Agriculture biologique : la reterritorialisation, une opportunité
Pour accroître la production et répondre ainsi à une demande de produits issus de l’agriculture bio, la reterritorialisation de celle-ci serait une piste.
«L’agriculture biologique a le vent en poupe. Elle s’inscrit dans un changement sociétal global», s’est réjoui Frédérique Denhez en ouverture des 11e Assises de l’agriculture biologique, le 27 novembre dernier. En effet, la demande pour des produits issus de l’agriculture biologique est grandissante, comme en témoigne la dernière étude menée par l’Agence Bio, qui révèle que 75 % des Français veulent plus de bio à la cantine, dans les collectivités et, plus largement, dans leur environnement.
Néanmoins, la filière peine à répondre à cette demande, et le frein au développement de la consommation de produits bio réside dans une offre encore trop réduite. Dans son intervention de clôture, Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, a donc appelé de ses vœux un accroissement des surfaces certifiées. Le ministre assure que l’objectif de 20 % de la SAU (Surface agricole utile) française en bio reste une priorité gouvernementale.
Les orateurs de la première table ronde de la journée d’échanges, ainsi que l’auditoire, se sont interrogés et ont apporté leurs éclairages sur les défis futurs et la valeur de l’agriculture biologique. «L’agriculture bio est porteuse de valeur et créatrice de sens», a soutenu Gérard Michaud, président de l’Agence bio, en amont de cette dernière.
Réconcilier tous les domaines
Plusieurs catégories de «valeurs» ont été explorées par les participants. Ces «valeurs» touchent les domaines de l’environnement, de la santé, ainsi que les volets «social» et «territorial». Ce dernier a d’ailleurs été largement évoqué par les intervenants. Olivier de Schutter, d’Ipes Food, présente la reterritorialisation de l’agriculture comme une opportunité pour la progression de l’agriculture biologique, qu’il inscrit dans une démarche plus large, intégrée dans le développement de systèmes alimentaires durables.
Luc Jalenques, producteur de plantes médicinales et membre de la Sicarappam, a adhéré à ces propos. Il ajoute même que «l’enjeu du bio est de faire vivre les territoires, et qu’il doit pour cela pouvoir s’appuyer sur des politiques de proximité. Il faut réconcilier les dimensions sociales, environnementales et politiques».
Un constat, là aussi, partagé par Guislain Cambier, président du Parc naturel régional de l’Avesnois (Hauts-de-France). Il raconte que l’agriculture biologique a été naturellement incluse dans le projet de parc naturel dont il est le président. «Le bio est une manœuvre pour protéger notre ressource en eau», poursuit-il. Dans ce territoire, la SAU certifiée AB a été multipliée par dix.
Pour favoriser les filières locales et la reterritorialisation, la coopérative Biolait a, elle, fait le choix de maximiser l’autonomie alimentaire de ses adhérents et de leur interdire de nourrir leurs animaux avec des sojas importés.
Faune locale : un «système d’alarme»
Plus loin de nous que le nord de la France et la laiterie Biolait, le parc de Kibale, réserve naturelle située en Ouganda qui abrite une grande biodiversité, et notamment mille chimpanzés, s’est aussi doté d’une stratégie territoriale, tournée vers le bio pour protéger les espèces présentes, mais aussi la population locale. Il a en effet été observé que la culture intensive, en partie de thé, et les pesticides, utilisés en grande quantités, semblaient responsables de malformations congénitales chez les singes.
Les chimpanzés sont devenus le symbole du projet «Forêt-faune-population en Ouganda», porté par Sandrine Krief, primatologue et professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Ce projet local de développement d’une filière bio de thé met en lumière «la valeur santé» de la bio. «Il a été pensé avec et pour les populations locales», souligne la primatologue.
«La valeur du bio réside dans son ancrage territorial», confirme Ronan Le Velly, professeur de sociologie à Montpellier SupAgro, préfère usuellement parler de projet plutôt que de valeur, car le terme projet renvoie à une idée de collectifs et d’acteurs «actifs».
Si l’agriculture biologique semble trouver le terreau pour s’agrandir dans les territoires, la dimension européenne ne peut cependant être mise à l’écart. Olivier De Schutter semble penser que l’Union européenne doit nécessairement se doter d’une politique alimentaire intégrée afin de permettre à tous les acteurs de participer à l’évolution des systèmes.
Evoquant lui aussi la Pac, le ministre français de l’Agriculture estime, quant à lui, qu’elle doit être simplifiée et plus orientée vers l’agriculture biologique, sans pour autant opposer les systèmes. A cette occasion, il s’est félicité de la réhomologation récente du cuivre. En conclusion, il a concédé que, concernant le retard de versement des aides Pac, l’Etat avait failli. Avant d’assurer qu’il veillera à régler cette défaillance.