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Des fermes 2.0 pour nourrir le monde autrement

Face à l’artificialisation des sols, au changement climatique et au défi majeur que représente la population grandissante, de nouveaux modèles d’agricultures apparaissent. Ils apportent des solutions nouvelles aux enjeux du monde agricole.

D’ici 2050, la planète devrait compter pas moins de 10 milliards d’habitants. Dans le même temps, la surface agricole utilisée, en France comme dans d’autres pays, rétrécit de plus en plus du fait de l’artificialisation des sols due, notamment, à l’urbanisation des territoires. Le dérèglement climatique, dont les effets néfastes sur l’agriculture ont été particulièrement visibles en 2021, amène, lui aussi, son lot de contraintes. Comment, dès lors, réussir à nourrir la population avec moins de place, tout en conservant des produits de qualité ? De nouveaux modèles d’exploitations, comme les fermes aquaponiques, apportent des solutions à ces enjeux de société. En France, on en compte environ une vingtaine en activité, et quasiment autant en cours de création. À Lyon, d’ici quelques semaines, deux fermes containers Écosiag vont voir le jour avenue Jean Mermoz, au cœur du 8e arrondissement. D’une dimension de 30 m2 au sol chacune, leur capacité de production équivaut à 150 m2 en culture traditionnelle pleine terre. «Comme on s’adresse à une population urbaine, il nous fallait économiser l’espace au sol du fait du prix du mètre carré en ville», explique Guillaume de Masi, cofondateur d’Écosiag. Au rez-de-chaussée de la ferme container se trouvent les poissons et, au-dessus, les plantes cultivées. Les déjections des poissons servent de fertilisants naturels, ce qui permet de ne pas ajouter d’engrais aux cultures. L’environnement, entièrement contrôlé, permet une production en continu tout en se passant de pesticides du fait de la filtration de l’air. Cette ferme modulable et transportable est le fruit d’une longue réflexion de la part de Guillaume de Masi et Thibault Fuzier, les fondateurs d’Écosiag. Ingénieurs techniques de formation, les deux hommes se sont lancés à plein temps sur ce projet, il y a deux ans. Souhaitant mettre en place un système de production vertueux et écologiquement viable, ils ont opté pour l’aquaponie. «On avait déjà réfléchi à des fermes hydroponiques, mais elles présentent certaines limites. L’aquaponie y répond en partie, notamment sur l’aspect naturel des intrants, puisque les groupes piscicoles permettent ensuite de fournir les plantes en engrais», explique Thibault Fuzier. Les cofondateurs d’Écosiag ont testé leur modèle de ferme pendant un an et demi, grâce à un prototype à échelle réduite. Cette mini-ferme, à l’échelle un trentième, leur a servi de cobaye pour perfectionner leur système. «Le prototype nous a permis de nous faire la main sur le système d’information autour du produit, sur la conception et la gestion énergétique de la solution, mais aussi, et surtout, sur la partie biologique et agronomique : l’aquaponie nécessite l’élevage de bactéries, de poissons et de plantes, et tous jouent un rôle important dans l’équilibre de la ferme, il faut donc bien maîtriser les paramètres de chaque espèce.»

 

Une production vertueuse et écologique

Dans les deux futures fermes de Lyon Mermoz - la première livrée d’ici quelques semaines, la seconde début 2022 - les créateurs d’Écosiag prévoient une production végétale mixte, moitié herbes aromatiques et laitues. Une seule ferme permet de faire pousser 2 400 pieds en simultané, ce qui, dans le cadre d’une production dédiée à 100 % au basilic, donnerait un peu plus de trois tonnes par an. Pour les poissons, Écosiag souhaite réussir à produire de la truite toute l’année, à raison de 500 t/an. L’entreprise va aussi mener des tests avec d’autres espèces comme le black-bass. La production se fait sans intrants autres que ceux générés par les poissons et sans pesticides. «Grâce à notre système de filtration, il n’y aura normalement pas besoin de lutte, même biologique, contre les parasites. On peut avoir des carences en fer ou autre sur les plantes, ce qui peut nécessiter des ajouts. Notre ventilation sert aussi à ramener un flux de vent au niveau des plantes pour chasser l’humidité résiduelle, ce qui évite le développement des maladies», explique Guillaume De Masi. De plus, l’économie d’eau du système est impressionnante : «avec l’hydroponie et l’aquaponie, on économise 90 % d’eau par rapport à la culture pleine terre, car elle est en permanence disponible dans le système et recircule». Enfin, la ferme container peut être implantée sur des sols impropres à la culture, sans pour autant les détériorer plus. Les intérêts écologiques de la production aquaponique sont donc multiples, ce qui encourage de plus en plus la création de nouvelles fermes. Dans la Drôme, un autre projet aquaponique est en train de se construire : celui de la Ferme intégrale, basée à Génissieux. La construction de leur ferme pilote a commencé en mai 2020, avec un début de production prévu pour la mi-octobre. Ce modèle, plus imposant que les fermes containers Écosiag - 5 000 m2 au sol - est plutôt destiné à une implantation en milieu périurbain. Pour l’instant, la ferme est composée de cinq bassins de 25 m3 et de serres chapelles. «Avec ce pilote, nous prévoyons une production de deux tonnes de poissons à l’année et dix tonnes de plantes. Cette échelle de production va durer jusqu’à la fin de l’année 2022, on va ensuite poser six serres chapelles supplémentaires et ajouter un autre bâtiment pour les poissons. En 2023, on vise 40 t de poissons à l’année et 60 t de légumes et d’aromatiques», explique Juliette Richard, chargée de communication pour la Ferme intégrale. Côté «jardin», la structure va produire blettes et épinards, coriandre, basilic, menthe, mescluns et laitues. Pour les poissons, elle mise sur le sandre. «On a fait ce choix pour apporter une diversité en termes d’offre de poisson et ne pas empiéter sur les autres fermes aquaponiques qui proposent majoritairement de la truite et du saumon. Ce poisson vit dans des eaux chaudes (24 °C), ce qui est arrangeant pour nous car il est plus difficile de refroidir une eau que de la chauffer.» La production sera ensuite conditionnée sur place : les sandres seront proposés entier et en filet (fumé ou non). Actuellement en levée de fonds sur la plateforme Lita, La Ferme intégrale a lancé une première collecte de fonds de 450 000 € - 275 700 € ont déjà été collectés - dans le but de finir la construction du bâtiment tout en préparant la suite du projet. Car la Ferme intégrale, tout comme Écosiag, souhaite à terme vendre sa solution clé en main. «On destine nos fermes aux industries agroalimentaires et de l’environnement, ainsi qu’aux sociétés d’économie mixte fondées par des agglomérations pour porter ce type de projet», explique Juliette Richard. Du côté d’Écosiag, les distributeurs souhaitant proposer de l’autoproduction sont visés, à l’instar de la jardinerie Truffaut, ainsi que les restaurateurs qui, seuls ou collectivement, pourraient acheter une ferme pour assurer une partie de l’approvisionnement à moindre coût écologique. «Écosiag peut aussi être une source de revenu complémentaire pour un agriculteur, notamment pour les herbes aromatiques, dont certaines ne sont quasiment plus produites en France. Par exemple, un agriculteur qui fait de la céréale peut ainsi s’assurer un complément de revenu toute l’année en plus de sa production», affirme Thibault Fuzier.

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