De l’agneau à Pâques, même en confinement ? La filière ovine en crise
Réunir toute la famille autour du bon gigot d’agneau traditionnel de Pâques ne sera pas possible cette année, confinement oblige. Un sacré coup dur pour la filière ovine.
«C’est une catastrophe», s’accordent à dire les éleveurs ovins et les marchands. Pâques, qui aura lieu cette année le 12 avril, sera très probablement fêté en période de confinement, du fait de l’épidémie de Coronavirus. Hors, cet événement chrétien, lors duquel on savoure traditionnellement un gigot d’agneau en famille, est une période clé pour la filière ovine. Pâques représente «jusqu'а 35, 40 voire 50 % de la consommation d’agneaux de l'année», estime Paul Rouche, directeur délégué de Culture viande.
À la ferme de la Terrière, à Longpré-les-Corps-Saints, quatre cents agneaux sont commercialisés à cette époque. «On ne sait pas combien nous allons en vendre, s’inquiète Émile Drouvin, éleveur associé du Gaec. Notre coopérative, Les Bergers du Nord Est, voit ses commandes annulées les unes après les autres, alors nous restons avec des agneaux sur les bras. Par exemple, soixante devaient partir cette semaine, mais elle ne nous en prend que vingt-cinq.» «Nous n’avons aucune vision à moyen terme, ajoute Thierry Vroman, directeur de la coopérative. Les approvisionnements se font au jour le jour et c’est très difficile à gérer pour nous, car il faut trois jours pour réaliser le ramassage, l’abattage et l’expédition…» Sur les 1 700 bêtes qui devaient partir cette semaine, 300 sont restées dans les bergeries.
Un agneau mûr ne peux pas être décalé
L’agneau est bien le plus problématique pour la filière, car «quand il est mûr, on ne peut pas le décaler. Si on attend plus de huit jours, il devient lourd et gras. Il est donc invendable», assure Thierry Vroman. Dans sa bergerie, Émile a mis en place le rationnement des agneaux, plutôt que de leur offrir l’alimentation à volonté comme d’habitude. «Mais cette technique a des limites. Les agneaux vont faire plus de carcasse, et moins de rendement viande.»
À cela s’ajoute la chute des prix, qui suit celle de la demande. Ce 24 mars 2020, des laitons U de 38 à 44 kg se sont vendus 3,06 €/kg vif, soit près de 0,60 €/kg vif de moins que la précédente cotation du 10 mars (3,64 €/kg vif). Il faut dire que les lieux de commercialisation de l’agneau sont de plus en plus rares : fermeture des rayons traditionnels en GMS (Grandes et moyennes surfaces), les consommateurs privilégient le sous-vide…
Des morceaux d’agneau adaptés
Thierry Vroman veut cependant garder un peu d’espoir. «Les gens commencent à arriver au bout des réserves qu’ils ont faites à l’annonce du confinement, et privilégient les commerces de proximité pour faire leurs courses, donc leur boucher. À eux de proposer des morceaux d’agneaux plus petits, à manger en moins grand nombre.»
Dans cette optique, l'interprofession bétail et viandes Interbev lance d’ailleurs une campagne de communication sur les principales chaînes de radio et les réseaux sociaux du 2 au 12 avril. Le but : «rappeler la tradition de l’agneau et du chevreau de Pâques» et «donner aux consommateurs des recettes adaptées aux morceaux» proposés. «La filière ovine française a besoin que la profession fasse évoluer l’offre pour proposer des unités de besoin qui correspondent а des familles plus petites : tranches de gigot, gigot raccourci, rôti dans la selle, souris…», précise Interbev. Maurice Huet, président d’Interbev ovin, invite les bouchers et la grande distribution à piocher des idées sur jadorelagneau.fr/pro.
«Mangez français !»
Une crainte demeure cependant : «que les grandes surfaces privilégient l’agneau new-zélandais qu’ils ont en stock», signale Thierry Vroman. Il en appelle à la solidarité, y compris celle des consommateurs : «achetez de l’agneau français, plus tendre et plus doux en bouche !»
La fête de l’Aïd ne sera pas propice à la filière
Après Pâques, l’Aïd al-Adha, fête musulmane pendant laquelle le mouton est aussi dégusté en quantité, est la deuxième grosse période pour la filière ovine. Mais cette année, l’événement doit se dérouler du 30 juillet au 3 août, en pleines vacances d’été. Vacances pendant lesquelles les musulmans français issus de l’immigration en profitent généralement pour rendre visite à leur famille restée au pays… Mauvaise affaire pour le mouton élevé en France, donc !