«Pour faire tourner un méthaniseur, il faut de la matière première»
Ils sont cinq associés de l'endiverie de Soyécourt à avoir opté pour la méthanisation. Leur unité fonctionne à plein régime depuis janvier 2015.
Le méthaniseur de Soyécourt est de 500 kW. Il produit 3,5 MW par an.
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AAP
Mettre en route une unité de méthanisation s’est avéré un véritable parcours du combattant pour les cinq associés de l’endiverie de Soyécourt. Face aux contraintes réglementaires de plus en plus fortes sur la fabrication de compost à partir de leurs 20 000 tonnes de déchets d’endives, ils décident d’opter pour la méthanisation. Entre les études de faisabilité, les contre-études, les expertises, les volte-face des banquiers et une année perdue avec EDF pour le raccordement au réseau, ils ne mettent en route leur unité de méthanisation qu’en juillet 2014. Coût total de l’investissement : trois millions d’euros, dont 36 % financés par les aides de l’Ademe et de la Région, des aides qui depuis ont été revues à la baisse.
Ils pensent alors être au bout de leurs peines. Erreur. L’unité achetée à une entreprise allemande n’est pas adaptée à leurs pratiques. Les dysfonctionnements techniques et opérationnels se succèdent. «Et les problèmes ne sont pas toujours résolus, même si, depuis janvier 2015, le méthaniseur tourne sans arrêt», relève Thierry François, l’un des associés. Mais il y a encore des micro-coupures d’électricité, dues notamment à un système électrique saturé par les éoliennes à proximité.
Une unité de 500 kW
L’unité de méthanisation de 500 kW est en cogénération. Elle tourne sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Outre le cogénérateur, deux trémies alimentent le digesteur. Les intrants passent par un broyeur avant d’aller dans le digesteur. La boue passe ensuite par un séparateur de phase. La partie solide est rejetée dans un décanteur, la partie liquide dans une lagune. L’eau «propre» est remise dans les champs par un système de régulation.
Un peu moins de 10 000 tonnes de déchets d’endives, mais aussi des pulpes, des déchets agroalimentaires et des issus de drêche sont méthanisés, permettant de produire 11 500 kW par jour, soit un total de 3,5 MW par an. «Il faut répartir tout le long de la journée au niveau des intrants les équivalents (pulpes, déchets agroalimentaires, issus de drêche) en pouvoir méthanogène pour avoir une quantité de gaz constante. Il faut donc être vigilant sur la transition des rations, le bon état matériel, éviter l’intrusion de tout corps étranger pour ne pas provoquer le blocage du broyeur ou des pompes, et varier progressivement la ration pour avoir une qualité de gaz homogène. Quant au digesteur, qui produit le CO2 et le CH4, il doit être maintenu à une température moyenne de 43 °C, avec un pH de 7», explique Marthe François, en charge de la gestion du site.
Si l’unité de méthanisation permet «de créer des énergies renouvelables en offrant une seconde vie aux déchets, évitant ainsi leur enfouissement, et d’être dans les clous avec la réglementation, au vu des problèmes rencontrés et des surcoûts auxquels nous avons dû faire face, sur le plan économique, les résultats ne sont pas au rendez-vous», commente Thierry François.
Tout aussi sceptique il est sur le plan agronomique. «Tirer de la matière organique du digestat au vu des opérations, je n’y crois pas, car le substrat que l’on en retire est plutôt minéral qu’organique. Par contre, sur le digestat liquide, la matière est plus riche. En revanche, pour ce qui est du lisier de porcins, la méthanisation vaut le coup.»
Mais, surtout, «pour faire tourner un méthaniseur, il faut de la matière première à très bon marché si l’on ne peut pas fournir suffisamment de déchets. Il faudrait aussi pouvoir vendre l’électricité produite plus chère, mais les contrats sont établis par EDF sans possibilité de négociation. C’est regrettable», conclut-il.
INTERVIEW
Laurent Degenne, secrétaire général de la FRSEA Nord-Pas-de-Calais-Picardie
«Les agriculteurs devraient s’approprier cette énergie»
La méthanisation est-elle une filière qui a de l’avenir ?
C’est une filière qui produit une des meilleures énergies renouvelables, car elle donne une seconde vie aux déchets. Les agriculteurs devraient s’approprier cette énergie renouvelable, car ils ont les déchets produits par l’élevage et les cultures. Ils peuvent aussi valoriser les cultures intermédiaires comme les Cipan. De même, la méthanisation crée un cercle vertueux sur la relocalisation de la matière organique, ce qui est bon pour le potentiel de nos sols. Par ailleurs, en ayant cette autarcie en matières organiques, on a, de fait, l’assurance de la traçabilité et de la qualité des déchets.
Ce qui est dommage, aujourd’hui, c’est que, faute d’unités de méthanisation, nos déchets sont méthanisés en Belgique. Il faudrait moins d’annonces politiques et plus d’actions. Quant aux entreprises qui ont le monopole sur l’électricité et le gaz, elles ne sont pas adaptées à la libéralisation du marché. On rencontre un fort immobilisme de leur part.
Quelles sont les perspectives locales ?
Nous avons un potentiel de gisements conséquent dans notre région, et le décret du 6 juillet dernier permet d’en augmenter le nombre. Une fois cela dit, force est de constater que la filière n’est toujours pas mature en termes d’équipements, de marchés administratifs et du monopole de l’énergie, qui oblige par passer par Engie, GRT et Grdf, sans possibilité de négocier les prix et les délais.
Propos recueillis par F. G.