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Réduire ses émissions de GES, «ça ne coûte pas, ça rapporte»

L’engagement d’éleveurs dans le programme «Lait bas carbone» profite à la fois à améliorer le bilan carbone de la filière lait et la performance de leurs ateliers. Illustration sur la ferme de Jean-Michel Fournier, à Béthencourt-sur-Mer. 

Qu’est ce qui peut conduire un certain nombre d’éleveurs laitiers à s’engager dans une démarche de réduction des émissions de gaz à effet de serre et comment ils y parviennent ? C’est pour répondre à ces questions que le Criel Nord-Picardie-Ardennes et ses partenaires (Idele-Institut de l’élevage, AOPen Dairy, ACE, Oxygen conseil élevage, BTPL, Cerfrance et les laiteries régionales) organisent jusqu’au 16 juin une série de visites sur le terrain, à la rencontre d’éleveurs déjà impliqués. La première étape de cette tournée «bas carbone» s’est tenue mardi 1er juin, à Béthencourt-sur-Mer (80) chez Jean-Michel Fournier. 

 

Le carbone et ses conséquences

Dans une politique globale de lutte contre les effets du réchauffement climatique, la réduction des émissions de carbone des élevages est un enjeu important pour la filière lait, rappelle Élisabeth Castellan : «Depuis les années 1970, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) avec un effet sur les températures qui ont elles-mêmes un effet sur l’activité agricole (…) Sur l’élevage laitier en particulier, on constate une baisse de la productivité des vaches, un effet sur la pousse de l’herbe, un allongement de la durée de pâturage…» 

À l’avenir, «les projections disent que la production d’herbe va se maintenir, mais qu’elle sera plus compliquée à valoriser», poursuit-elle. L’agriculture elle-même est source d’émissions de GES, à hauteur de 19 % des émissions globales, derrière les transports, le tertiaire et l’industrie. Dans les Hauts-de-France, l’agriculture est responsable de 12 % des émissions de GES, derrière les transports et l’industrie. 

De par ses différentes activités, l’agriculture est toutefois aussi capable de capter du CO2, et contribue à limiter le changement climatique : «L’élevage, par exemple, rend un certain nombre de services en stockant du carbone dans les prairies et les cultures fourragères, contribue à améliorer la fertilité des sols, entretient des espaces naturels…» avance Mme Castellan. Au fil des années (entre 1990 et 2010), les éleveurs bovins, en particulier, ont réalisé un certain nombre d’efforts pour réduire leurs émissions de GES (- 11 %), avec une meilleure productivité laitière, des consommations d’énergie en baisse, des mises aux normes d’installations… Parmi les différents systèmes d’élevage laitier - plaine herbager, plaine herbe-maïs, plaine maïs -, chacun apporte une contribution quasi-comparable à la réduction des émissions de GES dans l’air.  

 

Des leviers pour améliorer son bilan

Pour accompagner une exploitation laitière lambda à réduire ses émissions de GES, plusieurs leviers sont activables : limiter le nombre d’animaux improductifs ; réduire les intrants ; privilégier le tourteau de colza à celui de soja. Contrairement à certaines idées reçues, limiter ses consommations électriques est le levier le moins pertinent, même si l’intérêt est ailleurs. D’une manière générale, souligne Élisabeth Castellan, «il n’y a pas de solution unique». Est-ce qu’enfin, s’engager dans une démarche de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre coûte «cher» ? «Non, poursuit la technicienne de l’Idele. Ça ne coûte pas, ça rapporte.» Et de constater que «d’une manière générale, les fermes laitières bas carbone ont une meilleure performance économique que les autres». Dans un élevage laitier produisant 440 000 litres par an, l’économie peut ainsi être de 13 000 €. 

Des gains grâce à une maîtrise des charges

Sur son exploitation de Béthencourt-sur-Mer, Jean-Michel Fournier fait partie «des éleveurs qui sont déjà bons, mais qui cherchent encore à serrer la vis», dixit Élisabeth Castellan. S’il s’est engagé dans la démarche «lait bas carbone», avec réalisation d’audit et plan d’actions, c’est pour, affirme-t-il, «avoir un regard différent sur mon exploitation», et une volonté «d’avoir une approche plus environnementale». 

Réduire ses émissions de GES a été la première des motivations pour celui qui est également engagé dans une démarche d’alimentation de ses animaux sans OGM. Le bilan Cap’2ER qu’il a réalisé lui a ainsi permis de savoir que son exploitation – 157 hectares de SAU répartis en trois tiers (prairies permanentes, maïs et cultures de vente), 136 vaches laitières pour 1,3 million de litres de lait, un atelier d’engraissement de ses veaux mâles -, permet ainsi de nourrir 36 personnes par hectare de SAU, de stocker l’équivalent de 359 kilos de CO2 par hectare de SAU, d’entretenir 0,8 équivalent hectare de biodiversité par hectare et émet 12 208 kilos équivalent hectare de CO2 par hectare. 

Les pistes d’amélioration qu’il a choisies sont, quant à elles, multiples : diminuer le nombre de génisses élevées, augmenter la productivité de chaque vache en lactation, meilleure gestion des effluents d’élevage, optimisation de la fertilisation minérale des surfaces dédiées aux cultures de vente ou encore installation d’un pré-refroidisseur. Ces engagements et investissements cumulés devraient lui permettre dans un délai de cinq ans d’économiser quelque 842 tonnes de CO2, passant de 0,8 kilo équivalent CO2 par litre de lait à 0,74 kilo équivalent CO2, et un gain de 29 172 €, «rien que par la maîtrise des charges», explique-t-il.

Une démarche globale

Du côté de la laiterie (Lact’Union) qui collecte la production de l’atelier de Jean-Michel Fournier, l’engagement dans la démarche lait bas carbone est également bien vue, et encouragée. Si la coopérative Lact’Union ne rémunère pas davantage à ses adhérents grâce à cela, Sébastien Grimonpont explique que cet engagement lui permet toutefois d’en tirer une meilleure valorisation auprès de ses clients. L’engagement «bas carbone» ne fait ainsi pas partie – pour combien de temps encore ? – des critères qui entrent dans les négociations commerciales mais, assure-t-on chez Lact’Union, cela s’inscrit dans une démarche d’amélioration globale de la qualité du lait.

 

Vendre des crédits carbone, c’est déjà possible

S’il est admis qu’une exploitation agricole, y compris sur laquelle se trouve un atelier d’élevage, émet des gaz à effet de serre, force est de constater qu’elle est également en capacité d’en stocker. Lorsqu’elle est négative, c’est-à-dire quand la ferme en capte plus qu’elle n’en émet, la différence entre le carbone émis et le carbone stocké est converti en crédits qui peuvent être vendus à d’autres entreprises, d’autres secteurs d’activité en demande pour améliorer leur empreinte environnementale. Pour Élisabeth Castellan, «il s’agit d’entreprises qui veulent aller plus loin que ce que la réglementation leur impose». Dans la région Hauts-de-France, c’est l’AOPen Dairy qui est chargée de commercialiser ces crédits carbone issus de l’agriculture tandis qu’à l’échelle nationale, la démarche est coordonnée par France carbone association. Pour un éleveur engagé dans une démarche «bas carbone», des engagements concrets sont requis : il faut ainsi, par exemple, pouvoir justifier du maintien de prairies permanentes, de linéaires de haies ou encore apporter la preuve d’un apport d’azote organique inférieur à 170 unités par hectare. Un contrat tripartite entre l’éleveur, l’AOPen Dairy et France carbone association permet de formaliser les choses. Jean-Michel Fournier s’est engagé sur un volume de crédits carbone de 850 tonnes sur cinq ans. S’il parvient à atteindre cet objectif, il peut espérer une rémunération de 25 500 €. L’engagement moyen des fermes de la région des Hauts-de-France parties prenantes du premier appel à projet lancé en ce début d’année est de 400 tonnes. 
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