Julien Dive : "Concilier souveraineté et sécurité alimentaire"
Député de la 2e circonscription de l’Aisne, Julien Dive s’intéresse actuellement aux conséquences du Covid-19 sur les filières agricoles. Des auditions qu’il a menées avec d’autres parlementaires doivent désormais émerger des propositions pour sécuriser durablement le modèle agricole français.
Dans le cadre de votre mandat à l’Assemblée nationale et chef de file de votre formation politique (LR) sur les questions agriculture/alimentation de quelle manière suivez-vous l’évolution de la crise engendrée par le Covid-19 et ses conséquences dans ces domaines ?
La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a créé des cellules de suivi des filières pour le tourisme, le commerce indépendant ou encore l’alimentation, l’agriculture et la pêche. Ces groupes sont composés de députés de la majorité et de l’opposition et sont chargés de faire le lien chaque jour depuis quatre semaines entre les filières et le gouvernement. Notre travail consiste à faire des points réguliers et à remonter les différentes situations. D’ici milieu de semaine (mercredi ou jeudi, ndlr), nous allons formuler une série de dix propositions pour tenter de sortir au mieux de cette crise conjoncturelle qui s’ajoute à une crise structurelle plus ancienne.
De quelle nature sont ces propositions ?
D’une manière générale, elles ont pour but de soutenir l’agriculture française. Il pourra s’agir d’un soutien financier, d’incitations à la consommation de certains produits, d’allégements législatifs ou réglementaires pour faciliter l’activité des agriculteurs...
Quels constats sur l’impact de l’épidémie de Covid-19 dans les filières agricoles et alimentaires tirez-vous des auditions effectuées dans le cadre de ce groupe parlementaire ?
Nous sommes face à des situations très disparates. Certaines ont souffert dès les premiers jours du confinement. C’est le cas par exemple des produits «plaisir» ou frais, comme les fromages AOP. D’autres en revanche, comme les produits de longue conservation (pâtes, riz) en ont profité. Sur les céréales, on ne sait pas encore dire quel sera l’impact, même si l’on pense qu’il y en aura un. Il faudra être attentif. La crise n’a pas fini de livrer ses effets. Dans les vergers, on s’attend à des difficultés de récolte avec un manque de main d’oeuvre saisonnière. La filière betteravière souffre actuellement avec une situation compliquée pour l’éthanol et un marché du sucre qui est lui aussi en souffrance. En pommes de terre, les situations sont contrastées, en fonction des débouchés. Idem en ce qui concerne la production laitière.
La crise engendrée par l’épidémie du Covid-19 a bouleversé les habitudes de consommation des Français. Pensez-vous qu’elles seront conservées dans les mois à venir ?
Cette manière de consommer peut perdurer à condition que les Français gardent la capacité à le faire. C’est à dire qu’ils gardent un pouvoir d’achat suffisant. Si, demain, le pouvoir d’achat est en berne, les consommateurs regarderont à deux fois avant d’acheter certains produits et retourneront vers le moins cher.
Peut-on considérer que cette crise profite d’une certaine manière aux circuits courts ?
On a l’impression que les consommateurs ont découvert les circuits courts avec cette crise. Ils se sont surtout rendus compte qu’acheter des produits alimentaires chez un producteur local, chez un artisan ne coûte pas plus cher que ce qu’ils achètent déjà préparé habituellement en grandes surfaces. Ils ont découvert avec le confinement que ce n’est pas compliqué de cuisiner et que cela participe même à améliorer leur pouvoir d’achat.
Début avril, vous appeliez la grande distribution à faire plus de place dans ses rayons aux produits locaux. Cet appel est-il toujours valable aujourd’hui ? D’autre part, estimez-vous que les grandes et moyennes surfaces ont correctement joué le jeu pendant cette crise en matière d’alimentation ?
La GMS est un acteur incontournable de la distribution alimentaire de notre pays. Il y a des comportements qui sont acceptables et d’autres qui le sont moins. Elle joue le jeu quand elle est ancrée dans son territoire et qu’elle permet à des entreprises locales de travailler. Il faut peut être aller plus loin en imposant, pourquoi pas, une part de produits locaux dans les rayons. Je suis également favorable à une baisse de la TVA sur un panel de produits, ce qui aurait pour effet de faire baisser leur prix. Mais si on le fait, cela doit servir le portemonnaie du consommateur avant d’être une manière d’augmenter les marges de la distribution.
En tant que défenseur assumé du localisme, faites-vous partie des 74 députés signataires d’une une tribune appelant à privilégier l’origine France pour l’approvisionnement de la restauration collective ?
Je n’ai pas été associé à cette démarche, mais je constate que certaines collectivités locales se sont déjà engagées en la matière. C’est notamment le cas de la Région Hauts-de-France. La loi Egalim a prévu que la restauration collective ait l’obligation d’acheter une part significative de produits locaux et/ou bio. En cela, la loi n’est pas bonne parce qu’en imposant une part de bio, sans que l’on ait à se soucier de l’origine, on ouvre la porte à des produits bio qui viennent d’autres pays que la France, ne correspondant pas forcément au standard français.
Quel regard portez-vous sur l’appel de la profession agricole à défendre une certaine souveraineté alimentaire ?
L’enjeu qui doit nous guider dans notre action publique est la recherche de sécurité alimentaire avant la souveraineté, même si cela est évidemment important. Il n’y a pas d’opposition entre les deux. Je suis convaincu que la France doit rester une puissance agricole, garder une capacité à exporter comme elle le fait parce que demain, il y aura dix milliards d’êtres humains à nourrir. Mais nous devons aussi garantir que l’alimentation des Français soit de qualité et en quantité suffisante. Enfin, il n’est pas question d’opposer agriculture et environnement, comme certains sont tentés de le faire.
La simplification réglementaire et normative revient régulièrement dans les demandes de la profession agricole, avec le sentiment d’une promesse non tenue. Pourquoi cela prend du temps ?
Nous n’avons toujours pas réussi à créer un guichet unique où les agriculteurs pourraient obtenir leurs réponses et effectuer leurs démarches. Il faut bien évidemment assouplir les règles, mais aussi les harmoniser avec nos pays partenaires au niveau européen. Il n’est pas normal que certaines choses soient autorisées quelque part et qu’elles ne le soient pas ailleurs. Mais cela prend pas mal de temps.
Quelles que soient les filières, considérez-vous que les producteurs français sont suffisamment armés pour faire face aux acheteurs de leurs produits, comme aux fluctuations de marchés ?
Permettre aux agriculteurs de mieux s’organiser était l’un des objectifs de la loi Egalim, après les États généraux de l’alimentation. On constate aujourd’hui que certaines filières sont bien organisées, et d’autres, non. Il est évident que lorsqu’on se constitue en OP, on pèse plus. La crise du Covid-19 n’aide pas en ce moment les producteurs à s’organiser, mais ils doivent continuer à y réfléchir.
À quel stade en sont les travaux de la mission parlementaire sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate que vous présidez également à l’Assemblée nationale ?
Cette mission arrive à son terme à la fin de l’année 2020. La crise du Covid-19 est passée par là et nous a fait prendre du retard, mais le travail va reprendre dès que nous le pourrons. À ce jour, nous avons identifié des impasses majeures dans deux filières : l’agriculture de conservation et la vigne en coteaux. Dans d’autres filières, on s’est rendu compte aussi qu’il y a encore des alternatives à trouver. Mais une chose est sûre, c’est que l’on parle énormément du glyphosate en France alors qu’on en utilise peut être dix fois moins que dans des pays auxquels on achète des produits, sans trop regarder les conditions dans lesquelles cela se fait.
Crise sanitaire Covid-19 et aides Pac : Bruxelles propose d’accorder 5 000 € à chaque agriculteur
Les crédits du second pilier de la Pac, qui ne sont pas utilisés cette année, pourraient être versés sous forme d’aide exceptionnelle. Elle atteindrait 5 000 € par agriculteur. La Commission européenne accroche un nouveau wagon au train de mesures proposées depuis mi-mars dernier. Le 4 mai dernier, l’organisation bruxelloise a proposé d’autoriser les Etats membres de l’Union européenne de réaffecter les fonds du développement rural qui ne seraient pas employés en 2020. Si le Parlement européen et le Conseil européen donnent leur accord, ces fonds inutilisés seraient alors employés pour indemniser les agriculteurs et les petites entreprises agroalimentaires victimes de l’arrêt de l’activité économique de leur pays. Une aide exceptionnelle pouvant atteindre 5 000 € serait alors versée à chaque agriculteur en difficulté. Pour les petites entreprises, cette aide atteindrait 50 000 €. Les conditions d’éligibilité pour bénéficier de cette mesure ne sont pas définies mais cette nouvelle disposition s’ajouterait aux aides de minimis que les Etats membres versent aux agriculteurs éligibles. Les crédits réalloués s’ajouteraient aussi aux augmentations des plafonds des aides d’État fixées par la Commission européenne depuis le confinement de l’économie européenne. Chaque semaine, l’organisation européenne ne manque pas de souligner les efforts déployés depuis près de deux mois pour apporter des soutiens aux agriculteurs et aux filières agricoles confrontés aux conséquences économiques de la crise sanitaire du Covid-19 : augmentation des plafonds des aides des États, hausse des avances des aides Pac et allongement des délais pour faire les déclarations Pac. Le 4 mai, le journal officiel de l’Union européenne a publié les onze actes non législatifs relatifs aux mesures exceptionnelles annoncées le 22 avril dernier. Ils portent sur les aides au stockage privé pour les secteurs des produits laitiers et de la viande et sur l’autorisation temporaire d’auto-organisation de mesures de marché par les opérateurs des secteurs durement touchés par la crise sanitaire (limitation de production, retraits temporaires du marché d’une période de 2 à 6 mois maximum, distribution gratuite etc.). Ces programmes sont ouverts depuis le 7 mai 2020. Ces actes non législatifs décrivent aussi la mise en œuvre des programmes de soutien du marché.