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Nicolas Mourier et l’ACS, de la praticité à la technicité

Ce 24 novembre, le député Leclabart organisait une table ronde sur le thème de l’agriculture régénératrice. Nicolas Mourier, polyculteur en ACS à Ailly-sur-Noye, était l’un des invités. Rencontre.

Nicolas Mourier, épaulé d’Angélique, apprentie étudiante en agronomie à l’UPJV, poursuit l’amélioration de ses pratiques. Ici, un essai de différents couverts dans du blé.
Nicolas Mourier, épaulé d’Angélique, apprentie étudiante en agronomie à l’UPJV, poursuit l’amélioration de ses pratiques. Ici, un essai de différents couverts dans du blé.
© Alix Penichou

Nicolas Mourier est un gestionnaire avant tout. Le semis direct (SD) était d’abord le moyen de cultiver seul ses 210 ha (ses terres et celles de son père qu’il reprend progressivement), éclatés en trois sites, à Ailly-sur-Noye, Malpart et Mailly-Raineval. «Lorsque je me suis installé en 2013, j’ai d’abord eu une réflexion économique. Je ne pouvais pas embaucher. Il me fallait trouver une organisation qui me permette de travailler correctement seul. Le semis direct s’est avéré une bonne solution.» La première parcelle de céréales était semée en SD dès 2014. Très vite, l’agriculteur se passionne pour le travail technique et agronomique qu’engendre l’ACS (agriculture de conservation des sols).

Malgré des techniques encore peu connues à l’époque, il trouve quelques personnes pour l’épauler dans ses choix. «J’ai suivi la licence agronomie, agroécologie et développement durable de Thierry Tétu à l’UPJV, et j’ai pu côtoyer des agriculteurs de l’Oise qui faisaient évoluer leur système dans ce sens.» Aujourd’hui, il fait partie de l’Apad Picardie (Association pour la promotion d’une agriculture durable), dotée d’un groupe d’agriculteurs très investis. Il s’est aussi équipé de deux semoirs en direct, un à disques et un à dents, ce dernier pour semer dans les couverts et les résidus de paille. 

Les choix des cultures et des couverts sont faits avec soin, et sont même parfois drastiques. «J’ai décidé d’arrêter la betterave après la récolte de 2018. Avec la fin des quotas, je craignais un enlèvement tardif, donc dans de mauvaises conditions. On m’a fait comprendre que je ne pouvais pas choisir de planter ou non selon la conjoncture. La betterave n’étant pas assez rémunérée pour compenser la perte de rendement liée à la dégradation de la parcelle, j’ai préféré renoncer», justifie-t-il. Le maïs grain ne figure plus non plus dans l’assolement. «C’est une culture agronomiquement très intéressante, avec beaucoup de matières restituées, mais le manque d’eau récurrent est un trop gros risque dans mes terres séchantes.»

Il s’est en revanche tourné vers le lin fibre. Une culture qu’il adore désormais : «pas de germination sur pied, ne casse pas, ne s’agraine pas, un excellent précédent blé», liste-t-il. Comme il n’a pas suffisamment de bonnes terres pour assurer une rotation tous les sept ans, les années où il doit semer en plus mauvaise terre, il mise sur la production de semences uniquement. «Une densité deux fois moins élevée, pas d’arrachage, la fibre part en chaîne toutes fibres.» Il ne se prive alors pas d’un travail du sol superficiel pour le semis – «le lin en SD est délicat» – grâce à une vieille charrue Express de chez Perrein. «Un travail superficiel du sol occasionnel ne remet pas en cause le système. Avec six à sept ans de SD, on parvient à capitaliser suffisamment de matière organique (MO).» Le tournesol est aussi cultivé depuis deux ans. 

 

Du blé sur blé… Sur blé ? 

Les autres cultures sont essentiellement des cultures d’hiver : blé principalement, escourgeon, colza, et un peu d’avoine. Pour garantir la bonne santé de ces plantes, Nicolas Mourier mise sur celle de son sol. «Au début, j’ai énormément pratiqué le compost de déchets verts pour alimenter en matières organiques. Une parcelle est ainsi passée de 2,9 à 3,6 % de MO en sept ans. C’est plus qu’assez par rapport au taux d’argile.» Aujourd’hui, il se concentre davantage sur «l’équilibre de la ration du sol, à l’image de celle d’une vache laitière». Cet équilibre repose sur le rapport massique carbone sur azote (C/N), qui se gère par l’apport de déchets verts et de légumineuses. «La luzerne porte-graine a toute sa place dans ce système», assure-t-il. 

Celle-ci est en place pour quatre ans. «Après deux récoltes des semences, le blé est semé directement dedans. Elle reste au repos végétatif tout l’hiver, puis elle est régulée au désherbant au printemps. Elle n’est pas totalement détruite et repart après la moisson.» Grâce à cet apport d’azote, l’agriculteur pratique le blé sur blé sans problème. Cette année, il met même en place un essai de blé sur blé sur blé en suivant cette pratique. «Les risques de piétin échaudage seront surveillés de près.» Les couverts sont aussi toujours améliorés. Un autre essai consiste cette fois à comparer quatre couverts différents avec plusieurs densités de semis. Il n’empêche que l’apport d’azote minérale reste indispensable. «On a beau faire le plus beau des couverts, il ne délivre pas l’azote au moment où la plante en a le plus besoin.»

 

Plus de résilience

Ses pratiques offrent-elles à ses terres plus de résilience face aux changements climatiques ? «J’en suis persuadé», assure-t-il. Le principal inconvénient est la prolifération des campagnols, qui s’épanouissent à merveille dans les couverts. Mais le sol, lui, résiste mieux aux excès d’eau ou de sécheresse. L’un des résultats flagrants est l’allongement du cycle des céréales. «Ils mûrissent moins vite. Je récolte souvent huit à dix jours plus tard que les voisins.» Cet effet a joué en sa défaveur cette année, alors que la moisson était tardive. Mais il pourrait être profitable à long terme. «Quelques jours de cycle gagnés, c’est de la productivité en plus.»  

Besoin d’informations ? Nicolas Mourier fait partie d’un «pôle d’expert» chez Novalis Terra, entreprise spécialisée dans l’accompagnement vers les nouvelles pratiques agronomiques. (novalis-terra.fr). 

 

 

Bertrand Valiorgue : «l’agriculture régénératrice est la clé»

Le professeur Bertrand Valiorgue  a publié Refonder l’agriculture à l’heure  de l’Anthropocène en 2020. 

«Notre planète vit un changement d’ère géologique, nommée Anthropocène. Plus qu’un simple réchauffement climatique, elle induit une transformation bien moins favorable à la civilisation humaine. Les enjeux alimentaires sont devant nous.» C’est avec cette affirmation choc que le professeur de stratégie et gouvernance des entreprises au sein de l’IAE Clermont Auvergne, Bertrand Valiorgue, introduisait la table ronde. Ses travaux sont compilés dans son ouvrage Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène, publié en 2020. Réinventer les pratiques agricoles serait donc nécessaire et «l’agriculture régénératrice est la clé».
Pour lui, nous ne vivons pas une crise environnementale ou climatique. «Il faut parler de transformation irréversible du système Terre.» La principale cause serait les émissions de CO2 qui ont explosé. «Aujourd’hui, les taux sont supérieurs à 400 ppm/UCO2/M3 dans l’atmosphère. On n’a jamais connu autant.» La première victime de l’Anthropocène ? «L’agriculture.» Elle subira directement trois effets : la multiplication des aléas climatiques et biologiques, l’émergence d’une incertitude sur les pratiques et la radicalisation de la critique sociale. L’agriculture régénérative, donc, serait capable de relever le double pari d’atténuer et d’adapter, grâce à la régénération des quatre biens communs que sont l’eau, l’air, le sol et la biodiversité. «Plus le sol est vivant, plus il est résilient.» Cette agriculture régénérative a plusieurs visages : agroforesterie, élevage raisonné, agriculture de conservation des sols… Les géants de l’agro-industrie prennent le sujet très aux sérieux. «Nestlé, Danone, Lidl ou encore Pepsi s’y engagent, et c’est bon signe.»
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