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Formation : l'apprentissage en mutation

La deuxième édition des Etats généraux de l’apprentissage s’est déroulée mardi 14 mai, au siège de région, à Lille. L’occasion de décrypter la réforme en cours, alors que de nombreuses questions subsistent du côté des établissements scolaires.

Si l’ensemble des acteurs concernés par cette réforme semble s’entendre sur sa nécessité et affiche une volonté de travailler de concert, des inquiétudes et des questionnements persistent.
Si l’ensemble des acteurs concernés par cette réforme semble s’entendre sur sa nécessité et affiche une volonté de travailler de concert, des inquiétudes et des questionnements persistent.
© J. NANTEUIL




Avec bien plus de trente mille apprentis, les Hauts-de-France affichent «de belles performances» en matière d’apprentissage, estime Danielle Deruy, directrice générale du groupe AEF info (groupe de presse spécialisée dans le domaine de l’éducation). «Longtemps considérée à la traîne, la région a connu une hausse du nombre d’apprentis de 7 % entre 2007 et 2017», ajoute-t-elle, alors que les chiffres ont stagné au niveau national.
Cela explique sûrement l’intérêt suscité par les Etats généraux de l’apprentissage qui se sont déroulés à Lille (59) mardi 14 mai, moins d’un an après la première édition. Plus de deux cents personnes, représentants d’entreprises et de l’enseignement, fonctionnaires, se sont en effet rassemblées au cours de cet événement organisé dans le cadre de la semaine de l’orientation et de l’apprentissage en Hauts-de-France.

Un «changement culturel»
La réforme de l’apprentissage s’inscrit dans la loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel», adoptée en septembre dernier. Même s’il reste encore des décrets à signer, 2019 est l’année de sa mise en œuvre mais aussi, et surtout, celle de la transition.
Ses objectifs : «Lever les freins à la formation, faciliter et renforcer l’investissement des entreprises, faire de l’apprentissage un choix attractif pour les entreprises comme pour les jeunes», résume Bruno Lucas, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle au ministère du Travail. «Ce qui est en jeu est un changement culturel», estime, quant à lui, Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education nationale.
Premier gros changement lié à cette réforme : le rôle des conseils régionaux évolue fortement. L’apprentissage passe en effet aux mains des branches professionnelles, avec un financement au contrat, au lieu des subventions versées par les Régions.
«On passe du rôle de pilote à celui de copilote, voire de passager», estime Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France qui soutient tout de même cette réforme. «Elle devrait permettre aux jeunes de trouver plus facilement une solution d’avenir. C’est un combat pour l’emploi, il faut éviter aux jeunes d’être au chômage». Rappelons que ce taux de chômage est actuellement de 11 % dans les Hauts-de-France (contre plus de 8 % au niveau national). «La Région reste impliquée, je maintiendrai un effort financier important», a-t-il souligné, notamment en termes d’aide à l’hébergement ou au transport.

Nouveaux interlocuteurs
De nouveaux acteurs entrent ainsi dans le paysage de l’apprentissage : les opérateurs de compétences, OPCO pour les initiés. Ils seront les nouveaux interlocuteurs des centres de formations des apprentis (CFA) et des entreprises. «Le 1er avril 2019, onze opérateurs de compétences, chargés d’accompagner la formation professionnelle, ont été agréés. Ils remplacent les anciens organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), explique le ministère du Travail sur son site. Ces opérateurs de compétences ont pour missions de financer l’apprentissage, d’aider les branches à construire les certifications professionnelles et d’accompagner les PME pour définir leurs besoins en formation.» Vous suivez ?
Une vingtaine de mesures ont été présentées dont un certain nombre déjà mises en place. S’il est difficile de toutes les développer ici, citons-en quelques-unes, annoncées par le Premier ministre Edouard Philippe en début d’année :
- Les jeunes de quinze à dix-sept ans voient leur rémunération augmenter ;
- les jeunes d’au moins dix-huit ans en apprentissage vont percevoir une aide pour passer leur permis de conduire ;
- ils bénéficieront des mêmes avantages que les étudiants ;
- tous les apprentis dont le contrat de travail est interrompu en cours d’année ne perdront plus leur année ;
- les jeunes souhaitant s’orienter vers l’apprentissage auront accès à des prépa-apprentissage ;
- l’apprentissage sera ouvert jusqu’à trente ans, au lieu de vingt-six ans actuellement ;
- l’embauche d’apprentis pourra se faire toute l’année ;
- etc.
Il est aussi prévu de donner une place importante à la communication autour des métiers et de délivrer une information transparente pour les jeunes et leurs familles.

Craintes des établissements scolaires
Si l’ensemble des acteurs concernés par ces évolutions importantes semble s’entendre sur la nécessité d’une telle réforme et affiche une volonté de travailler de concert, des inquiétudes et des questionnements persistent.
«Les CFA sont en attente d’avoir plus de détails opérationnels», a souligné Stéphane Bailliet, président de l’Ardir Hauts-de-France (Association régionale de directeurs de CFA). Des précisions sont ainsi attendues sur les outils qui seront utilisés, les échéances et les personnels qui seront mis en place. Stéphane Bailliet met également en avant un certain manque de cohérence, quand, au lieu d’un interlocuteur (la Région), les CFA en auront plus de dix (les OPCO). «On va s’encombrer d’une complexité technique, des pistes d’harmonisation nous semblent nécessaires, c’est un appel», a-t-il insisté. L’enseignement agricole de la région a également exprimé ses craintes à travers plusieurs mobilisations (voir encadré page ci-dessous).
Même son de cloche du côté des représentants des entreprises. Ils estiment que ce système est encore peu lisible. Certains n’hésitent pas à dénoncer  «beaucoup de blabla» et craignent une augmentation des coûts liée à l’embauche d’un apprenti. «On entre dans un modèle de business, où il faut aller chercher le client, estime quant à lui Alain Griset, président de U2P (Union des entreprises de proximité). Chacun va essayer de tirer la couverture à soi, c’est une vigilance qu’il faudra avoir.»
Enfin, la seule apprentie ayant témoigné lors de ces Etats généraux (à peine cinq minutes de temps de parole) semblait très heureuse de son parcours dans l’apprentissage ; elle n’était toutefois pas au courant des évolutions de rémunération et n’avait pas entendu parler de cette réforme au sein de son établissement.
Un décalage entre les discours et la réalité du terrain, donc, qu’il faudra gommer pour que l’objectif initial de la réforme – celui de donner un avenir aux jeunes – puisse être atteint. Cela passera peut-être par davantage d’échanges entre les différents acteurs concernés et toujours plus de communication.

 

Les enseignants remontés

Une petite cinquantaine d’enseignants ont témoigné de leur ras-le-bol devant la Draaf, à Amiens, le 21 mai.
«Plus de profs, moins de glypho !» «Paradis pour certains, des radis pour l’enseignement agricole !» Voici les slogans que l’on pouvait lire devant les locaux de la Draaf (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt), à Amiens, ce 21 mai. Une petite cinquante de professeurs du milieu agricole répondaient à l’appel du syndicat Snetap-FSU Hauts-de-France.
Car les différentes mesures annoncées récemment – dont la réforme de l’apprentissage – leur hérissent le poil. «Nous venons dire notre ras-le-bol et nous dénonçons nos conditions de travail toujours moins bonnes», scande Sylvain Guenard, co-secrétaire régional du syndicat et enseignant d’éducation socio-culturelle au lycée du Paraclet. Plusieurs points étaient soulevés. Le premier : celle de la suppression des postes annoncée pour 2021. «Dans la région, nous allons en perdre au moins onze. Certains professeurs devront quitter la région pour rejoindre d’autres établissements. C’est inacceptable», dénonce Sylvain Guenard. Une décision d’autant moins comprise que, le représentant l’assure,  «nous assistons à une certaine stabilité des effectifs depuis plusieurs années, avec une moyenne de 17 000 élèves inscrit en filière agricole dans la région.»
La suppression des seuils, notamment, fait bondir. «Nous allons nous retrouver avec des classes de vingt-cinq à trente élèves en permanence. C’est fait pour recruter plus d’élèves. Mais nous savons que les conditions de travail seront affectées.» Les nouvelles règles concernant les heures non affectées des professeurs pourraient aussi, selon ces enseignants, porter préjudice à l’enseignement. «Dans le milieu agricole, nous travaillons beaucoup en transversalité. Dans le cadre d’un projet collectif, nous serons désormais obligés d’intégrer les matières dont les professeurs sont en manque d’heures, au lieu de privilégier l’aspect pédagogique.» Et de résumer : «Nous sommes gérés par l’argent. La qualité d’enseignement est devenue secondaire.» La manifestation devrait connaître des actions par la suite assurent les enseignants. Alix Pénichou




QUATRE QUESTIONS A...

Christophe Coulon, vice-président à l’apprentissage au conseil régional des Hauts-de-France

Quel est l’impact de cette réforme sur l’enseignement agricole ? Dans les Hauts-de-France, l’enseignement agricole a anticipé cette réforme. Pendant plus de deux ans, ses acteurs ont travaillé à un regroupement par famille, pour une optimisation des outils de formation. Ce projet est en phase avec la réforme. Mais la Région va devoir changer ses accompagnements financiers ; je pense que nous devons miser sur les outils numériques pour que les futurs professionnels soient au goût du jour. Il est donc possible qu’il y ait un appel à projets sur la numérisation des établissements.

Le secteur rencontre des difficultés à recruter ; cette réforme peut-elle apporter des réponses ? Oui, je le crois. L’agribashing fait du mal aux vocations. Il est temps d’aller au-devant des élèves, en mettant des professionnels de l’agriculture dans des classes pour présenter leur métier. Il y a une vraie capacité à partager sur l’amour de cette profession. Agriculteurs et apprentis peuvent être des ambassadeurs.

En milieu rural, comment gérer l’éloignement entre entreprises et lieux de vie des apprentis ? Si la Région veut accélérer la dynamique de l’apprentissage, il faudra travailler sur les questions de mobilité. Les outils de transport scolaire ne sont pas adaptés. On doit adopter d’autres solutions, pourquoi pas mobiliser les acteurs privés, les artisans taxis... mais aussi renforcer les dédommagements liés au transport.

Une partie de l’enseignement agricole exprime des inquiétudes. Que pouvez-vous leur répondre ?
Concernant le nombre d’heures, c’est du ressort de l’Education nationale. Le rôle du conseil régional sera de venir en soutien aux établissements les plus exposés pour qu’ils puissent cheminer dans ce nouvel environnement. Il est essentiel qu’ils se rapprochent de nous. Recueillis par Laura Béheulière

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