Régulation foncière et compétitivité
Le congrès des Safer, qui s’est tenu à La Rochelle, les 3 et 4 décembre, a consacré sa première journée à une réflexion sur la nécessité de concilier régulation foncière et compétitivité des exploitations agricoles.
La politique de régulation foncière, autrement dit la «politique des structures», menée en France depuis des décennies a rempli sa mission : éviter que l’agrandissement des exploitations agricoles se traduise par un accroissement des inégalités entre elles. Selon une étude de l’Inra de Rennes, présentée par Laurent Piet, le 3 décembre, au congrès des Safer, en 1990, 20 % des exploitations françaises cultivaient 60 % des hectares agricoles et, en 2010, vingt ans plus tard, 63 %. La répartition n’a donc guère changé.
En la matière, la France est un pays plutôt égalitaire, même si la surface des exploitations n’est pas toujours corrélée avec leur dimension économique. Selon les mêmes sources, elle l’est moins que l’Irlande et la Finlande, pays où 20 % des exploitations cultivent seulement 50 % des terres agricoles, mais elle l’est plus que les anciens pays communistes comme la Bulgarie, la Slovaquie, la Hongrie ou la République tchèque où ces 20 % en rassemblent 95 %.
Selon Eurostat, en 2010, ces 20 % regroupaient 88 % des terres cultivées dans l’Union européenne mais, surtout, les plus de 100 hectares - moins de 3 % du total - mettaient en valeur plus de la moitié, du fait, entre autres, de la persistance de «grandes structures» mises en place par les régimes communistes. Mais la situation évolue.
En Allemagne, de grandes exploitations sociétaires se constituent dans les lander du Nord Est (ex-RDA). Elles sont issues du démembrement progressif des grandes fermes d’Etat, dont les terres sont souvent rachetées par des non-agriculteurs. Le phénomène fait son apparition dans notre pays, comme l’a rappelé le président de la FNSafer, Emmanuel Hyest, à La Rochelle : «Des structures naissent, parfois portées par des capitaux extérieurs à l’agriculture. Si, dans un premier temps, la justification devait être la réduction des coûts d’exploitation, ces gains sont cependant obérés par un coût exorbitant de la reprise. Dès lors, la seule rentabilité se trouve dans la spéculation. Des unités d’exploitation de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’hectares, apparaissent en France.»
Nécessaire régulation des sociétés
De toute évidence, la poursuite de cette tendance marquerait la fin des exploitations dites «familiales» du fait que les capitaux y sont détenus par les membres de la famille. Elle ne peut que favoriser l’uniformatisation de la production agricole, et même, à terme, mettre en danger l’autonomie alimentaire de la France et de l’Europe ; les mises en production pouvant dépendre de décideurs lointains peu sensibles au sort des habitants de ces régions. Alors que la compétitivité n’exige pas de telles structures.
Comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, elle ne signifie pas produire «au plus bas coût». Elle est un optimum, et celui-ci peut varier selon plusieurs facteurs : qualité des produits, protection de l’environnement, stabilité et sécurité alimentaire, adaptation du produit agricole à un usage particulier, etc. C’est pour éviter ce qu’ils considèrent comme une dérive que les responsables des Safer qui, dès l’an prochain, seront informés des mouvements de parts au sein des sociétés agricoles - qui, désormais, exploitent la plus grande part des terres agricoles - demandent de pouvoir les contrôler chaque fois qu’elles ont pour résultat de changer l’équilibre des détenteurs.
Par exemple, en cas de vente de plus de la moitié des parts ou de mouvement ayant pour effet de placer plus de la moitié des parts sur une seule tête. «Nous ne remettons pas en cause la forme sociétaire. Bien au contraire : la société familiale, permettant la transmission progressive à l’exploitant, est naturellement à privilégier. Les sociétés doivent cependant être soumises à la même régulation que les autres exploitations», a conclu le président Emmanuel Hyest.