Interview : Tereos : «Une crise de croissance en matière de gouvernance»
Quels dysfonctionnements notez-vous dans la gouvernance de Tereos ?
En échangeant avec les protagonistes, on se rend compte de tensions et de désaccords autour des comités d’audit et des rémunérations au sein du conseil de surveillance de Tereos. De quoi s’agit-il ? Le comité d’audit permet aux administrateurs de développer des connaissances précises qui touchent à la vie de l’entreprise, à son organisation et aux risques auxquels elle s’expose ; le comité des rémunérations offre, lui, des leviers aux administrateurs pour analyser et aligner les rémunérations des dirigeants sur l’atteinte des objectifs stratégiques. Des administrateurs de Tereos ont réclamé l’activation de ces comités spécialisés, une démarche jugée malvenue.
Mais la crise au sein du groupe est plus profonde. Elle trouve ses racines dans le passage à la coopérative unique et le redécoupage des assemblées de sections. Il y a, aux yeux de certains, des déséquilibres entre les différents territoires sur lesquels se déploie l’activité de Tereos. Le cœur des tensions est plutôt là, avec un contexte particulièrement délicat pour les planteurs de betteraves (fin des quotas, concurrence mondiale...).
Comment le groupe peut-il sortir de cette crise ?
De multiples scénarios de sortie de crise sont possibles. La gouvernance actuelle de Tereos n’a pas choisi d’organiser des élections pour remplacer les démissionnaires au sein du conseil de surveillance. Elle a choisi de faire entrer de nouveaux membres au sein du conseil de surveillance par cooptation. C’est une option tout à fait légale qui permet d’ouvrir une période intermédiaire, sans doute dans un esprit d’apaisement, avant des élections générales qui se feront selon le calendrier statutaire. Un autre scénario aurait pu être de réintégrer les démissionnaires ou d’anticiper les élections. La médiation menée par Henri Nallet (président du Haut Conseil de la coopération agricole) était plutôt tournée dans cette direction. Il est certain que la coopérative Tereos connaît une crise profonde, durable, et qui va laisser des traces chez les planteurs de betteraves. Cela intervient dans un contexte particulièrement sensible, de dérégulation du secteur, de concurrence internationale, d’investissements à l’étranger qui sont jugés comme très risqués par les administrateurs démissionnaires. Des tensions dans la gouvernance des coopératives, c’est normal. Mais pas à ce niveau de violence. Chez Tereos, la situation a pris une tournure extrême avec, derrière, sans doute, une histoire d’hommes. L’intérêt des adhérents est pourtant de jouer la solidarité dans un contexte de filière particulièrement défavorable. Les différents protagonistes doivent faire attention de ne pas fragiliser, voire casser l’outil industriel qui est remarquable.
Le cas Tereos est-il symptomatique d’un mal plus général concernant les coopératives ?
Les grandes coopératives agricoles françaises sont en train de vivre une crise de croissance en matière de gouvernance. Elles ont beaucoup grandi en vingt ans, parce que l’outil industriel s’est développé, avec aussi une internationalisation, une diversification des activités. Dans le même temps, les pratiques, les modes de gouvernance n’ont pas changé par rapport aux «petites» coopératives historiques, basées sur une proximité avec les dirigeants et les élus, ainsi qu’une bonne compréhension des enjeux métiers. On va assister, dans les années qui viennent, à une transformation des modes de gouvernance des grandes coopératives. Ça veut dire mieux s’appuyer sur des comités spécialisés, développer la compétence des administrateurs, mieux répartir les responsabilités au sein du conseil d’administration, mieux piloter les filiales.
Tereos, comme d’autres, n’a pas encore accouché d’une nouvelle gouvernance à hauteur des enjeux et des risques d’un groupe pesant cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires. D’autres coopératives sont en train de faire évoluer leur gouvernance vers une plus grande professionnalisation. En pleine crise de croissance, elles n’ont pas mis les structures, les compétences, les processus de gouvernance adaptés au pilotage d’outils industriels qui ont beaucoup grandi.
La loi issue des Etats généraux de l’alimentation aurait-elle pu éviter ce conflit ?
Son constat est que la gouvernance des grandes coopératives agricoles doit évoluer. Le gouvernement sortira des propositions pour faire évoluer le droit dans ce domaine. Va-t-il imposer des contraintes qui vont gêner les coopératives ? Ou les aider et permettre de rehausser leurs standards de gouvernance ?
On le verra dans les textes en préparation. Seront-ils très précis au point d’imposer que les administrateurs de la coopérative siègent aussi dans les conseils d’administration des filiales ? Il faut une meilleure organisation du fonctionnement des conseils d’administration via des comités spécialisés ; une animation territoriale renforcée et un plus grand investissement des élus dans la gouvernance des filiales. Des changements sont nécessaires pour que les coopératives françaises continuent de grandir et de se développer. Ne perdons jamais de vue que les coopératives sont essentielles à l’agriculture et l’alimentation.
La loi EGA est une réponse possible, mais il est toujours préférable de privilégier l’autorégulation plutôt que la contrainte. Il y a maintenant plus de vingt ans que les grandes entreprises françaises regroupées au sein du CAC 40 ont mis en mouvement une réflexion de fond sur les meilleures pratiques de gouvernance. Cela se traduit concrètement par le code Afep-Medef, qui balise le chemin pour les acteurs de la gouvernance de ces grandes entreprises. Les coopératives agricoles n’ont pas encore fait ce travail de cadrage. Personne, mieux que les acteurs de la gouvernance, ne sait comment faire pour progresser et faire évoluer le système. Les futures ordonnances devront être rédigées dans cet esprit si le gouvernement veut s’assurer d’une démarche collective partagée et ambitieuse de la part des coopératives agricoles.