Vergers écoresponsables : la Fredon travaille sur une lutte innovante contre la tavelure
Lors de sa journée technique vendredi dernier à Loos-en-Gohelle, la Fredon a fait un point sur les lipopeptides, des molécules d’origine naturelle extrêmement prometteuses.
Remplacer les fongicides de synthèse par des molécules d’origine naturelle et biodégradables : c’est le but des recherches du docteur François Coutte, chercheur à l’Institut régional Charles Viollette, présent à une journée technique de la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) Nord-Pas-de-Calais, le 14 septembre dernier à Loos-en-Gohelle.
Il a présenté le résultat de travaux effectués dans le cadre du projet européen Interreg V SmartBioControl : les lipopeptides, produites par des bactéries du sol, plus précisément par Bacillus subtilis. Ces petites molécules très prometteuses ont pour particularité d’être antifongiques, sans incidence pour l’homme et biodégradables.
Il a fallu deux vagues d’essais en 2014 et en 2017, en serres et au champ, pour arriver à une conclusion qui fera rêver tous les signataires du mouvement «Nous voulons des coquelicots». «Les effets que nous avons mesurés sont sur le blé, la tomate, la vigne, la laitue, les poireaux et la pomme de terre, décrit le jeune chercheur. Les résultats sont aussi bons, voire meilleurs qu’avec des antifongiques chimiques.»
Des molécules tendance
Découverts en 1949, les lipopeptides sont un projet d’étude extrêmement important aujourd’hui. «Dans le monde, il y a une publication à ce sujet par jour», précise François Coutte. Car tout semble converger vers ce genre de solutions : «La population demande une alimentation plus saine. L’agriculture biologique est en plein essor. Les agriculteurs sont de plus en plus conscients des risques de la chimie. La pression réglementaire s’accroît sur les substances chimiques… On estime que le marché des biopesticides sera multiplié par deux d’ici 2023.»
C’est par fermentation de Bacillus subtilis qu’on obtient des lipopeptides. Premier écueil rencontré par l’équipe de chercheurs : la maîtrise du procédé de production de lipopeptides en quantité. Car, pour se développer, la bactérie a besoin d’oxygène. Solution la plus facile :
le bullage d’air et l’agitation. «Mais les lipopeptides sont aussi des tensioactifs.» Résultat : soirée mousse dans l’éprouvette, une situation ingérable pour une production à grande échelle. «L’usage d’un antimousse n’étant pas bon pour la cellule, il a fallu trouver autre chose. On a donc utilisé un contacteur air/liquide à membranes.»
Utilisé en station d’épuration, sur des oxygénateurs de sang ou dans tous les cas où on a besoin de diffuser de l’oxygène sans bulle, la technique s’avère efficace. «Cela nous a permis d’avoir des quantités non négligeables de produit de 1 à 10 g, et d’envisager des essais en laboratoire.»
Le fabuleux destin de la mycosubtiline
Les lipopeptides intéressants pour le biocontrôle sont au nombre de trois : la surfactine, la fengycine et l’iturine ou mycosubtiline. C’est cette dernière qui donne les résultats les plus probants, avec quasiment 80 % d’efficacité sur les échantillons qui la contiennent. Bilan : une protection qui vaut celle des antifongiques chimiques, voire une amélioration du rendement de 10 à 15 %.
L’institut Charles Viollette brevète ces molécules en 2011. De là naît Lipofabrik, une start-up fondée fin 2012 par le professeur Philippe Jacques et son confrère le docteur François Coutte. La start-up travaille actuellement à la commercialisation de la mycosubtiline en tant que molécule active, qu’elle aimerait mettre sur le marché en tant que fongicide d’ici trois ou quatre ans.
Elle ne vendra pas en direct, mais fournira les producteurs de produits phytosanitaires, qui se chargeront de la formulation finale des produits. «Nous avons commencé les essais qui nous permettront d’être homologués au niveau européen. Il faut un certain nombre d’essais toxicologiques et au champ dans trois régions différentes de l’Europe, avec trois années de répétition. Cela nous mènera vite jusqu’en 2022.»
Lipopeptides : sur les pommes aussi
Egalement responsable scientifique du projet AgriBioPom, François Coutte et les équipes de la Fredon ont également présenté, le 14 septembre, les résultats «très concluants» des tests menés en verger. Ce projet régional initié par l’Institut Charles Viollette, et mené en partenariat avec la plateforme Bicel, la Fredon Nord-Pas-de-Calais et l’Isa, vise à développer l’utilisation des lipopeptides pour lutter contre la tavelure du pommier en agriculture biologique.
Commencés en avril avec une récolte cette semaine, les tests effectués dans le verger de la Fredon, à Loos-en-Gohelle, se sont avérés aussi concluants qu’avec la référence cuivre utilisée en bio, et aussi bons, voire meilleurs qu’avec le produit Sérénade de Bayer. Une deuxième session d’essais sera menée en 2019 pour confirmer ces bons résultats, qui pourraient, à terme, être exploités par Lipofabrik.