Quelle place pour la Somme dans le futur paysage laitier ?
La restructuration laitière est en marche et mars 2015 marquera la fin des quotas laitiers.
Comment le département va-t-il aborder cette nouvelle problématique ? Un constat s’impose.
Le 31 mai dernier, les responsables professionnels des principales filières d’élevage se réunissaient et lançaient une grande réflexion autour de l’élevage dans le département à l’échéance 2020. En préalable, il est important de rappeler ô combien le département de la Somme a toujours été pionnier dans l’adaptation aux nouveaux enjeux et bénéficie d’atouts indéniables.
Les éléments de réflexion repris ci-après ne sont pas exhaustifs mais comportent une orientation plus adaptée à la production laitière.
Un œil dans le rétroviseur
Le 19 décembre 1978, l’Etablissement départemental de l’élevage (EDE) organisait déjà à Ailly-le-Haut-Clocher une «réflexion sur l’avenir de la production laitière dans le département». Près de 400 éleveurs avaient répondu présents. «Avoir 40 vaches laitières, oui…, si ... !» Tel était le thème de cette journée. Des sujets techniques tels que l’accroissement d’effectif, le respect des transitions et des équilibres alimentaires ou encore l’intensification fourragère étaient traités le matin. L’après-midi était consacré aux évolutions et aux perspectives d’avenir de la production laitière.
34 ans après, la majeure partie des propos de l’époque sont encore d’actualité. Toutes les recommandations techniques de base liées à l’alimentation, la reproduction, le suivi sanitaire et plus généralement la conduite du troupeau resteront toujours des fondamentaux qu’il faudra maîtriser pour pérenniser l’élevage.
Ne pas manquer le train du progrès
Le directeur départemental de l’agriculture (DDA) de l’époque, M Boscq affirmait que « les troupeaux de 40 vaches et plus seront vraiment les troupeaux de demain !» et qu’il ne fallait pas «manquer le train du progrès». En 1978, l’effectif moyen était de 18 vaches dans les exploitations de la Somme pour une production de 3 800 litres par vache. Aujourd’hui, il atteint 50 vaches en moyenne par élevage. Quel sera-t-il en 2020 : 60, 70, 100 ?
Marcel Deneux, figure emblématique du département et président de la Fnpl, concluait la journée par un discours net et précis sur les perspectives du marché laitier. Celui-ci reste entièrement d’actualité plus de trente ans après. «Il est sûr, disait Marcel Deneux, que l’Ouest du département a une carte à jouer de par ses structures, ses sols et son climat, mais l’Est doit aussi jouer la carte laitière du fait de la présence de nombreux sous-produits. L’avenir appartient à ceux qui seront formés et auront investi sur des schémas de demain et non d’hier. L’absence de formation humaine, technique et économique est le plus gros handicap que nous aurons à surmonter et nous devons nous y attaquer. Il faudra aussi, sans doute, repenser à la diffusion du progrès technique et de l’organisation du conseil agricole».
Le rédacteur de l’époque terminait son article paru dans l’Action Agricole Picarde du 19 janvier 1979, par ces quelques mots : «devant le progrès de la technique, face aux difficultés économiques, les éleveurs de la Somme ont montré par leur participation et leur attention qu’ils étaient désireux de faire face et de relever ce double défi : un Picard vaut bien un Hollandais !».
Opération «Lait 4 500»
Aujourd’hui, les éleveurs aspirent à une meilleure qualité de vie au même titre que les autres catégories socioprofessionnelles, mais dans le même temps, les conditions de travail se sont largement améliorées. Pour ne citer qu’un exemple, que penser de l’évolution des techniques de traite, avec le passage de la traite au pot au système de traite avec décrochage automatique ou même encore à la traite robotisée.
Les filles et les fils de cette génération d’éleveurs sont-ils différents ? A méditer !
Tout ce travail de l’époque était les prémisses du lancement le 10 janvier 1980 de l’opération «Lait 4 500». L’ensemble des responsables professionnels de l’époque affichait l’objectif d’amener la moyenne laitière départementale à 4 500 litre par vache en 1984 et de redonner un vent de progrès et de dynamisme aux éleveurs de la Somme.
Et aujourd’hui ?
Des atouts indéniables
De par sa localisation, le département dispose de conditions climatiques et agronomiques favorable à presque toutes les cultures. De même, les hauts niveaux de rendements de certaines cultures fourragères et la disponibilité en sous-produits ont un impact non négligeable sur le coût de production du lait.
Les systèmes de polyculture élevage, parfois source d’une concurrence préjudiciable au maintien de la production laitière, procurent des surfaces d’épandages importantes que nos voisins des pays du Nord nous envient.
Autre atout, nous disposons d’exploitations laitières déjà en partie restructurées et différentes enquêtes réalisées, en l’occurrence par les laiteries, montrent un certain potentiel de développement de la production. Tout ceci dans un tissu laitier encore présent, contrairement à certaines régions du Sud Ouest de la France où la désertification laitière est en cours, avec toutes ses conséquences économiques et sociétales.
Enfin, nous disposons de 6 millions de consommateurs proches (région parisienne et Nord Pas de Calais), le lait restant une denrée périssable.
Des éleveurs entrepreneurs
Déjà dans les années 70-80, les responsables professionnels et les services de l’Etat se félicitaient du fort engouement pour les plans de développement, avec plus de 500 réalisations. Une majorité de ces plans concernait la production laitière. Ont suivi les contrats territoriaux d’exploitations (CTE) où là encore le département, avec plus de 600 réalisations, a fait office de précurseur en la matière. Les Pmpoa, PAM, CAD… ont toujours constitué une sorte de performance dont il faut voir l’origine dans le volontarisme et l’esprit de concertation des organisations agricoles et de l’administration, et bien sûr dans l’esprit d’entreprise des agriculteurs du département.
Prenons encore le cas des aides à l’investissement dans le cadre du plan de modernisation des bâtiments d’élevage (Pmbe) et du plan de performance énergétique (PPE), co-financés par le Feader, l’Etat et les collectivités territoriales. Au final pour l’année 2012, c’est 51 dossiers qui ont été déposés dans la Somme pour les filières bovines. Ils totalisent un montant d’aides de plus de 600 000 €, soit près de 3 millions d’euros d’investissements. Auxquels s’ajoutent les investissements autour de l’herbe et des conditions de travail, réalisés dans le cadre du dispositif «Vivre l’Elevage en Picardie».
Côté innovation, les éleveurs du département ne sont pas en reste. C’est bien Claude Tellier et son épouse Agnès qui étaient à la tête du premier élevage français sur lequel un automate de traite a été installé. Cela se passait en 1993 et il s’agissait sur le plan mondial du quatrième prototype mis en place dans une ferme. Aujourd’hui, on dénombre plus de 50 exploitations en traite robotisée dans la Somme. Et encore bien des projets, il suffit de lire la presse locale où même nationale…
29 sociétés civiles laitières dans la Somme
Le niveau d’investissement et les contraintes d’organisation et de quantité de travail sont des freins au développement et même, dans certains cas, au maintien de la production laitière. Pourtant des solutions existent, tel que l’emploi d’un salarié partagé où la sous-traitance de certaines tâches (travaux de plaine, épandages…). De même, la mise en commun des ateliers de productions sous forme «article 24» ou SCL (société civile laitière) est une grande avancée en matière d’organisation du travail. Là encore les professionnels du département et l’administration ont largement contribués à leur mise en place. Après un départ difficile, la SCL a pris de l’ampleur, puisque 29 structures sont enregistrées à ce jour dans la Somme pour un total de 3738 vaches laitières.
Un objectif : 120 €/1 000 litres de coût alimentaire
De par leur professionnalisme et leur volonté d’entreprendre, les éleveurs de la Somme ont toujours su relever les nouveaux défis. Les dix prochaines années seront cruciales pour l’avenir de la production laitière de notre département. Il faudra s’armer pour gérer au mieux l’après quotas. Trop d’éleveurs ont encore des coûts de production trop élevés. L’alimentation, c’est le principal poste des dépenses, c’est souvent celui qui conditionne la rentabilité du troupeau, il mérite donc toute l’attention.
120 € /1 000 litres de coût alimentaire semble être un objectif à atteindre par tous. Pour y parvenir, les éleveurs doivent profiter des aides qui leur sont proposées et surtout se former, s’informer. Les partenaires des éleveurs sont là pour les aider, ces derniers ne doivent pas hésiter à les interpeler.
Comme lors de l’opération « Lait 4 500 », une dynamique doit s’engager pour préserver le travailde nos prédécesseurs et transmettre des outils performants et compétitifs aux générations futures. Le département de la Somme a encore un avenir dans la production laitière. Aux éleveurs de le prouver !
La disparité des résultats économiques
Avec une marge brute moyenne de 208 €/1 000 l (résultats Avenir lait-clôture 31 mars 2012), la campagne laitière 2011-2012 est marquée par une nette amélioration des résultats technico-économiques dans les exploitations de la Somme (+ 4,5 % par rapport à 2011).
Ces bons résultats s’expliquent principalement par le prix élevé du lait et par des prix des aliments qui restaient alors encore raisonnable.
Néanmoins, de grandes disparités apparaissent entre les résultats des exploitations de la moyenne et les résultats du quart supérieur. Comme à l’accoutumé il y a peu d’écart sur le prix du lait : 9 €/1000 l entre la moyenne et les meilleurs résultats depuis 2009.
Par contre, les résultats sont tout autres pour le poste «coût alimentaire» composé des aliments achetés et des fourrages produits (hors coût entreprise) pour l’alimentation du troupeau. Ce n’est pas moins de 22 €/ 1000l qui séparent la moyenne du quart supérieur.
Sachant que le coût alimentaire représente plus de 70 % des charges proportionnelles de l’atelier laitier, c’est donc sur ce poste que les marges de progrès sont les plus importantes et sur lequel il faut agir en priorité, surtout dans le contexte actuel ; et ce ne sera qu’un plus dans une conjoncture plus favorable… Les pistes sont nombreuses : productivité des surfaces fourragères, meilleure efficacité alimentaire des concentrés, conduite des génisses... Un coût alimentaire de 120 €/1000 l peut être raisonnablement fixé en terme d’objectif.
Enfin, l’analyse de la marge brute met également en évidence un écart de 50 € /1000 litres entre la moyenne et les meilleurs résultats.
Pour un quota de 400 000 litres, cet écart représente le coût d’un salarié à trois quarts de temps !
Cela étant, les prochaines clôtures seront marquées par l’effritement actuel du prix du lait et surtout par l’envolée du prix des matières premières. Il est donc indispensable de revoir le fonctionnement global de l’élevage afin de se fixer des objectifs cohérents en fonction des outils de production et des besoins de chaque exploitation. Chaque euro gagné sur les produits ou économisé sur les charges fera augmenter la marge brute et le résultat d’exploitation.