FILIERE LAIT
Taxes Trump : le lait craint d’être la variable d’ajustement
À mesure que les sanctions américaines sur les produits laitiers européens se précisent, la filière laitière française redoute un « remake » de ce qu’elle a déjà vécu en 2019/2021. Elle appelle à la négociation pour préserver ce marché en croissance et éviter des taxes européennes sur les intrants américains, ce qui alourdirait ses coûts de production.
À mesure que les sanctions américaines sur les produits laitiers européens se précisent, la filière laitière française redoute un « remake » de ce qu’elle a déjà vécu en 2019/2021. Elle appelle à la négociation pour préserver ce marché en croissance et éviter des taxes européennes sur les intrants américains, ce qui alourdirait ses coûts de production.

La présentation le 2 avril par le président Trump d’une liste de taxes tous azimuts a refroidi les différents maillons de la filière laitière française. Avec une taxe amé- ricaine de 20 % sur les produits européens, Pascal Le Brun, le président du Cniel (interprofession laitière) estime que cela pourrait représenter 20 % de volumes non commercialisés outre-Atlantique, soit 5 000 tonnes de fromage en moins sur 25 000 tonnes vendues par an actuellement. La taxe annoncée est additionnelle vient donc s’ajouter à celle touchant déjà le roquefort (35 %), le camembert (35 %), le pavé d’Affinois (8 %) ou la plaquette de beurre (23 %). Et avec une demande plus faible du côté de la transformation, l’amont pourrait être touché par «une dévalorisation du prix du lait pour les producteurs».
Les États-Unis sont un «marché à forte valeur ajoutée pour les produits laitiers français», rappelle le Cniel, et c’est le «3e client français hors UE après la Chine et le Royaume-Uni.» En 2024, 3 % des exportations françaises de produits laitiers en valeur ont été destinées aux États-Unis, représentant 350 millions d’euros. On y exporte à 75 % des fromages, notamment AOP. C’est un marché dynamique : entre 2021 et 2024, en volume, les envois de caséines-caséinates ont reculé de 17 % tandis que ceux de fro- mages progressent de 17 %, de yaourts de 52 % et ceux de beurre de 64 %.
Engager sans délai des discussions
Ces menaces rappellent le douloureux souvenir des taxes en vigueur appliquées par les États-Unis entre 2019 et 2021 et qui s’étaient traduites par une perte de 14 millions d’euros pour les fromages hexagonaux. Face à cette situation, le Cniel appelle «les autorités européennes et françaises à engager sans délai des discussions avec leurs homologues américains afin de trouver une solution équitable. Il est essentiel de préserver les relations commerciales avec les États-Unis et d’éviter une escalade qui serait préjudiciable à toutes les parties».
La filière laitière tient à ce que les éventuelles mesures de rétorsion qui seraient prises au niveau européen n’aient pas d’impact négatif sur l’activité de la filière laitière. «L’approche de sanctions européennes filière par filière nous semble la bonne façon de procéder», a indiqué Pascal Le Brun au lendemain de sa participation à la réunion des professionnels avec le président Macron le 3 avril. Et de rappeler que «l’agriculture et l’agroalimentaire ne doivent pas être des variables d’ajustement» dans le cadre de la guerre commerciale entre les États-Unis/UE.
Le Cniel, aux côtés de la FNSEA, de l’Ania, de la Coopération agricole et de la FEVS, est aussi allé porter ses demandes auprès de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard le 7 avril. «Il faut éviter que des taxes européennes touchent des produits américains dont nous avons besoin pour notre activité, comme le soja, ce qui reviendrait à renchérir nos coûts de production, et à faire monter les cours», a martelé Pascal Le Brun. En 2024, l’UE a importé 6,5 Mt de soja américain, 2e fournisseur de l’Europe après le Brésil à 7,5 Mt. «Nous souhaitons par exemple obtenir des mesures rapides de simplification qui nous feraient gagner en compétitivité», indique Pascal Le Brun, se disant opposé à toute surtransposition des directives européennes. «Nous allons réfléchir aussi à des propositions concernant les barrières non tarifaires à l’entrée de l’Europe afin d’éviter que des volumes de produits, qui n’arrivent plus à s’écouler aux États-Unis, soient commercialisés sur le marché communautaire.» Ces organisations professionnelles vont se concerter pour arrêter une position commune afin de transmettre rapidement des propositions concrètes que la ministre pourrait prendre en compte pour agir au niveau européen.
Des débouchés étroits
Dans ces conditions, la question d’identifier de nouveaux débouchés pour les produits français se pose de façon plus aiguë. Les solutions sont peu nombreuses selon le Cniel, pour qui les marchés à forte valeur ajoutée ne sont pas légion. En outre, les difficultés se sont accumulées pour deux grands marchés pour les produits français que la Chine et l’Algérie. Et les annonces de taxes rendent difficile toute projection. Dans le cas de la Chine qui a décrété des taxes sur les produits américains, la question mérite toutefois d’être posée. La Chine a importé en 2024 des États-Unis pour 430 M€ de produits laitiers, essentiellement des ingrédients : 220 M€ de lactosérum, 135 M€ de lactalbumine et 85 M€ de lactose. Elle est très dépendante des États-Unis sur ces trois produits, désormais plus chers en Chine. Ce qui pourrait ouvrir une opportunité pour les Européens. Mais les relations Chine-Europe ne sont pas excellentes : pour répondre aux taxes européennes sur les véhicules électriques chinois, l’Empire du Milieu a déclenché une enquête anti-dumping sur les fromages et crèmes du Vieux Continent qui pourrait déboucher sur des taxes.
Collecte de lait : sanitaire, climat et géopolitique rendent les perspectives incertaines
Après une année 2024 marquée par un rebond de la collecte de lait de vache en France, l’année 2025 s’annonce incertaine, selon l’analyse de Baptiste Buczinski, économiste à l’Idele. «Pour ce qui est du volet sanitaire, l’année 2025 représente une très grosse incertitude», a-t-il indiqué à l’occasion d’une présentation dans le cadre de l’événement Grand Angle Lait le 3 avril à Paris. La FCO, la fièvre aphteuse en Allemagne, en Hongrie et en Slovaquie sont des sujets de préoccupation pour 2025, no- tamment avec une production de lait déjà freinée depuis septembre 2024 dans le Nord et l’Est par la FCO. De même, le premier cas de mouton touché par l’influenza aviaire (IAHP) au Royaume-Uni laisse penser que cela pourrait toucher potentiellement le cheptel européen. «C’est très lointain mais cela pourrait perturber la production en France et en Europe», a-t-il poursuivi. Le cheptel continue sa décapitalisation en nombre de têtes à -2,5 % par an au 1er février 2025 (3,27 M de têtes contre 3,5 M en février 2022). Cette tendance continue depuis plusieurs années s’est accentuée depuis la fin 2024 sous l’effet des questions sanitaires. D’autres interrogations sont présentes pour 2025 quant au climat, aux tensions géopolitiques et à des guerres économiques.