S'adapter, la clé de l'agro-écologie ?
Depuis 1994, les agriculteurs du Ceta Hauts de Somme travaillent à la meilleure équation entre rentabilité de leurs exploitations et préservation de l’environnement.
«L’agro-écologie ? Un mot à la mode pour désigner notre agriculture de tous les jours», affirme Guillaume Henne, président du Ceta (Centres d’études techniques agricoles) Hauts de Somme. Le terme ne fait pas partie du langage courant des soixante-quatre agriculteurs adhérents, mais leurs pratiques visent pourtant bien à diminuer les pressions sur l’environnement.
L’objectif de tous est d’abord d’obtenir de bons rendements, avec un minimum de charges. Le tout, en veillant à ce que «les gens se sentent bien avec ce qu’ils font». Certains sont engagés individuellement dans des démarches environnementales. Comme Guillaume Henne, polyculteur à Moislains, certifié Global GAP (Good agriculture practice, une reconnaissance internationale des bonnes pratiques), pour ses pommes de terre.
Dans le rôle du «médecin généraliste» du Ceta, Alexandre Klein, technicien et conseiller, sillonne les quelque 11 000 hectares des adhérents, dans un secteur de 20 km autour de Péronne. Un travail de recherche de systèmes «polyvalents et adaptatifs», assure-t-il. Car le climat est variable, et les agriculteurs - dont seulement trois éleveurs - ont des techniques différentes : labour, non-labour, traitements à bas volume, etc. «Nous voyons cette multitude comme un enrichissement dans nos échanges.» Les systèmes qui fonctionnent le mieux ? «Tout dépend de l’agriculteur et de sa motivation.»
Parmi les initiatives : le choix de variétés plus résistantes aux maladies, l’optimisation des couverts végétaux, ou encore l’utilisation de compost pour remplacer la fumure minérale. «Il coûte moins cher et il est riche en carbone et en azote.» Eléments dont sont friands les organismes vivants du sol.
Autre exemple, la vieille bineuse de Guillaume Henne n’est pas prête à prendre sa retraite. «On a toujours fait du binage des betteraves, car un binage vaut deux arrosages et supprime un désherbage.» Pour éviter la stimulation de pousse des adventices, à réaliser «soit avant la fermeture des rangs, soit à 6 ou 8 feuilles avant un désherbage chimique».
Les pratiques des agriculteurs du Ceta évoluent sans cesse. «Traditionnellement, quelques-uns labouraient leurs terres rouges en novembre. Ils ont intégré qu’ils pouvaient parfois s’en passer. Cette année, la préparation du sol s’est faite par deux déchaumages, en été et en décembre, un couvert végétal, et le gel a fait le reste du travail.»
Projet Casdar
Pour pousser ses recherches, le Ceta s’est récemment lancé dans un projet Casdar (Compte d’affection spécial au développement agricole et rural), que pilote la Chambre d’agriculture de la Somme. Il regroupe une dizaine d’agriculteurs aux pratiques différentes. Chacun d’eux met une parcelle à disposition, qui est passée au crible : profil cultural, analyse biologique et physico-chimique… «Nous dressons l’état initial, puis nous mettons en place un suivi pour améliorer la vie du sol.» Rendez-vous dans trois ans pour plus de résultats.
Dans ce cadre, Guillaume Henne a fourni une parcelle qu’il n’a pas labourée depuis dix ans. «Une terre argileuse à silex, difficile à travailler au printemps», explique-t-il. Lui essaie de labourer le moins possible ses 250 ha. Mais pour certaines cultures, comme les betteraves, ou certaines années trop pluvieuses, le polyculteur n’hésite pas à ressortir sa charrue. «Pour moi, l’agro-écologie, c’est surtout de s’adapter au contexte. Et c’est d’abord de l’agronomie, cœur de notre métier.»
Engagés depuis les années 1970
L’ancêtre du Ceta était un GVA (Groupements de vulgarisation agricole), géré par la Chambre d’agriculture de la Somme. Lorsqu’un terme a été mis aux GVA, en 1994, est né le Ceta Hauts de Somme. Parmi les actifs de l’époque, Jacques Henne, le père de Guillaume, témoigne : «On a créé le groupe dans les années 1970, car nous voulions un conseil indépendant. La motivation était économique, mais déjà aussi environnementale.» Parlaient-ils agro-écologie ? «On parlait beaucoup de travail du sol. On essayait de réduire les doses et d’utiliser le moins de phytos possible. On n’a rien inventé. Aujourd’hui encore, on ressort les outils qu’on avait mis de côté pendant un temps.»