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Producteurs de lait et coopératives : quelle stratégie commune ?

Le 24 juillet dernier, la Fédération régionale des producteurs laitiers (Frpl) invitait les coopératives du Nord-Pas-de-Calais-Picardie à une réunion sur la crise de l’élevage.

Luc Verhaeghe (premier à droite), président de France Nord : «On est mis sur le banc des accusés, sans même qu’on puisse s’expliquer. C’est très bien de se réunir pour s’expliquer, mais si derrière, c’est pour nous casser, basta !»
Luc Verhaeghe (premier à droite), président de France Nord : «On est mis sur le banc des accusés, sans même qu’on puisse s’expliquer. C’est très bien de se réunir pour s’expliquer, mais si derrière, c’est pour nous casser, basta !»
© AAP

Veni, vidi, vinci (je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, ndlr). Telle est la célèbre phrase qu’aurait prononcé Jules César en franchissant le Rubicon en 47 avant notre ère, avant de vaincre dans une guerre éclair le roi du Pont, en Asie Mineure. Si, à la sortie de la réunion regroupant la Fédération régionale des producteurs de lait Nord-Picardie-Ardennes (Frpl),  la Prospérité fermière, Sodiaal Union, Lact’Union, Laitnaa et France Nord, aucun des participants ne pouvait reprendre à son compte l’expression césarienne, ils ont cependant tenté de chercher ensemble des solutions pour sortir de la crise que traverse la filière. Reste que le contexte est difficile.
D’un côté, les producteurs sont acculés par des prix du lait en dessous de leurs coûts de production, et craignent, à raison, pour l’avenir de leurs exploitations. De l’autre, les coopératives ferraillent avec la grande distribution pour vendre leurs produits au meilleur prix, mais subissent une forte concurrence dans et hors d’Europe. Facteur aggravant : la conjoncture (embargo russe, forte baisse des exportations vers la Chine, baisse de la consommation du lait en France alors que la production de lait s’est envolée). Conséquence : le prix du lait que paient les coopératives aux producteurs est au plus bas.

Trop de lait sur le marché ?
Diminuer la production de lait, qui ne cesse d’augmenter en France, comme en Europe et dans le monde, serait-il la solution ? «Non, on a besoin de tout le volume produit», disait Olivier Gaffet, président de la région Nord à Sodiaal Union. Et pour cause. «Aujourd’hui, on compense le chiffre d’affaires par du volume, car les prix du lait ne sont pas rémunérateurs», complétait Luc Verhaeghe, président de France Nord. Puis, baisser les volumes, sans garantie que les autres pays en fassent autant, il n’y a aucune assurance que cela régule les prix sur le marché. Reste que la croissance mondiale de production du lait est à 2 % alors qu’en France, elle est à 7,5 %....
Augmenter le prix est-il tout de même possible ? C’est, en tout cas, la demande des producteurs aux coopératives. «C’est impossible, rétorquait aussitôt Olivier Gaffet. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’on est sorti des quotas. C’est le prix mondial qui mène la danse, on ne peut rien y faire. Ce que l’on doit, c’est s’adapter à cette situation. Pour être compétitif, il faut notamment travailler sur la productivité et la réduction des charges dans les exploitations.»
«Ok, les producteurs ont un boulot à faire sur leurs charges et leur compétitivité, mais pas eux tout seuls. On est plus que dans le rouge. Si cela continue, on va perdre une partie des gars. Il serait opportun de votre part de penser aussi que vous avez un effort à faire dans les coopératives en termes de compétitivité», s’indignait Pascal Foucault, producteur  de lait dans l’Oise.
«Arrêtons la polémique entre coopératives et producteurs, tempérait Olivier Thibaut, producteur et président de l’UPLP de la Somme. Si l’on veut avoir un prix du lait bien payé, il faut des coopératives fortes. Avançons ensemble si l’on veut sortir de la crise.»

Construire un vrai prix de filière
A défaut de pouvoir infléchir sur la volatilité des prix sur le marché mondial, il faut au moins rester dans la course. L’export de produits à valeur ajoutée et les produits frais sur le marché intérieur doivent être développés, proposaient les coopératives, «même si le marché export est très fluctuant», nuançait Frédéric Hennart, vice-président de Lact’Union.
«Pour arrêter la casse des prix, il faut mettre en place avec les gars de l’Europe du Nord un modèle Orlait sur le lait de consommation, ainsi qu’on le pratique sur le lait de consommation Marque de distributeur (MDD) 1er prix sur notre marché intérieur», disait Olivier Gaffet.
Sur ce marché intérieur, pour obtenir une augmentation des prix du lait, ils proposaient aussi d’agir ensemble auprès de la grande distribution et des pouvoirs publics, seul moyen pour les coopératives de répercuter ensuite intégralement l’augmentation des prix sur les producteurs. Neutraliser les importations et valoriser la consommation du lait hors foyer doivent être aussi discutés avec les pouvoirs publics et la grande distribution. «Ce sont les moyens à notre disposition pour construire un vrai prix de filière, car obtenir un prix politique pour vivre ne tient qu’un temps», faisait remarquer Olivier Gaffet.
Une autre piste, selon Luc Verhaeghe, serait d’établir un contrat à trois, soit entre le producteur, la coopérative et la grande distribution, pour définir un prix concordant avec le coût de production du lait, coût aujourd’hui non pris en compte dans le calcul de ce prix. «C’est peut-être utopique, mais il faut le tenter», disait-il. Pour l’heure, «il faut qu’on sécurise nos producteurs, disait, pour sa part, Olivier Vermes, président de Lact’Union. Pour ce faire, on est prêts à reporter certains de nos investissements».
Dans l’immédiat, pour éviter que les producteurs ne mettent la clé sous la porte, les fédérations de producteurs sont intervenues auprès des banques pour demander des aménagements de dettes et des reports d’annuités. Par ailleurs, elles se battent pour que soit appliquée la loi Hamon, la revalorisation des prix aux consommateurs avec retour direct et intégral aux producteurs, la neutralisation de l’importation du lait, la revalorisation de la consommation du lait hors foyer....
Pendant que ces pistes étaient débattues, la filière laitière était réunie à Paris, sous l’égide du ministre de l’Agriculture sur ces mêmes questions. Un accord sur les prix était trouvé (lire p. 6). Les engagements pris seront-ils tenus ? Point d’étape en septembre pour en avoir le cœur net.

Alain Gille, producteur de lait dans l'Oise et président de la FRPL
«On voulait leur faire part de la détresse réelle des éleveurs. Dans les régions où il y a essentiellement de l’élevage, un tiers des exploitations risque de disparaître, à cause des prix trop bas. Ces derniers temps, on n’a pas eu de complément de prix sur le prix d’acompte payé par les coopératives aux producteurs. Aussi l’intérêt est-il que le prix d’acompte soit au plus près du prix réel. On avait donc espoir d’avancer plus sur les prix. Cela n’a pas été le cas. Quant à leur stratégie sur le long terme, notamment concernant le modèle Orlait, ils doivent la mettre en place. Agir ensemble, je ne sais pas si l’on peut y arriver. Néanmoins, on est tous d’accord sur certains leviers à actionner, tels que l’augmentation des prix à la consommation - même si cela ne me plaît pas, il est difficile de faire autrement - , la neutralisation des importations, la consommation du lait hors foyer, ou encore l’intégration de l’indicateur des charges dans le calcul du prix payé, ce qu’autorise au demeurant la loi Hamon, mais qui n’est toujours pas appliquée.»

Olivier Thibaut, producteur de lait à Belloy-sur-Somme et président de l'UPLP
«Sur certaines choses, nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes avec les coopératives. Mais notre filière est trop fragile pour qu’on passe son temps à se déchirer. Je suis persuadé que l’on doit travailler plus entre producteurs et coopératives.
De toute façon, on a intérêt à le faire, car on travaille tous pour vendre notre lait au meilleur prix. On sait qu’on a des problèmes de compétitivité dans nos fermes. On doit s’y atteler chez nous et les coopératives doivent en faire de même. Tout aussi important est le fait que l’on se rassemble pour défendre notre cause devant les pouvoirs publics et la grande distribution.
Sur le long terme, je reconnais que je reste sur ma faim à l’issue de notre réunion.
Il y a toujours entre producteurs et coopératives une méfiance qui demeure. C’est dommage, parce que nous n’avons plus d’autre choix que d’avancer ensemble, sinon, on ne sortira jamais de cette crise.»

Olivier Vermes, président de Lact'Union
«Si les producteurs ont eu une véritable écoute sur la position que nous avons exposée de nos coopératives respectives, les crispations ont affleuré ensuite. Mais, globalement, l’échange a été constructif. On a collectivement conscience que l’on doit travailler ensemble. Mais dès que l’on parle du prix du lait, ça se gâte systématiquement entre nous. Pourtant, il me semble qu’il y a des combats autres à mener que sur les prix dans les prochains mois, même si la question du prix est importante.
Il faut savoir qu’avec la baisse des exportations chinoises, la logique diffère. On ne fabrique plus de lait UHT. Il nous faut donc encore plus valoriser la fabrication de beurre poudre.
Le prix B est d’ailleurs indexé sur la valeur beurre poudre. Et le prix que nous proposons aux producteurs correspond quasiment à l’identique à celui du marché mondial. Nous ne pouvons pas faire autrement, même si le prix proposé est très bas depuis la fin de l’année dernière.
Par ailleurs, on se bagarre tous les jours à la palette avec la grande distribution pour conserver les prix.
Notre stratégie, pour sortir de la crise, est de développer les produits à valeur ajoutée. De toute façon, nous n’avons pas d’autre choix, car nous sommes très impactés dans notre chiffre d’affaires sur la baisse de fabrication des volumes de lait UHT. Il faut donc compenser le manque à gagner sur les produits industriels en développant nos produits à valeur ajoutée. Le marché visé est le grand export.
Par ailleurs, dans cette situation de crise, il va falloir passer le cap et aider nos producteurs, peut-être en revoyant le report de certains investissements. C’est plus ou moins décidé. En termes d’aides directes et immédiates, la coopérative envisage d’ores et déjà de nouvelles aides à la trésorerie pour les éleveurs, comme nous l’avons dit à ces derniers, le 22 juillet, lors d’une rencontre avec eux à Abbeville. Il faut qu’on sécurise nos producteurs.
Je ne doute pas que la sortie de crise va finir par arriver. Le marché va forcément repartir à la hausse à un moment donné. Je dis cela car, à la vitesse à laquelle la courbe du prix s’est inversée, on peut avoir à tout moment un basculement de cette courbe dans l’autre sens. Ainsi est le marché.
Mais, on ne peut pas se contenter d’attendre que la situation change. Sur le moyen terme, nous devons avec les producteurs trouver les moyens d’amortir la volatilité des prix et les chocs en faisant pression sur les pouvoirs publics pour mettre en place des solutions fiscales et des possibilités d’assurances marges, ce qui se fait aux Etats-Unis, et qui marche pas mal du tout. Il faut aussi se battre pour obtenir des baisses sur les charges de structures. Il est temps, enfin, de faire l’Europe sociale.»

Olivier Gaffet, président de la région Nord à Sodiaal Union
«C’est déjà un premier pas dans une crise que de pouvoir discuter entre nous, même si cela devrait être naturel, mais ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas tous au même niveau sur la perception du marché. Aussi était-il important d’expliquer ce marché au cours de cette réunion. Globalement, l’échange a été constructif, même s’il y a eu de la friture sur la ligne.
La stratégie de Sodiaal par rapport à cette crise a été, dans un premier temps, de distribuer dès à présent 5 millions d’euros à nos adhérents sur les 6 millions de notre fonds constitué pour payer le lait d’été. Nous avons anticipé cette distribution, qui se fait d’ordinaire à l’automne, pour soulager leur trésorerie. On se penche aussi sur le capital social des adhérents qui en ont un. De même, on regarde fortement du côté du marché Euronex pour l’utiliser comme assurance afin de sécuriser nos prix. Pour diminuer la volatilité des prix, il nous faut travailler sur le marché à terme, ainsi que sur un contrat indexé sur le coût de production pour fixer au mieux les prix, comme sur le capital social. Ensuite, il nous faut retenir au maximum les baisses de prix face à la grande distribution, ce qui nous coûte parfois des volumes en place.
A l’échelle de toutes les coopératives, nous avons constitué trois groupes de travail. Le premier porte sur l’export du lait de consommation. L’idée est de construire un Orlait pour celui-ci. On le fait déjà sur le marché intérieur pour le lait de consommation
MDD 1er prix. Il nous faut le faire aussi sur l’export. Le deuxième groupe travaille sur l’ultra frais. Il faut monter un Orlait sur le marché intérieur. Quant au troisième groupe, il concerne la poudre et les ingrédients. Il y a pas mal de concurrence entre nous. Nous n’avons pas encore de pistes concrètes, mais l’idée est de se gendarmer entre nous.
Avec les producteurs, il faut neutraliser les importations, mais cela est leur boulot. Ensuite, nous devons nous battre pour trouver un accord national entre producteurs, coopératives et grande distribution afin d’augmenter les prix sur la consommation
MDD 1er prix. C’est le seul moyen pour répercuter intégralement cette hausse sur les producteurs. Enfin, la troisième piste que nous devons explorer ensemble est cette question de notre compétitivité. Nous sommes sur un marché dépressif où il y a trop de volumes de lait produits. Conséquence, le prix de ce produit d’appel est gelé et la distribution veut les prix les plus bas. Tant que nous serons dans cette guerre des prix au sein de la grande distribution, on aura du mal à s’en sortir.
Mais, comme je l’ai dit au cours de la réunion, je ne crois pas à la fixation d’un prix politique. Il faut arriver à imposer un prix de filière.»
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