En élevage porcin, comment financer la transition vers les «cases liberté» ?
Ultra-minoritaires en France, les «cases liberté» pour la mise-bas des truies promettent un bien-être animal largement supérieur aux cages actuellement utilisées. Au-delà, des freins techniques se pose la question du financement de cette transition, synonyme d’investissement très lourd.
Ultra-minoritaires en France, les «cases liberté» pour la mise-bas des truies promettent un bien-être animal largement supérieur aux cages actuellement utilisées. Au-delà, des freins techniques se pose la question du financement de cette transition, synonyme d’investissement très lourd.
Un milliard d’euros : c’est ce qu’il faudrait investir, selon l’Ifip (Institut du porc) pour que l’ensemble des truies en France mettent bas dans des «cases liberté» – et non dans des cages. Environ 90 % des truies mettent bas en cage, estime le député Loïc Dombreval (LREM, Alpes-Maritimes), lors d’un webinaire du CIWF le 23 novembre. Moins chères, plus pratiques, les cages réduisent le risque d’écrasement des porcelets. «Les femelles y sont bloquées quelques jours avant la mise-bas, puis cinq semaines après», jusqu’au sevrage, précise Sébastien Goumon, chercheur à l’École polytechnique de Zürich. Dans des cases liberté, au contraire, les mères peuvent exprimer leur instinct de nidification. Avec, à la clé, un meilleur allaitement et des porcelets mieux portants.
En case liberté, les éleveurs observent une mortalité accrue, de «0,5 porcelet par portée en moyenne», rappelle Christine Roguet. Pour cette économiste de l’Ifip, la transition «nécessitera d’adapter la conduite d’élevage» (génétique notamment). Solution intermédiaire, la contention temporaire : «Libérer la truie trois ou quatre jours après la mise-bas suffit pour obtenir un taux de mortalité similaire à la cage», affirme Sébastien Goumon.
Deux salles, deux ambiances
Autre frein technique : la difficulté à soigner une truie en liberté, avec un risque plus important pour les travailleurs. La conception de la maternité nécessite enfin d’avoir «deux zones et deux ambiances», selon Xavier Sauzéa, vétérinaire à la coopérative Le Gouessant. Les porcelets ont besoin d’une température d’au moins 32°C, largement plus que les 18-20°C adaptés à des truies en lactation. «Aller vers l’absence totale de contention n’est pas le plus facile à gérer», admet le vétérinaire. Pour autant, constate-t-il, les éleveurs qui ont arrêté la cage obtiennent des résultats techniques satisfaisants et «sont contents de leur choix».
Au-delà de la technique, le premier frein reste économique. Ramené à la place, l’équipement d’une case liberté coûte «quasiment le double» des cages, note Xavier Sauzéa. Résultat : pour convertir totalement un élevage type de 252 truies, la facture atteint 307 000 € (soit 3,50 € par porc produit), selon l’Ifip. Un «besoin d’investissement colossal» au niveau de la filière, résume Christine Roguet, et qui «n’est pas rentabilisé la plupart du temps».
Éligible au plan de relance ?
Un financement par les éleveurs, via un gain de productivité, «semble peu probable» aux yeux de l’économiste. Quid de l’aval de la filière ? En Sarthe, le leader de la rillette Bordeau Chesnel verse une plus-value aux éleveurs contractualisés via sa démarche «Nos valeurs partagées», qui peut atteindre 20 % du prix de référence (MPB). «Les éleveurs hésitent à passer en «case liberté», ce coup de pouce leur donne un peu plus confiance», explique Nathalie Verrier-Seclet, responsable RSE. Sur 115 éleveurs engagés, 37 % pratiquent la gestation sur paille et 7 % sont équipés de «case liberté».
Restent deux autres sources de financement : le contribuable et le consommateur. Au-delà du second pilier, Loïc Dombreval compte sur les éco-régimes de la future Pac, qui pourront viser le bien-être animal. Au niveau français, le plan de relance prévoit 100 ME pour la biosécurité et le bien-être animal en élevage. La liste des investissements éligibles est en cours d’élaboration. Les cases liberté figurent dans la version proposée par les professionnels. «Il n’y a aucune raison qu’elles ne soient pas éligibles», rassure Virginie Alavoine, cheffe de service à la DGAL (ministère de l’Agriculture).
«Fenêtre d’initiative» pour la filière porcine
Côté consommateurs, «84 % des Français sont favorables à un label sur le bien-être animal», d’après Christine Roguet. Mais «seulement 64 % sont prêts à payer plus cher». «Un surcoût de 10 à 15 % serait acceptable, évalue Bertrand Morand, responsable Filières et partenariats chez Système U. Mais il faut le valoriser auprès des consommateurs.» Au-delà des filières de qualité, «le respect du bien-être animal doit s’intégrer à une offre de base accessible à tous», ambitionne Loïc Dombreval.
«Les voyants sont au vert pour la maternité en liberté», veut croire le député et vice-président du groupe d’études sur la condition animale. Après les deux vagues de mise aux normes des années quatre-vingt-dix et deux mille, la filière dispose d’une «fenêtre d’initiative», abonde Xavier Sauzéa. «Quasiment tous les éleveurs qui ont un projet de rénovation se posent cette question», confirme Christine Roguet. «Tant que la valorisation économique ne sera pas effective, on aura des difficultés à avancer», martèle Loïc Dombreval. Et de prévenir : vu la lourdeur des investissements, «il ne faudrait pas que le développement de la maternité libre soit corrélé à une augmentation des importations».