Les engrais azotés, un bilan négatif pour le climat
Une nouvelle réduction des apports d’engrais azotés permettrait une baisse significative des émissions de gaz à effets de serre du secteur agricole, confirme le spécialiste Sylvain Pellerin (chercheur à l’Inra), alors qu’une taxe de ces produits est à l’étude dans le cadre du projet de loi Climat. Le CO2 que les engrais azotés permettent aux plantes de stocker est largement inférieur au cumul des fuites de N20 en champs et du CO2 dégagé par les usines lors de leur fabrication.
Une nouvelle réduction des apports d’engrais azotés permettrait une baisse significative des émissions de gaz à effets de serre du secteur agricole, confirme le spécialiste Sylvain Pellerin (chercheur à l’Inra), alors qu’une taxe de ces produits est à l’étude dans le cadre du projet de loi Climat. Le CO2 que les engrais azotés permettent aux plantes de stocker est largement inférieur au cumul des fuites de N20 en champs et du CO2 dégagé par les usines lors de leur fabrication.
Pour certains opposants à la redevance sur les engrais, dont le projet de loi climat pourrait accoucher, la mesure serait contre-productive. Comme le rappellent ces détracteurs, qui furent nombreux à interpeller notre journal sur Twitter, ces derniers jours, l’apport d’engrais entraîne une hausse de la teneur en carbone dans le sol. Mettre en place cette taxe, concluent-ils, pourrait donc conduire à dimi- nuer le stockage dans les sols. Ce n’est pas si simple. L’étude 4p1000, publiée par les chercheurs de l’Inrae en 2019, a même montré l’inverse. Du point de vue climatique, «les effets négatifs des engrais azotés de synthèse l’emportent sur le stockage additionnel», résume Sylvain Pellerin, chercheur de l’Inrae au sein du département AgroEcoSystem, et copilote de l’étude aux côtés de Laure Bamière.
Le N2O prédomine
Pour évaluer précisément les coûts et bénéfices du stockage permis par les engrais, l’étude 4p1000 s’était même penchée sur un cas concret. «Nous avons effectué des simulations sur des prairies peu fertilisées, car c’est là où la réponse de stockage peut être la meilleure», souligne Sylvain Pellerin. Une fertilisation de 50 kg d’azote par hectare permet bien dans ce cas d’augmenter le stockage de carbone à hauteur de 646 kg CO2e par hectare et par an. Cependant, la hausse des émissions de protoxyde d’azote (N20) correspondante (557 kg CO2e/ha/an) et la fabrication des engrais nécessaires (225 kg CO2e/ha/an), rendent le bilan total défavorable, estimé à 145 kg de CO2e/an. Les auteurs de l’étude 4p1000 avaient en conséquence rejeté l’augmentation des apports d’engrais comme levier pour augmenter le captage de carbone dans les sols.
«Lorsqu’on baisse la quantité d’azote, on a un peu moins de retour au sol, et donc de stockage. Mais ce n’est pas grand-chose par rapport à ce qu’on peut gagner en réduction de N20», tranche Sylvain Pellerin. Selon les dernières recommandations du Giec en termes de rapportage des émissions, le pouvoir réchauffant de ce gaz à effet de serre serait
265 fois plus élevé que celui du CO2. Les variations à la hausse comme à la baisse de N2O prennent donc facilement de l’importance dans les bilans.
Des efforts variables
Avec une quantité d’engrais réduite, une meilleure gestion de la fertilisation pourrait même, selon les chercheurs, permettre de maintenir les rendements. Comme l’ont montré Sylvain Pellerin et ses collègues dès 2013 dans une autre étude, les producteurs de blé peuvent ainsi réduire leurs apports d’azote de 25 % sans perte de rendement, en adoptant des objectifs de production plus réalistes dans leur pilotage, en prenant mieux en compte le potentiel de la fertilisation organique, et en enfouissant les apports.
Dans un communiqué du 23 mars, la FNSEA, malgré son opposition à la taxe, souligne elle aussi que baisse des épandages et maintien des rendements sont compatibles. «Les livraisons en azote ont diminué de 20 % depuis 1990 alors que les rendements en céréales ont augmenté de 30 % dans le même temps», rappelle le syndicat majoritaire. Le développement de la méthode des bilans, des outils d’aide à la décision, et la sélection variétale seraient pour la FNSEA les principaux facteurs de cette double réussite.
Les chiffres du Citepa, centre d’experts chargés des inventaires nationaux, confirment l’effort. Sur les trente dernières années, les émissions de N20 liées aux engrais minéraux auraient diminué d’environ 15 %. Mais cette dynamique n’aurait pas été uniforme dans le temps. Après une baisse marquée de 16 % entre 1990 et 2010, les émissions de N20 issues des engrais minéraux se sont stabilisées, et ont même augmenté de 2 % entre 2010 et 2019. «Beaucoup d’économistes le remarquent : lorsque les cours des céréales sont élevés, les utilisations d’engrais tendent à augmenter», observe Sylvain Pellerin.
Faire en dix ans les efforts des trente passés
Au-delà du projet de loi en cours d’examen, le gouvernement a d’ores et déjà fixé un calendrier d’efforts au secteur agricole. Pour le seul protoxyde d’azote, les budgets carbone de la Stratégie nationale Bas-carbone (SNBC), révisés en 2020, prévoient que le secteur agricole devra atteindre 30 Mt de CO2-équivalent d’émissions en 2030, contre 35,6 Mt émis en 2018, et 40 Mt en 1990. En clair: le secteur agricole devra renouveler sur la prochaine décennie les efforts réalisés durant les trente années passées. Pour cela, la gestion raisonnée seule ne suffira pas selon Sylvain Pellerin. «Il n’y a pas d’autre choix que de réduire les quantités. Mais nous avons encore une grande marge de progrès, car il y a encore une tendance à surfertiliser», explique le chercheur. Une analyse que ne partage pour l’instant pas le syndicalisme majoritaire.