and shame» n’est pas écartée si la situation ne s’améliorait pas, assure le cabinet de Julien Denormandie.
Trois pistes sur la table pour apaiser les relations
Tout d’abord, le recours à la médiation, qui fait consensus tant du côté des industriels que des distributeurs, est un outil que le gouvernement compte bien promouvoir. Aussi, la ministre déléguée chargée de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher, et Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, ont annoncé le 29 janvier vouloir «renforcer la médiation en mutualisant un certain nombre de moyens entre le médiateur des relations commerciales agricoles et le médiateur des entreprises s’agissant des relations avec la distribution alimentaire».
Seconde piste, la contractualisation pluriannuelle ; elle fait partie des possibilités évoquées en décembre dernier par Serge Papin, ancien patron de système U à qui le ministre de l’Agriculture a confié une mission sur la répartition de la valeur dans les filières agroalimentaires. La commission d’examen des pratiques commerciales (CE- PEC) travaillera d’ailleurs, dès mars prochain, sur les voies et moyens du passage de négociations annuelles à des discussions pluriannuelles.
Troisième piste, également soumise par Serge Papin : la mise en œuvre d’«un nouvel outil de transparence qui permettrait de connaître le prix réellement payé pour la matière première agricole à tous les étages» de la filière alimentaire et ainsi objectiver l’impact des tarifs pratiqués sur la «cour de ferme». Des travaux sont en cours sur les produits laitiers dont la filière servira de pilote avant une possible mise en place généralisée. Les avis concernant cet outil de transparence sont plus partagés. Les professionnels se disent favorables «sur le principe» ou «sur le fond», mais ne s’accordent pas sur les modalités de mise en œuvre.
Les distributeurs pointent l’absence d’indicateurs
Des indicateurs pas toujours pertinents
Du côté des industriels, on convient que toutes conditions générales de vente (CGV) envoyées aux distributeurs pour amorcer les négociations ne font pas référence à des indicateurs. «À l’Ilec, nous estimons que 60 % de nos adhérents ont fourni des indicateurs de coûts, avec des niveaux de précision variable», concède Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec (grandes marques). «L’immense majorité des produits alimentaires sont transformés, développe Catherine Chapalain, directrice générale de l’Ania (industries agroalimentaires). Il n’y a pas forcément d’indicateurs pour ces produits, ou alors ils ne sont pas pertinents face à la grande hétérogénéité des entreprises.»
Au delà de la complexité des recettes des produits alimentaires, les industriels mettent en avant l’absence d’indicateurs interprofessionnels dans certaines filières. «Pour les produits laitiers ou à base de viande, les interprofessions ont travaillé sur des indicateurs. Et dans ces secteurs, les contrats font bien référence aux indicateurs interprofessionnels», assure Catherine Chapalain.
Par contre, «certaines interprofessions ne sont pas avancées sur le sujet. Il y a un manque de structuration de certaines filières», soutient pour sa part Richard Panquiault. «Prendre l’absence d’indicateurs pour justifier une non-hausse des tarifs c’est fallacieux», lâche-t-il assurant que les discussions bilatérales entre les deux parties servent aussi à expliquer et objectiver les demandes de hausses.