Néonicotinoïdes : une consultation publique pour rien
Lors de sa conférence de presse de rentrée le vendredi 22 janvier, la ministre de la Transition écologique s’est exprimée contre un allègement des règles préconisées par l’Anses pour la ré-autorisation de l’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir les agriculteurs concernés, notamment sur les réseaux sociaux.
Lors de sa conférence de presse de rentrée le vendredi 22 janvier, la ministre de la Transition écologique s’est exprimée contre un allègement des règles préconisées par l’Anses pour la ré-autorisation de l’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir les agriculteurs concernés, notamment sur les réseaux sociaux.
Alors que la concertation publique sur le projet d’arrêté autorisant provisoirement l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des néonicotinoïdes pour une durée maximale de 120 jours était mis à la consultation du public jusqu’au 25 janvier 2021, la ministre de la Transition écologique confiait dès le 22 janvier son refus d’un allégement des contraintes sur le choix des espèces pouvant suivre une culture de betteraves dont les semences auront été traitées en 2021. Quasiment à l’issue de sa conférence de presse de rentrée, Barbara Pompili a répondu par un «non» ferme à la question qui lui était posée sur un possible assouplissement des préconisations de l’Anses encadrant la réintroduction temporaire des NNI. «Ma réponse est non. Voilà», a-t-elle déclaré.
Des restrictions de rotations inquiétantes
Depuis le début de la consultation publique – elle s’est ouverte le 4 janvier dernier - le monde agricole se mobilise en ligne sur demander au gouvernement de revoir la copie du projet d’arrêté. Tel qu’il a été adopté par le conseil de surveillance dédié à la mise en œuvre de la dérogation, le texte inquiète les betteraviers puisqu’il s’appuie sur des recommandations de l’Anses restreignant le choix des cultures consécutives à la betterave dont les semences auront été traitées pour les années N+1, N+2 et N+3. Selon les explications de la CGB, adressées à ses adhérents, «après une culture en 2021 de betteraves sucrières dont les semences ont été traitées avec de l’imidaclopride ou du thiaméthoxame, seules les cultures suivantes (incluant les cultures intermédiaires) peuvent être semées, plantées ou replantées : avoine, blé, choux, cultures fourragères non attractives, cultures légumières non attractives, endive, fétuque (semences), moha, oignon, orge, ray-grass, seigle à partir de l’année 2022». En 2023, seules pourraient être plantées le chanvre, le maïs, le pavot/œillette, la pomme de terre. Enfin, «colza, cultures fourragères mellifères, cultures légumières mellifères, féverole, lin fibre, luzerne, moutarde tardive, phacélie, pois, radis, tournesol, trèfle, vesce» ne pourraient être semées qu’à partir de l’année 2024.
Dernièrement, ce sont également les organisations professionnelles représentant différentes filières végétales autres que la betterave qui ont fait valoir leurs inquiétudes : UNPT pour la pomme de terre, AGMP pour le maïs, Terres Inovia pour les cultures oléoprotéagineuses, dont le colza ou encore le Cipalin pour le lin. Rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale et désormais président du Conseil de surveillance «néonicotinoïdes», le député aubois (LREM) Grégory Besson-Moreau s’est lui aussi étonné de la réponse de la ministre dans un tweet où il promet «d’analyser la réponse et essayer de bien comprendre l’argumentaire. Une réponse aussi complète mérite une analyse fine et détaillée». Cinglant.
INTERVIEW
Maître Pascal Bibard, avocat
La consultation publique, «un objectif ambitieux mais un effet restreint»
Sur quel(s) texte(s) repose la mise en place d’une consultation publique comme celle qui s’est terminée lundi 25 janvier relative à l’arrêté autorisant provisoirement l’emploi de semences de betteraves traitées avec des substances néonicotinoïdes ?
C’est la Charte de l’environnement, datant de 2005 et inscrite dans la Constitution qui a permis ensuite l’intégration par ordonnance en 2016 de deux articles (L120-1 et L123-19) dans le Code de l’environnement. Le premier de ces articles indique que la participation du public est requise pour l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. La consultation publique telle que celle qui a été mise en place pour l’arrêté sur l’utilisation des néonicotinoïdes est une forme de participation du public. Le deuxième article fixe les modalités de la participation du public. C’est un déroulement très normé. Elle doit par exemple durer vingt et un jours. Le délai de prise en considération des observations et propositions du public ne doit pas être inférieur à quatre jours, etc.
À la clôture d’une consultation publique, que deviennent les contributions ?
Elles sont compilées, analysées et une synthèse en est faite. Elle est mise à disposition du normateur comme du citoyen. Pour le premier, cette synthèse doit lui permettre d’améliorer la norme. Cela est inscrit dans le Code de l’environnement. La participation du public est mise en œuvre dans le but d’améliorer la qualité de la décision publique et de contribuer à sa légitimité démocratique. Pour le citoyen, c’est aussi un outil d’information.
Quelle est la valeur légale des contributions recueillies ?
Le texte qui met en place la consultation publique a une valeur constitutionnelle. Sa mise en place est donc d’une obligation. Cela doit permettre au normateur de prendre des décisions en phase avec les attentes des citoyens, de s’inspirer de ses attentes. Pour ces mêmes citoyens, c’est une manière de participer à l’élaboration de la norme, en parallèle au travail du Parlement. En répondant à une consultation publique, nous participons à l’écriture de nos propres lois. Pour autant, il ne s’agit que d’une consultation, sans effet contraignant. L’objectif consistant à vouloir faire participer le citoyen à l’élaboration de la norme est ambitieux, mais l’effet est donc restreint. Cela ressemble plus à une formalité administrative.
Un ministre peut-il faire comme si celle-ci n’a pas eu lieu ? Et ne pas tenir compte des observations recueillies, qui plus est alors que cette consultation n’est pas terminée ?
Juridiquement, un ministre peut ne pas tenir compte des conclusions d’une consultation publique. C’est son droit et rien ne l’oblige. Le peuple donne son avis, mais il ne décide pas. Politiquement, il peut être risqué de ne pas écouter le peuple, mais c’est tout. C’est toute l’ambiguïté et l’ambivalence de ce dispositif qui est une émanation de la démocratie directe. Il est fait pour que le peuple s’exprime sans garantie d’être entendu. On peut se demander s’il ne s’agit pas dans ce cas d’un simple faire-valoir, de la recherche d’une caution morale. Il y a un vrai problème en revanche si le ministre prend un arrêté avant la conclusion de la consultation et le rendu de sa synthèse. Dans cette hypothèse, un citoyen peut saisir le Conseil d’État s’il a un intérêt à agir. Mais la procédure est complexe, elle demande un certain investissement et cela est plutôt le fait d’associations, de fédérations, de syndicats.
Propos recueillis par V. F.