Des débats houleux autour du parc éolien de Dieppe-Le Tréport
Face à un porteur de projet et un cabinet d’études qui ont des réponses à quasiment toutes les questions, le monde de la pêche picarde et normande continue de craindre des effets néfastes d’un parc éolien off-shore de 62 éoliennes pour sa survie.
Face à un porteur de projet et un cabinet d’études qui ont des réponses à quasiment toutes les questions, le monde de la pêche picarde et normande continue de craindre des effets néfastes d’un parc éolien off-shore de 62 éoliennes pour sa survie.
«On nous prend pour des ploucs». Les arguments présentés par Éoliennes en Mer Dieppe Le Tréport (EMDT) appuyés par les travaux de la société BRL Ingénierie représentée par Nicolas Fraysse n’y changent visiblement rien. Sur le littoral normand et picard – les deux sont concernés plus ou moins directement par le projet de création d’un parc éolien offshore entre Dieppe et
Le Tréport –, le monde de la pêche et les habitants restent farouchement opposés. La dernière manifestation de leur opposition remonte à il y a quelques jours, dans la commune d’Ault, où une quarantaine de personnes ont assisté à une réunion d’information ouverte au monde de la pêche. Si une majorité de l’assemblée était composée de pêcheurs – professionnels ou amateurs –, des habitants du littoral craignant pour la dégradation de leur cadre de vie s’étaient également invités. Avant de rentrer dans le vif des discussions – trois thèmes avaient été retenus, de l’impact sur le développement sédimentaire, la ressource halieutique à la pollution liée au chantier –, une présentation globale du projet a été réalisée.
Soixante-deux éoliennes en mer
Le projet de création d’un parc éolien en mer entre Le Tréport et Dieppe, c’est ainsi un parc de Soixante-deux machines (avec leurs fondations), s’étendant sur 82,4 km2, d’une puissance de 496 MWh, soit l’équivalent de la consommation électrique de
850 000 personnes. Une image valant mieux qu’un long discours, EMDT souligne que ce parc devrait donc être en capacité de produire du courant pour «environ les deux tiers de la population de Seine-Maritime ou plus de la totalité de la population de la Somme». Sa construction avait été confirmée en juin 2018 par le président de la République, Emmanuel Macron, au même titre que cinq autres projets off-shore. EMDT rappelle à l’envi qu’il s’agit d’un «projet majeur pour les territoires de la Normandie et des Hauts-de-France» puisqu’il doit «contribuer à l’atteinte pour la France de ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique et de développement des énergies renouvelables». Sa mise en ser-vice est prévue à l’horizon 2025.
Travail de concertation
Depuis le lancement du projet et lors de précédentes réunies, EMDT avait déjà donné un certain nombre de garanties au secteur de la pêche au sens large (en mer et à pied, mareyage, transformation…) Ainsi, rappelle la société, «EMDT a fait des propositions techniques en fonction des besoins et demandes des pêcheurs professionnels : elles ont par exemple porté sur une nouvelle disposition des câbles et des éoliennes au sein du parc, élaborée afin de rendre ce dernier encore plus compatible avec le maintien des activités de pêche professionnelle.» Mais force est de constater que ces garanties ne satisfont toujours pas tout le monde. Lors de la réunion publique qui s’est tenue à Ault, le premier problème soulevé par les pêcheurs est l’emplacement géographique en lui-même du futur parc éolien. Situé à 15,5 km du Tréport, il sera distant de Dieppe d’une distance quasi-équivalente (17 km). En ce qui concerne la pêche, Nicolas Fraysse l’admet : «Il (le parc) est prévu entre deux zones d’intérêt halieutique» ; l’une étant une nourricerie et l’autre, une zone de frayères. Mais du côté d’EMDT, on l’assure : «Nous avons la volonté de rendre la zone accessible à la pêche. Ce sera ensuite aux préfets et aux professionnels de prendre la décision».
Une activité pêche remise en question ?
Lors de la phase de travaux, l’implantation des pieux est sans doute le chantier qui pose le plus de questions, à commencer par l’impact sur la nature des fonds marins : «Ce n’est pas la présence de pieux qui va changer quelque chose», répond le cabinet BRL Ingénierie. Et d’ajouter que pour le battage des pieux – ils sont de type «Tour Eiffel» –, «il suffit de démarrer doucement pour taper ensuite de plus en plus fort. Si l’on frappe fort dès le départ, il y aura forcément des dégâts plus importants.» «Les poissons ne seront pas blessés, mais seulement déplacés», assure encore le cabinet pour lequel travaille Nicolas Fraysse qui promet le retour des poissons sur zone une fois les travaux terminés. Mais du côté des pêcheurs, on est loin de l’entendre de cette oreille puisqu’un chantier d’une telle ampleur reviendrait simplement selon eux à «vider» la zone de ses ressources. Sur le montant du préjudice subi par les pêcheurs, là encore, les avis divergent comme le rapporte Olivier Becquet, gérant de la coopérative artisans-pêcheurs associés du Tréport, et vice-président du comité régional des pêches de Normandie. Pour ce dernier, la perte de chiffre d’affaires pour les pêcheurs travaillant dans la zone du futur parc éolien serait comprise entre «25 et 30 %».
Des impacts limités sur le milieu
Au milieu des pêcheurs professionnels, ce jour-là, on comptait aussi quelques membres de l’association Sauvegarde des côtes d’Opale picarde et d’Albâtre (SCOPA). Pour eux, trois principales inquiétudes soulevées lors de la dernière réunion publique d’information : la pollution visuelle liée à l’implantation des éoliennes en mer, l’ensablement de la baie de Somme et la création d’un champ électromagnétique. Certains n’hésiteront pas d’ailleurs à faire le lien entre leurs craintes et le lien supposé entre la présence d’éoliennes et la mortalité d’animaux d’élevage. Mais à chacune des questions soulevées, la réponse est souvent la même : impact «faible» à «nul». Tout au plus, il est modéré, et trouve à s’affirmer pendant la phase «travaux». Concernant les nuisances sur la ressource halieutique pendant la phase d’exploitation du parc, le cabinet BRL Ingénierie tente encore de relativiser : «pour la plupart des espèces, on considère que l’impact est faible à négligeable (…) ce qui n’était pas le cas avec des machines d’ancienne génération». Pour Nicolas Fraysse, il y aurait même des avantages à planter des mâts dans les fonds marins : «Il peut y avoir un effet récif intéressant avec des crustacés qui vont venir coloniser les fondations et les enrochements». En langage technique, on appelle cela un impact «faible», voire «positif». Mais le monde de la pêche, lui ne l’entend pas de cette oreille :
«Si on est contre et qu’on se mobilise, c’est parce que c’est notre meilleure zone de pêche, rappelle Olivier Becquet. Ok pour les récifs, mais sans champ électromagnétique et sans métaux lourds dans la mer ! (…) Ce projet est inacceptable, peu importe la poésie qu’on met autour. De belles études dans lesquelles on gomme les effets négatifs, on n’en veut plus», a-t-il lancé, pas vraiment convaincu des éléments qui lui ont été présentés.