Une fin de moisson compliquée et éprouvante
Le pessimisme gagne sur le plan organisationnel et économique.
Quinze jours de pluie sans quasiment la moindre fenêtre, sauf les (trop rares) microsecteurs qui ont pu être épargnés çà et là, et la moisson 2014 vire au cauchemar. Agronomie et économie s’entremêlent dans un cercle vicieux qui fait dévisser le potentiel économique de ce qui a été récolté, et plus encore, des récoltes toujours en terre.
15 à 20% des blés encore à récolter
Sur le département, entre 15 et 20% des surfaces de blé sont encore à récolter, avec un gradient allant de 5% à l’Est (zone Sana Terra) à 40-60% dans le Vimeu, depuis Hornoy jusqu’aux bas-champs. «Cette année, on ne parle même pas du rendement», annonce d’emblée Jean-Luc Florin, de Noriap, car même si celui-ci s’est jusqu’à présent maintenu à un niveau correct, proche de 90 quintaux en moyenne sur le département, il ne suffit pas à occulter le problème économique avéré ou à venir. Après les premières récoltes de blé précoce, pour lesquels la pré germination de fin de cycle a pu altérer la qualité boulangère, la tranche suivante de récolte retrouvait çà et là des caractéristiques normales… qui sont à présent mises à mal par les vagues d’eau successives. Tant et si bien qu’on s’oriente vers une segmentation du marché du blé par le bas.
«Il y aura probablement 3 catégories, commente Patrick Lechantre de Calipso : les meuniers, avec un «m minuscule», qui auraient encore un PS supérieur à 74 et un indice de Hagberg de l’ordre de 180 ; les fourragers pour lesquels le PS ou le Hagberg aura chuté, mais avec moins de 5% de germés ; et les germés…».
Concernant la première catégorie, Benoît Dewas, directeur de Sana Terra, souligne l’adaptation du marché industriel national : «les amidonniers se sont organisés pour pouvoir proposer un marché, certes avec une grille de décote, et cela va un peu soulager le marché. Par contre, pour l’heure, les acheteurs étrangers, notamment les meuniers, sont inflexibles».
«Pour y voir plus clair, il faut finir la récolte, souligne Jean-Luc Florin, déjà, il faut connaître la nature exacte de la marchandise qu’on aura à commercialiser. Ensuite, les grains vont aussi se stabiliser et ils peuvent être un peu plus faciles à travailler». Donc, l’urgence est à finir la récolte et le salut viendra en grande partie du ciel.
Grosses inquiétudes sur les pois
Avec un rendement initial de l’ordre de 50 quintaux, la culture de pois inquiète fortement sur les parcelles non récoltées, dont les organismes stockeurs se demandent ouvertement aujourd’hui si elles seront même récoltables tant elles sont plaquées. Cela concernent encore 10% des surfaces départementales.
Fin de récolte compromise en semences
Les graminées et autres semences sont à la même enseigne : le potentiel était bon pour ce qui a été récolté, jugent Géraldine Briet (Semences Fourragères de Picardie) et Yves Defente (Benoist Sem), avec une incertitude cependant sur le taux de déchet.
Mais pour les parcelles non récoltées en vesces ou en ray-grass anglais gazon, encore une semaine de mauvais temps et il pourrait être question de ne plus pouvoir les récolter, entre un potentiel malheureusement fort égrené, et une végétation tout simplement non rattrapable par les machines. L’espoir demeure encore pour les parcelles de ray-grass anglais fourrager tardif, mais là encore, il s’effrite.
Lins : pas encore en péril…
Pour les lins textiles, 5% de la surface a été rentrée, estime Vincent Delaporte (Calira), pour qui il n’y a pas encore péril, mais il y a urgence. «Il faut distinguer deux situations : en priorité, les lins arrachés tôt (avant le 10 – 12 juillet), et déjà retournés une fois : ceux-là doivent être dès que possible retournés et liés. Pour les autres, arrachés sur la deuxième quinzaine, l’urgence est à les retourner une première fois : l’eau a fait avancer le rouissage, mais il faut homogénéiser l’autre face. Pour l’heure, hormis les graines pour lesquelles l’écapsulage n’est plus envisagé, le potentiel de fibre n’est pas vraiment altéré depuis l’arrachage (il l’a été auparavant par la verse), mais il est plus qu’urgent de pouvoir travailler, de garder les parcelles propres et «faire tourner au maximum le parc de retourneuse». «On sait bien que les blés focalisent l’attention, mais le potentiel est encore là, les marchés sont bons et la récolte 2014 ne les alourdira pas. Alors, il faut aussi se donner les moyens de réussir ses lins», conclut le directeur de la Calira.
Alors qu’en ce milieu de semaine le soleil percait à nouveau sur la majorité du département, l’Ouest recevait encore une averse ce mercredi. Dans cette zone, les entrepreneurs estiment avoir entre 3 et 6 jours de récolte encore à effectuer, qu’il est impossible de planifier correctement et sereinement.
Diffficile dès lors d’imaginer une issue favorable et rapide. Gageons qu’à cours terme la situation s’améliore…
La Fdsea organise l’entraide
Face aux difficultés de masse, la Fdsea met en place une plateforme d’entraide pour venir en renfort aux agriculteurs qui ont besoin de capacité de battage, soit en raison de proportions encore importantes à récolter, soit pour gérer les concurrences des travaux à venir. Un numéro pour recenser les offres et les demandes : 03 22 53 30 65. Marion Martin (service syndical) met en relation les demandeurs et les offreurs. Lancé par mail et sms mardi dernier, plus d’une dizaine d’offreurs s’étaient immédiatement manifestés.
REACTION
Françoise Crété, secrétaire générale de la Fdsea et présidente du CO élevage de la Chambre d’Agriculture
L’élevage pour valoriser au mieux, pour tous
La récolte des blés va être de mauvaise qualité ; c’est une certitude, du moins pour partie. Nous devons tous chercher la meilleure valorisation possible, mais les interlocuteurs de nos organismes stockeurs ne vous feront pas de cadeau. Plutôt que de brader notre blé à tous, et de racheter parfois hors de prix nos aliments, nous devons nous réinterroger sur notre propre opportunité d’autoconsommation. Autoconsommation, ce n’est pas forcément chacun son tas et son aplatisseur ; ça peut être aussi «réactiver» une forme de circuit court avec nos propres outils de stockage et d’aliments. Pour cela, il nous faut revoir au plus vite les opportunités d’adapter nos rations, et trouver les solutions les plus pratiques pour tous. Dès la semaine prochaine, vous trouverez dans ces pages des références alimentaires alternatives et collectivement, nous travaillerons à trouver dans notre zone de polyculture-élevage les moyens de valoriser au mieux en local et tirer le moins mauvais parti pour chacun d’entre nous de cette situation compliquée.