Stéphane Travert : «On mise plus sur le contrat que sur la contrainte»
Grand témoin du mois : Stéphane Travert. Le point après les réunions de la Commission du développement durable sur le titre II du projet de loi des Etats généraux de l’alimentation.
Quels sont les amendements votés sur les produits phytosanitaires ?
L’objectif est d’en diminuer fortement les usages, pour protéger la santé des agriculteurs et des consommateurs, ainsi que l’environnement. Nous souhaitons le faire en séparant le conseil et la vente des produits phytosanitaires. De même, nous avons introduit l’interdiction de rabais, de remises et de ristournes sur la vente de ces produits. Il y a des changements de pratiques agronomiques à mettre en avant, ainsi qu’une agriculture de précision, une agriculture connectée, et ce que proposent les agriculteurs, notamment le «contrat de solutions» initié par la FNSEA. On mise plus sur le contrat que sur la contrainte.
Les discussions de la commission à ce sujet ont été très politiques, notamment sur le glyphosate. Sous la pression de la France, l’Europe a ramené son autorisation à cinq ans plutôt qu’à dix ans. Le président de la République porte même, pour la France, une ambition à trois ans sur la sortie du glyphosate. La mobilisation de la recherche et des instituts techniques doit permettre de ne laisser personne sans solution viable et abordable. Il faut construire une trajectoire. Idem pour les amendements d’appel comme les néonicotinoïdes. Tout cela sera traité et intégré dans le plan de sortie des phytosanitaires sur lequel nous travaillons, et qui sera annoncé bientôt. Certaines propositions passeront par la loi, d’autres pas. Dans tous les cas, on a quelque chose à construire ensemble. Ce n’est pas à l’Etat de le faire seul.
Un amendement a été voté sur l’article 11 pour étendre l’obligation de produits bio, de qualité et locaux dans la restauration collective publique à la restauration collective privée. Est-ce concrètement possible et pourquoi l’Etat souhaite retravailler le sujet ?
La promesse de campagne du président de la République est respectée. Pour l’extension à la restauration collective privée, le gouvernement est favorable à une extension aux établissements ayant une mission de service public. Reste que la difficulté est de trouver l’approvisionnement : comment, demain, structurer et massifier l’offre de produits bio, de qualité ou locaux ? Il faut encourager les agriculteurs à se convertir au bio et à monter en gamme, mais aussi, pour la viande, par exemple, installer des ateliers de découpe et de transformation, ou encore favoriser les circuits locaux à partir de projets territoriaux. Ce sont sur ces thématiques que le gouvernement travaille.
L’angle d’attaque est bel et bien l’amélioration de la qualité alimentaire. Pourquoi, alors, êtes-vous opposé à l’étiquetage sur les animaux nourris sans farines animales et élevés sans antibiotiques ?
La loi interdit déjà les farines animales depuis 1994 et les antibiotiques comme promoteurs de croissance depuis 2006. Cela n’existe donc plus en Europe. Accepter cet amendement reviendrait à étiqueter toutes les viandes européennes. Pour ce qui concerne l’étiquetage en général et l’information du consommateur, j’ai demandé au Conseil national de l’alimentation de mener une expérimentation. Par exemple, vous pouvez faire des animaux dits «élevés à l’herbe» alors qu’ils ne sortent jamais dans les pâturages. Il faut donc bien réfléchir avant de se lancer. Par ailleurs, certaines filières pratiquent déjà un étiquetage dématérialisé telles les filières viticole et pêche.
L’article 8 porte sur la coopérative agricole. Il incite à plus de transparence dans les résultats des coopératives. Pensez-vous cela réellement possible ?
Notre méthode est toujours la même : celle de la concertation.
Un autre amendement a porté sur l’arrêt des élevages de poules pondeuses en cage à compter du 1er janvier 2022. Est-ce bien réaliste ? Ne craignez-vous pas de déstructurer la filière avec un délai si court ?
C’est un engagement du président de la République qui sera tenu. Là aussi, on travaille sur une trajectoire pour ne pas mettre la filière en difficulté. Celle-ci s’est emparée du sujet dans son plan de filière. L’idée est de développer les modes d’élevage alternatifs. Mais se pose en effet la question du foncier et des producteurs qui ont investi pour se mettre aux normes européennes en 2012, et qui remboursent encore leurs prêts. Ce sont des éléments que nous prenons en compte. Nous demandons aussi à la grande distribution d’entrer dans une démarche de contractualisation avec les producteurs. Les enseignes se sont engagées auprès de leurs consommateurs et elles doivent accompagner les producteurs dans cette transformation en leur donnant de la visibilité sur les prix et les volumes.
A ce sujet, le plan d’investissement de cinq milliards fléchés pour l’agriculture sera décliné de quelle façon ?
Trois milliards seront consacrés à l’amont pour la filière agricole et forestière. Sur ces trois milliards, de nouveaux outils diversifiés seront proposés tels que des prêts de garantie de financement sous forme de subventions pour le développement et la diffusion des innovations et le soutien des outils de transformation. Ce sera un fonds de garantie pour les prêts aux exploitations agricoles afin de faciliter leurs prêts bancaires. Ensuite, 1,5 milliard sera destiné à l’aval, dont 100 millions pour la méthanisation et 4 millions pour du coaching destiné aux entreprises dans leurs démarches d’export. Enfin, 500 millions seront dédiés à l’innovation. Ce plan sera détaillé dans les semaines prochaines.
Pour finir, pouvez-vous garantir que le projet de loi passera bien à l’Assemblée nationale du 22 au 24 mai en dépit de l’actualité ferroviaire, qui a déjà retardé son traitement ?
Oui, c’est une certitude. On est dans les temps. Il passera ensuite au Sénat au début de l’été et son adoption aura lieu fin juillet.