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PPA : pig bang sur la planète porc

Pour la première fois depuis 1996, la production mondiale de viande devrait diminuer en 2019. Un retournement de tendance directement dû à l’effondrement du cheptel porcin chinois, décimé par la PPA. Et la crise n’en est qu’à ses débuts.

© AAP

La planète porc s’affole. Et il y a de quoi quand la Chine, premier producteur mondial, perd en quelques mois un quart de son cheptel, au bas mot. Les dégâts provoqués par la peste porcine africaine (PPA) semblent s’aggraver de jour en jour. Le caractère inédit de la situation et la notoire opacité des statistiques chinoises alimentent les spéculations les plus folles sur l’ampleur du déficit chinois en viande, et donc sur les importations potentielles. Au-delà de la bataille des chiffres, il apparaît désormais clairement que le gouffre sera impossible à combler : d’après les estimations officielles chinoises, la chute de production dépassera déjà l’ensemble du commerce mondial de porc.
Plus qu’une formidable opportunité pour les pays exportateurs, cette situation inédite est aussi un véritable casse-tête. La demande chinoise est bien là, mais les incertitudes sanitaires et géopolitiques compliquent la donne. Le bouleversement des échanges provoquera des «jeux de domino dans tous les sens», résume Didier Delzescaux, le directeur d’Inaporc. Et la hausse brutale du prix du porc ne fait pas que des heureux, notamment chez les industriels. «Oui, le cours mondial du porc va être soutenu, affirme Pascal Le Duot, directeur du MPB (Marché du porc breton). Mais il y aura des turbulences

• Quand la Chine parviendra-t-elle à maîtriser l’épizootie de PPA ?
Depuis que l’Empire du milieu a annoncé son premier cas de PPA en août 2018, la maladie s’est répandue comme une traînée de poudre dans tout le pays. «On la trouve partout, dans les élevages, la faune sauvage, les abattoirs, les produits exportés, etc.», explique Fanye Meng, représentant en Chine d’Inaporc. La maladie, souvent mortelle pour le cochon, mais non transmissible à l’homme, est provoquée par un virus très résistant dans les excrétions ou dans les produits à base de porc. Or, malgré la restructuration en cours, «près de 40 % des cochons produits en Chine proviennent de petits élevage dits “backyard” (basse-cour, ndlr)», explique Fanye Meng. Les animaux y sont souvent nourris avec les restes des repas, parfois contaminés. Si on y ajoute les conditions de biosécurité aléatoires, les fraudes et les trafics d’animaux ou de viandes contaminées, la Chine représente un terrain idéal pour la propagation de la peste porcine.
Résultat : pour la majorité des experts, il faudra au moins deux ou trois ans (voire plus) avant que la Chine ne puisse espérer maîtriser la PPA. Il n’existe aujourd’hui ni vaccin, ni traitement contre la PPA. Plusieurs laboratoires, dont l’Anses en France, travaillent sur la question. Mais «personne n’est capable aujourd’hui de dire à quelle échéance nous disposerons d’un vaccin efficace»,  affirme Loïc Evain, directeur adjoint de la DGAL. Les éleveurs, y compris français, vont devoir apprendre à vivre dans un monde où la PPA continuera de bouleverser les échanges.

• Quel sera l’impact de la PPA sur la production chinoise ?
C’est la question que se posent tous les acteurs du marché du porc, la Chine étant le premier producteur et consommateur mondial. Et chacun a sa propre réponse, nourrie par le manque de transparence des autorités chinoises. Dans un rapport de mai 2019, la FAO estime que la PPA provoquera un «recul d’au moins 10 % de la production de viande de porc en Chine». Une affirmation prudente, quand certains fabricants d’aliments affirment qu’«entre 30 et 50 % de la production porcine chinoise a [déjà] disparu». D’après le gouvernement central, la Chine aurait abattu 1,133 million de porcs et le cheptel de truies aurait reculé de 23 % en un an. Quel que soit le chiffre, le «cheptel de truies est au plus bas depuis 2000», tranche Fanye Meng.
Le recul de la production chinoise a commencé à se faire sentir dès 2018 (- 0,9 % à 54 Mt, d’après le gouvernement). Mais c’est surtout dans les mois à venir que le déficit va se creuser, jusqu’à devenir impossible à combler. «Certains sur le terrain parlent d’une baisse de production de - 40 ou - 50 % pour 2020», relève Didier Delzescaux, directeur d’Inaporc. «Le discours des autorités évolue, note Fanye Meng. Ce n’est qu’à partir de maintenant que les professionnels et l’Etat reconnaissent une baisse de la production, et pas seulement du cheptel
Conséquence : «Aujourd’hui, le porc charcutier se vend en Chine à 2,32 /kg vif, soit le niveau le plus élevé depuis 2016, selon Fanye Meng. Et ce n’est que le début, car derrière, il n’y a pas de cochons, pas de reproducteurs...» D’après lui, «les prix vont continuer à augmenter jusqu’en 2020». Une hausse qui provoquera «une diminution mécanique de la consommation locale», prédit le directeur du MPB, Pascal Le Duot.

• Comment va évoluer la demande chinoise ?
La Chine vient tout juste de battre son record d’importation avec 187 000 t de au mois de mai (+ 63 % par rapport à mai 2018). Au premier trimestre 2019, les importations avaient déjà progressé de plus de 9 %, d’après Inaporc. L’ampleur de la demande dépendra principalement de la réaction du gouvernement et des consommateurs chinois. En jouant sur ses stocks stratégiques, le pouvoir essaie tant bien que mal de freiner la hausse des prix. Un sujet politiquement brûlant pour Pékin, le porc représentant les deux tiers des viandes consommées. D’après Inaporc, les autorités ont lancé, en toute discrétion, un appel d’offres (encore en cours) de 30 000 t de viande de porc, qui devrait majoritairement bénéficier à l’UE.
Traditionnellement importateur d’abats, l’Empire du milieu manifeste une très forte demande pour des carcasses coupées en six, remarque Fanye. Meng : «C’est le signe d’un manque de viande.» Autre signe de la fébrilité des autorités : «On voit des publications officielles incitant à manger moins de viande pour des raisons environnementales ou de santé.» Le déficit de viande porcine à venir est tel qu’il sera vraisemblablement impossible à combler. Les chiffres de production estimés par Inaporc (- 20 %) laissent présager d’un «trou» de 10 Mt. Conclusion ? «Il faudrait doubler le commerce mondial», selon Didier Delzescaux, ce qui est impossible à court terme.
La «grande inconnue», selon lui, reste la réaction des consommateurs non seulement face à une hausse des prix, mais face à un manque de disponibilités. «La Chine n’a pas encore vécu la rareté de la viande, confirme Emmanuel Commault, le directeur de la Cooperl. On va bientôt rentrer dans le dur.» Les autres viandes et les protéines végétales profiteront-elles d’un report de la consommation ? Oui, pour la FAO, qui estime la progression des importations chinoises à 23 % pour les volailles et 15 % pour la viande bovine (pour 2019). De son côté, Fanye Meng ne croit pas à un report massif des consommateurs vers la volaille, à cause du pouvoir d’achat élevé des consommateurs urbains et des habitudes culinaires des acheteurs ruraux.

• Quels sont les pays qui profiteront du débouché chinois ?
Vu les volumes en jeu, les grands exportateurs de viande de porc (UE, Etats-Unis, Canada et Brésil en tête) pourraient tous profiter de l’appel d’air chinois. Voilà pour la théorie. Car, en pratique, c’est la géopolitique qui dictera en grande partie la hiérarchie. Un exemple ? Les importations américaines vers la Chine ont reculé de 4 % au premier semestre 2019, d’après Inaporc. Durant la même période, celles de l’UE ont gagné 22 %.  La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis pourrait aussi profiter à la Russie, qui devrait devenir autosuffisante en porc en 2019.
«La guerre commerciale entre Trump et Xi n’est pas qu’une bonne nouvelle pour l’Europe», prévient toutefois Pascal Le Duot. D’une part, une chute du prix américain en ferait la «nouvelle référence mondiale», estime-t-il, le marché s’alignant sur le plus bas. Et, d’autre part, les volumes américains non envoyés en Chine devront bien trouver preneurs sur d’autres marchés. Impossible de prévoir les innombrables effets de domino à venir, bénéfiques ou non.

• La France tirera-t-elle son épingle du jeu?
Avec 103 000 t en 2018, la Chine est le second débouché à l’export des porcs français (derrière l’Italie). Des exportations qui ont progressé de 25 % au premier trimestre 2019 (à 33 774 t). La France y envoie principalement des abats. L’Hexagone est moins bien placé que ses concurrents européens dans la course vers la Chine. L’Allemagne, et surtout l’Espagne, ont bâti leurs stratégies de développement sur l’export. Des choix politiques sont en partie responsables du décalage persistant entre les cours du porc en France et chez ses concurrents. Toutefois, au niveau sanitaire, «la France est dans des meilleures conditions que ses concurrents», note Didier Delzescaux.
La condition pour pouvoir profiter à plein de l’appel d’air, c’est aussi de rester indemne de PPA. Dans la situation actuelle, la survenue d’un seul cas empêcherait l’Hexagone tout entier d’exporter vers la Chine. D’où les négociations en cours sur le zonage). Enfin, commercer avec la Chine suppose une vigilance quotidienne pour maintenir la fluidité des échanges. La doctrine d’Inaporc en cas de blocage des échanges ? Régler les problèmes au niveau du point d’entrée.
Tout l’enjeu pour la filière porcine sera de profiter judicieusement de l’embellie pour se moderniser, concrétiser les promesses des EGA et assurer le renouvellement des générations d’éleveurs. Des chantiers d’envergure à mener au pas de course, car, tôt ou tard, la Chine se redressera.

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