Loi agriculture et alimentation : interview exclusive de Stéphane Travert
Le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable a été voté en première lecture, le 30 mai, à l’Assemblée nationale. Le point avec Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture.
Quelles sont les mesures phares que l’on doit retenir de ce projet de loi, selon vous ?
La première mesure d’importance pour les agriculteurs est incontestablement l’inversion de la construction du prix, soit un prix et même un contrat proposés désormais par les producteurs et prenant en compte leurs coûts de production. Ils pourront peser dans les négociations grâce à leur regroupement en organisations de producteurs et au renforcement des interprofessions. Des contrôles et des sanctions sont prévus en cas de non-respect des dispositions. La médiation sera également renforcée, de manière à améliorer l’efficacité des dispositions de la loi sur les relations commerciales.
Par ailleurs, le seuil de revente à perte a été fixé à 10 % dans le cadre d’une expérimentation sur deux ans. De même, à titre expérimental, pour deux ans, l’encadrement des promotions a été amendé pour mieux rémunérer les producteurs. On ne pourra plus aller au-delà de deux produits achetés pour un troisième gratuit.
Sur le deuxième volet du projet de loi, concernant le renforcement de la qualité sanitaire, nutritionnelle et environnementale des produits alimentaires, les députés ont voté l’interdiction des néonicotinoïdes et de tous les produits à mode d’action identique pour lutter contre la mortalité des abeilles et en faveur de la biodiversité.
Pour mieux contrôler l’utilisation des produits phytosanitaires, ils ont aussi validé la séparation des activités de vente et de conseil pour ces produits, comme l’interdiction des rabais, remises et ristournes sur ces produits. Un amendement a été également adopté pour confirmer l’engagement du gouvernement en faveur de la suspension de l’utilisation du dioxyde de titane dans les produits alimentaires. Cette substance n’a aucune valeur nutritive, elle est utilisée pour des raisons esthétiques, et est susceptible de constituer un risque sérieux pour la santé humaine.
Pour ce qui est du bien-être animal, la création d’un délit de maltraitance animale en abattoir et dans les moyens de transport a été adoptée, ainsi que le doublement des peines. Elles passeront de six mois d’emprisonnement et 7 500 Ä d’amende à un an de prison et 15 000 Ä d’amende. Par ailleurs, les associations de protection animale pourront se porter partie civile lorsque des contrôles officiels auront mis au jour des mauvais traitements sur les animaux. De même, un responsable de la protection animale chargé de s’assurer du respect des règles sera désigné dans chaque abattoir avec le statut de lanceur d’alerte. En ces lieux, la loi encourage l’expérimentation de la vidéosurveillance, au poste de mise à mort, sur la base du volontariat et dans le respect de l’avis du CSE ou des représentants des salariés, ainsi que de la Cnil.
On peut encore citer le vote de l’interdiction de la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé de poules pondeuses élevées en cages à partir de l’entrée en vigueur de la loi a été votée.
Pour favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous, les députés ont inscrit dans la loi l’objectif de 50 % de produits locaux ou sous signe de qualité (dont des produits bio) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022. Par ailleurs, la lutte contre le gaspillage alimentaire sera intensifiée, avec la possibilité étendue à la restauration collective et à l’industrie agro-alimentaire de faire des dons alimentaires, et l’obligation pour les restaurateurs de fournir des doggy bags. Quant au miel, il va bénéficier d’un étiquetage indiquant son origine afin de garantir une meilleure information du consommateur sur l’origine des miels issus de mélanges de différents pays. Le texte va à présent poursuivre son parcours parlementaire pour être encore travaillé et enrichi.
Qu’est-ce qui est resté lettre morte ? Et quels sont vos regrets ?
Le texte doit encore passer au Sénat fin juin, avant de revenir à l’Assemblée nationale. De ce fait, on ne peut pas être à l’heure des regrets, car les débats vont se poursuivre. Ce que veut le gouvernement, c’est tout mettre en œuvre pour avoir une alimentation saine et durable, et créer les conditions nécessaires pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur métier, avoir des négociations commerciales éthiques et responsables, et continuer à investir. On a d’ailleurs tout fait dans ce sens. C’est désormais à la profession de s’emparer des outils que l’on a créés pour elle et de se responsabiliser. Notre démarche, c’est pousser aussi loin que possible à la contractualisation. Notre rôle sera donc de faire la promotion de ces outils auprès des représentants de la profession agricole et sur le terrain.
Qu’est-ce que la loi va changer pour les agriculteurs ?
Le changement fondamental que je viens d’évoquer est l’inversion de la construction du prix. En complément de ce projet de loi, et pour accompagner la transition que connaît l’agriculture aujourd’hui, nous avons pris d’autres mesures. Je citerai notamment la concertation lancée sur le Plan ambition bio, qui vise à passer de 6,5 % à 15 % de surface agricole en mode bio d’ici 2022. De même, cinq milliards d’euros seront consacrés à l’accompagnement de la transformation du monde agricole et agro-alimentaire dans le cadre du Grand plan d’investissement (GPI).
Cet accompagnement par l’Etat doit trouver son articulation avec les engagements pris par les acteurs dans les plans de filière à cinq ans, qu’ils m’ont remis en décembre. Des engagements sur l’amélioration des relations commerciales et de la répartition de la valeur, comme sur la montée en gamme des produits pour mieux répondre aux attentes des consommateurs, et investir des marchés locaux et nationaux. Je crois profondément au rôle des interprofessions pour définir les conditions dans lesquelles elles vont évoluer, trouver les marges de progression et contractualiser.
La question du revenu agricole n’est-elle pas le parent pauvre de cette loi ? C’est, dans tous les cas, le sentiment des agriculteurs. Quel est votre avis ?
On a un projet de loi vraiment équilibré avec, d’un côté, la question du revenu agricole et, de l’autre, celle de la qualité alimentaire. Le gouvernement et les députés se sont emparés de ces deux sujets de façon égale, car la question du revenu agricole et de la montée en gamme des produits sont intimement liés. C’est pour cela aussi que les plans de filière sont si importants, car ils vont permettre de tirer vers le haut.
Cette loi dessine-t-elle un nouveau modèle agricole pour la France dans les dix prochaines années ? Lequel ?
L’agriculture est à un tournant que nous souhaitons accompagner pour que les agriculteurs soient rémunérés correctement et que leur métier reste attractif. Le projet de loi est une des briques pour construire la maison agricole de France. J’en ai déjà cité d’autres comme le Plan ambition bio, le GPI ou encore les plans de filière. Le modèle agricole que j’imagine est celui d’une agriculture riche de sa diversité, forte sur son marché national et à l’export, avec une qualité de ses produits alimentaires, que tous nous reconnaissent déjà. C’est cette agriculture qui générera des revenus et qui est en train de donner le «la» au niveau européen. Beaucoup de pays européens sont d’ailleurs intéressés par notre démarche et commencent à bouger dans le même sens.
L’agriculture est-elle encore considérée en France comme un secteur économique comme les autres alors que celle-ci, dans le cadre de la loi, a été plutôt abordée sous l’angle alimentaire et environnemental ?
Les débats qui ont eu lieu sur la chocolatine ou encore les plats en plastique, et qui ont occupé les colonnes des médias, ont largement déformé l’image de ce projet de loi et ce qu’on veut faire. Nul doute pour nous, nous œuvrons pour donner tous les outils aux agriculteurs pour qu’ils puissent vivre dignement de leur métier, parce que l’on considère que l’agriculture est un secteur économique à part entière dans notre pays. Nous, on a donné un cadre, et on attend des actes. Dans tous les cas, on ne laissera pas tomber les agriculteurs. C’est l’engagement que je prends pour la France et en Europe. L’agriculture vaut notre engagement, car elle le mérite et les agriculteurs font des efforts. Nous en avons bien conscience.