Après les États régionaux, l'élevage appelé à revoir sa copie
Quatrième et dernière étape des États régionaux, la journée dédiée à l'élevage jeudi 6 octobre a réuni les acteurs de la filière pour dresser ce constat : l'avenir de l'agriculture passera par le maintien de l'élevage. Mais pas n'importe lequel. Arguments.
Quatrième et dernière étape des États régionaux, la journée dédiée à l'élevage jeudi 6 octobre a réuni les acteurs de la filière pour dresser ce constat : l'avenir de l'agriculture passera par le maintien de l'élevage. Mais pas n'importe lequel. Arguments.
«Y a-t-il un intérêt à maintenir l'élevage en région ?» La question se veut provocante et n'appelle pas forcément de suspens, la réponse est oui. Mais l'intérêt, seul, ne suffit pas. «Sans changement, l'élevage n'est pas voué à s'adapter mais bien à disparaître», alerte, en marge des assises régionales sur l'élevage, Mickaël Poillion, agriculteur à Héricourt (62) pour qui «le système, tel qu'il existe aujourd'hui, ne résistera pas à la violence des changements climatiques et économiques à venir.» C'est pour démontrer l'enjeu de l'élevage que l'hémicycle du conseil régional s'est empli jeudi 6 octobre, à Lille, pour la quatrième et dernière étape des États régionaux de l'agriculture lancés quatre mois plus tôt.
Après les sessions sur la filière halieutique, le renouvellement des générations et l'approvisionnement local, de nombreux élus et fonctionnaires ainsi que quelques trop rares agriculteurs ont échangé et tenté de trouver des pistes pour sauver le «soldat élevage». En oubliant parfois de rappeler cette nécessité d'ambitions environnementales accrues, condition sine qua non de la survie de l'élevage. Quelques experts ont remis les pendules à l'heure.
Végétal vs animal
«Il y a urgence pour l'élevage. Il est essentiel dans le cadre de la transition agroécologique, milite Olivier Dauger, président de la Chambre régionale d'agriculture. Demain, il n'y aura pas de production possible sans effluents, sans engrais organiques. L'élevage est important pour les œufs et la viande, il est essentiel dans le cycle agricole.»
Un argument végéto-centré que certains observateurs ont pu trouver «d'une violence sans nom. Il y a un asservissement insupportable des éleveurs par le reste de la profession. Non, les éleveurs ne sont pas juste là pour créer des sous-produits pour les cultures», dénoncent-ils. Une dichotomie entre le végétal et l'animal nourrie par la différence de traitement aux plus hautes sphères : les politiques publiques, à commencer par la Pac, favorisent les grandes cultures, lesquelles trouvent parfaitement leur compte dans nos sols septentrionaux. Rien d'étonnant à y constater le net recul du nombre d'éleveurs. Le président de la chambre pondère : «C'est un sujet dogmatique, et il va falloir rééquilibrer les parts végétal/animal dans l'alimentation. Mais l'élevage doit garder sa place, y compris dans le maintien des prairies.» Or, quoi de mieux (ou quoi d'autre tout simplement) que le pacage des bêtes pour les valoriser ? Alors oui à l'élevage en région, mais en prenant en compte cette donnée déterminante, pour l'agroéconomiste indépendant Jean-Marie Séronie : la baisse de la population et celle, induite, de la consommation de viande. «Aujourd'hui, les femmes ont en moyenne 1,5 enfant en Europe, or, pour renouveler la population, il en faut 2,1. Si vous additionnez cette baisse de la population vieillissante (donc moins consommatrice de viande) aux politiques de lutte contre le gaspillage, vous obtenez naturellement une diminution des besoins.» Il a toutefois tenu à rassurer : «La consommation de vin a énormément baissé en 50 ans, et ce n'est pas pour autant que la situation des viticulteurs s'est dégradée. Ils se sont adaptés.»
Et l'expert de conclure : «En fonction de ces paramètres, plusieurs options : produire autant mais exporter davantage (+10 %) ou faire du non alimentaire. Celle que retient le Green deal (le pacte vert européen) est la désintensification. Il faut évoluer vers une agriculture plus verte et on n'a pas vingt ans pour s'y mettre», exhorte Jean-Marie Séronie.
Revoir les schémas
À ce sujet, il rappelle que «24 % des gaz à effet de serre français sont produits par l'assiette, dont 20 % liés à l'agriculture. Sur ces émissions, 20 % sont du CO2, 40 % du protoxyde d'azote et 40 % du méthane. En agriculture, le CO2 n'est pas l'enjeu principal, par contre le méthane… Sa durée de vie est bien plus courte et, si on arrêtait d'en produire, il disparaîtrait quasiment avec un retour sur la qualité de l'effet de serre énorme. C'est pourquoi on va parler de plus en plus du méthane.»
L'agroéconomiste est rejoint par Jean-Louis Peyraud, autre grand témoin de la journée de travail. Le directeur scientifique adjoint «agriculture» à l'Institut de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) appuie la stratégie prônée. D'abord, commencer par revoir le schéma productiviste, et cette idée de ressources inépuisables. «Sans oublier le rendement des cultures qui stagne depuis une quinzaine d'années, les enjeux climatiques, la perte de la biodiversité, la volatilité des prix, la question du bien-être animal…»
Oui, pour le spécialiste, il faut revoir les modes d'élevage. Non, il ne faut pas tout balayer. «Certains disent qu'en arrêtant de manger de la viande on sauvera la planète. On en oublierait presque que la première cause du réchauffement climatique, ce sont d'abord les énergies fossiles. On en oublierait que l'élevage c'est circulaire, qu'il permet aussi de nourrir les sols. Sans nier ses impacts, l'élevage est une partie de la solution.»
Pour ce faire, diversifier les cultures fourragères en oubliant un peu le maïs et en se tournant vers les cultures intercalaires, les légumineuses en particulier qui ont l'intérêt de nourrir sols et insectes. Et les prairies, bien sûr, qui alimentent les bêtes, emprisonnent l'azote, préviennent l'érosion des sols et coupent les cycles parasitaires, réduisant de fait l'utilisation de pesticides. «Le problème n'est pas l'animal mais la façon dont il est conduit», formule le scientifique. Une pratique vertueuse pour laquelle militent les experts. Et qui, seule, permettra à la filière de s'écrire un avenir.