«Il faut foncer dans le nouveau monde»
Cerfrance Somme a clôturé sa journée du 26 janvier par la conférence de Philippe Dessertine, économiste et directeur de l’Institut de la Haute Finance de France, sur le thème «A la croisée des modèles économiques».
Il était une fois un temps lointain, en 2015 où l’on croyait ferme, dans un pays du nom de la France, et une région que l’on appelait Europe, que de bonnes fées, deux notamment, l’énergie et le patron de la BCE, Mario Draghi, allaient se pencher sur leur berceau pour relancer l’économie. L’une usant de la baisse du prix du pétrole, l’autre faisant tourner la planche à billet à tour de bras. Sauf que leurs tours de magie se sont transformés en 2016 en désastres puisque la croissance n’a pas été au rendez-vous.
Ce conte a servi de préambule à Philippe Dessertine pour décliner la réalité d’aujourd’hui. La première ? La baisse du prix du pétrole a entraîné une baisse générale des prix amorçant une déflation, dont la première conséquence est l’arrêt des investissements. La seconde ? L’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les pays producteurs, entraînant des instabilités géopolitiques dans chacun d’eux, et qui poussent certains à sauter sur les chars d’assaut et les avions de guerre. «Le prix à payer pour cette croissance générée par la chute du prix du baril n’est-il pas cher payé ?», interrogeait l’économiste. Quant à la solution de la BCE de faire marcher la planche à billet pour enrayer la crise, sur le long terme, celle-ci ne peut que créer des problèmes structurels, engendrant notamment des prix faux et des taux d’intérêt négatifs. «Le monde économique est fou. Arrêtons de croire que la «magie» va régler les problèmes du monde», taclait-il. Alors, comment en sortir ? Quelle richesse peut créer le monde en 2016 ?
Renouer avec la prise de risque
«Le nouveau modèle économique a déjà commencé et domine l’ancien monde», relevait l’économiste. Ce modèle est bâti sur des données mathématiques, ayant fait d’Apple la première entreprise du monde, et de Google la seconde. Autre révolution copernicienne : la génétique. «On a changé de paradigme depuis 2000, avec une accélération incroyable de la science permettant d’innover d’une manière prodigieuse», insiste-t-il. Les Américains l’ont bien compris. Européens et Français sont à la traîne, laissant partir les talents à même de la rentrer dans la danse. Pour enrayer la fuite des cerveaux et entrer dans le bal, une seule solution : «Il faut arrêter de jouer petit et mettre les moyens pour les retenir».
A côté de cette quatrième révolution, se greffent des éléments invariants, à savoir l’eau potable et l’agriculture, qui sont des axes majeurs du monde. «Or, en France, on est en train de casser notre outil agricole et agroalimentaire. On est même le recordman de la norme. Pourtant, l’agriculture est le grand défi du XXIe siècle», souligne-t-il. Pour sortir de l’ornière et redonner une chance à notre pays de reconquérir la première place à l’échelle européenne, «il faut arrêter de se tromper de siècle et investir». Autrement dit, il y a urgence à remettre de la logique économique dans l’agriculture, comme croire en la modernité.
A l’instar d’un Jean-Paul II qui disait au monde «N’ayez pas peur», Philippe Dessertine invitait à «foncer dans le nouveau monde», en réintégrant l’idée du risque. «Le risque, disait-il, doit devenir l’axe principal qui nous guide, ce qui veut dire aussi accepter l’échec.» Reste que la France vénère comme une idole le principe de précaution, ce qui la rend frileuse et craintive devant tout changement. Tel Jacques le Fataliste, de Diderot, elle se résigne à regarder les trains passer, sans envie d’y monter, de peur de louper la marche. Pour sortir de cet immobilisme et s’engager résolument dans le nouveau modèle économique qui fera le monde de demain, «son moteur doit être la passion. Or, le risque, c’est la passion», concluait-il. Là est toute la sève de la vie et le sens de l’existence.