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La Cour des comptes étrille la MSA

Dans un rapport sévère de 160 pages, la Cour des comptes passe au crible le fonctionnement et les finances de la MSA, deuxième régime de sécurité sociale en France avec 5,6 millions de ressortissants. Dans ce modèle qu'elle estime «en déclin structurel», elle détecte de nombreuses anomalies.

La Cour des comptes recommande à la MSA, entre autres, de «réformer en conséquence» son organisation territoriale.
La Cour des comptes recommande à la MSA, entre autres, de «réformer en conséquence» son organisation territoriale.
© Bureau 112



«Très insuffisant.» Si la Cour des comptes devait apposer une appréciation en bas de son bilan global d'évaluation de la MSA, ce serait certainement celle-ci. Dans un rapport de 160 pages mis en ligne le 26 mai, l'organe de contrôle des comptes publics estime en effet que «les spécificités de la MSA perdent de leur substance» et que la gouvernance «atypique» de la MSA est «peu adaptée à des évolutions indispensables dans l'organisation des activités du régime agricole». Pis, soulignent les magistrats financiers, un précédent rapport publié en 2011 alertait déjà sur la réorganisation «inachevée» de la MSA, entamée en 2010 avec la fusion des 84 caisses départementales en 35 caisses locales. Elle estimait aussi que la fonction de pilotage national assumée par la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) «demeurait insuffisamment affirmée». Deux critiques qu'elle reprend, étaye et enrichit de nombreuses remarques dans son dernier rapport public thématique intitulé sobrement : La Mutualité sociale agricole.

«Déclin structurel»
Premier constat tiré par la Cour des comptes : le régime de sécurité sociale de la MSA est «en déclin structurel». Un déclin avant tout démographique, note la Cour, car la base professionnelle regroupant exploitants et employeurs de main-d'oeuvre «se réduit inexorablement» tandis que la part d'affiliés salariés «stagne». Or, cette baisse générale du nombre d'affiliés se répercute sur le financement du régime agricole de sécurité sociale. Ce dernier est le principal récepteur de l'argent public, observe la Cour : «En 2018, les ressources issues de la solidarité nationale représentaient ainsi 40,6 % de celles du régime des salariés et 83,1 % de celles du régime des exploitants.»
La Cour des comptes estime aussi que la gestion de la MSA est «insuffisamment performante», car elle engage des moyens disproportionnés. «Avec 10 % environ des agents du régime général, la MSA a, en 2018, versé l'équivalent de 7,2 % des prestations versées par les branches du régime général et mis en recouvrement l'équivalent de 4,3 % des prélèvements sociaux collectés par les Urssaf», note la Cour. Ceci, «malgré la baisse de la charge d'activité intervenue depuis 2010» due à l'érosion du nombre d'affiliés et à la dématérialisation des services. «La MSA n'a pas engagé de nouvelles fusions de caisses», déplore la haute autorité de contrôle.

Faible spécialisation
«La carte des implantations n'a pas non plus été resserrée : la MSA compte 92 sites de production (où est effectuée la gestion des prestations et prélèvements, ndlr) auxquels s'ajoutent 243 agences et 349 permanences locales qui accueillent du public.» En dépit de la mutualisation d'activités entre certaines caisses, celles-ci «demeurent faiblement spécialisées» et la plupart conservent le rôle de gestion de prestations et prélèvements, quand bien même «les plus grandes caisses [de la MSA] sont plus petites que les plus petites caisses et Urssaf du régime général», poursuit la Cour. Les magistrats financiers notent aussi certaines limites au modèle d'accueil des affiliés MSA. S'ils reconnaissent que le système de guichet unique, fort de son maillage territorial, permet une prise en charge «plus personnalisée qu'au régime général», ils soulignent sa «productivité plus faible (3,5 fois moins de visites par agent à l'accueil)». Ils regrettent aussi que le taux de réponse de la MSA aux appels téléphoniques soit inférieur à celui du régime général.

Des moyens et des performances disparates
La Cour des comptes pointe du doigt des écarts importants dans les moyens accordés aux caisses locales. «La part des moyens affectés à la production varie de 15 points entre les caisses situées aux deux extrémités du spectre sans que cet écart s'explique par des disparités liées à la population des assurées», indique la Cour. Certes, la MSA a «consenti d'importantes réductions d'effectifs» poursuit la Cour, mais le redéploiement de la masse salariale s'est fait au détriment des services de production, ce qui est «peu propice à l'amélioration des délais». Or, l'organe de contrôle remarque que les résultats de la MSA sont très inégaux selon la branche d'activité. À commencer par l'activité recouvrement des prélèvements sociaux, «le principal point noir de la gestion opérationnelle de la MSA», soutient la Cour dans son rapport. Ainsi en 2018, le taux de restes à recouvrer était de 6,4 % pour les prélèvements sociaux d'affiliés non-salariés, et de 2 % pour les employeurs de salariés. Concernant les retraites en 2017 et 2018, à peine plus d'une demande de retraite sur deux a été payée à échéance, «ce taux s'étageant de 20 à 80 % selon les caisses», relève la Cour. Aussi, seulement 57 % des versements de prestations familiales et de solidarité ont été effectués à échéance.

Douze recommandations pour plus d'efficience
Pour toutes ces raisons, la Cour des comptes adresse cinq premières recommandations à la MSA pour rendre sa gestion plus efficace, notamment dans le cadre de ses missions de sécurité sociale. Tout d'abord, elle invite la CCMSA à faire un «bilan des opérations de réorganisation et de la production» en vue de la prochaine Convention d'objectifs et de gestion (COG 2021-2025) avec l'État, laquelle se déroulera à l'automne. Ceci, afin de «réformer en conséquence» l'organisation territoriale de la MSA. Une suggestion bien accueillie par la Caisse centrale, même si dans sa réponse à la Cour en fin de rapport, elle réfute le terme «réformer» pour lui préférer l'idée «d'ajuster» le modèle actuel. «On tient absolument à maintenir notre implantation territoriale», a réagi le directeur général de la CCMSA François-Emmanuel Blanc le 27 mai. «Et donc, on fait de la mutualisation d'activités, plutôt que de la fusion de caisses et de la diminution du nombre d'implantations. C'est le coeur même de notre démarche politique.» Dans la même veine, le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume répond à la Cour des comptes que «des réformes d'organisation successives et permanentes ne sont pas souhaitables», car elles sont justement à l'origine d'insuffisances de performance constatées par la Cour.

Priorité au recouvrement des prélèvements sociaux
Pour réduire ces écarts de performance entre les caisses, la Cour invite la CCMSA à «piloter» son réseau d'une main plus ferme et à construire des outils «robustes» permettant de mesurer la charge d'activité et la productivité. Deux préconisations qui font mouche auprès de la MSA, qui rappelle néanmoins avoir déjà «pleinement intégré l'objectif de resserrement des caisses» et avoir mis en place des «dispositifs opérationnels d'entraide dans le domaine des prestations familiales». La Cour estime aussi qu'il faut donner «priorité immédiate» à l'amélioration du recouvrement des prélèvements sociaux. Une priorité partagée à la fois par le ministère de l'Agriculture et par la MSA, bien que ni l'un ni l'autre ne soient adeptes du «recouvrement forcé» avancé par les magistrats financiers. Aussi, la Cour conseille de dissoudre les 34 sociétés civiles immobilières (SCI) détenues par les caisses locales quand la MSA en est le seul membre. Une demande accueillie dubitativement par la CCMSA, mais positivement par Didier Guillaume. «Il sera demandé, lors des négociations pour la prochaine COG, qu'un programme pluriannuel de rachat des parts de SCI soit élaboré puis validé par les tutelles», promet le ministre de l'Agriculture.

La MSA «détournée» de sa mission première
Dans son rapport, la Cour des comptes se penche aussi sur les activités de la MSA qui ne relèvent pas du régime de sécurité sociale, comme la gestion de contrats d'assurance complémentaire santé et prévoyance et l'offre de services à la personne. Elle considère en effet que ces activités peuvent «détourner» la MSA de sa mission première. À cet égard, elle formule trois recommandations. Elle appelle la MSA à clarifier le régime fiscal de ces activités qui relèvent du «champ concurrentiel». Elle recommande de «mettre à niveau l'outil de comptabilité analytique» pour savoir précisément combien coûtent ses prestations de services. Elle recommande aussi à la MSA de céder à d'autres opérateurs la gestion de ses établissements sanitaires, médico-sociaux et des villages vacances. Sur les deux premiers points, la MSA répond à la Cour que des travaux sont déjà engagés. En revanche, levée de boucliers sur l'idée de confier les infrastructures annexes à des tiers. «Les associations oeuvrant au titre de l'offre de services de la MSA contribuent de fait à notre projet global au service de la cohésion sociale des territoires», argue la CCMSA à la Cour. Le ministre de l'Agriculture va plus loin en rappelant à la Cour que «le législateur a confié à la MSA le soin de mettre en oeuvre la protection sociale agricole dont le périmètre est plus large que la seule sécurité sociale».

Une gouvernance remise en question
D'autre part, la Cour des comptes s'attarde sur le mode gouvernance de la MSA qui s'appuie sur un réseau de 2,7 millions d'électeurs qui élisent (tous les cinq ans) leurs 13 760 délégués locaux, lesquels élisent à leur tour environ un millier d'administrateurs. Ce mode de gouvernance apparaît de moins en moins légitime, aux yeux de la Cour, vu le faible taux de participation aux élections de délégués (26 % en 2020). Pour lever ce «frein», la Cour recommande d'instaurer plus de parité dans les conseils d'administration en donnant plus de poids aux salariés (collège 2) qui, bien que majoritaires en nombre, ont moins de voix au chapitre que les exploitants agricoles (collège 1) et employeurs de main-d'oeuvre (collège 3) réunis. Une critique que la MSA et le ministère de l'Agriculture balaient d'un revers de main en répondant, dans le rapport, que le système est équilibré. La MSA précise aussi qu'elle s'est saisie de la question «dès l'automne 2018» et que les syndicats de salariés dans leur ensemble «n'ont pas souhaité remettre en cause le modèle actuel de gouvernance». De plus, la Cour suggère de donner au directeur général de la CCMSA la capacité de nommer et révoquer les directeurs des caisses locales. Cette mesure visant à consolider le pilotage national du réseau ne convainc pas l'actuel directeur général de la CCMSA. «Le mode de management de la MSA est basé sur le collectif des directeurs de caisses et de la caisse centrale, c'est un collectif de débats, d'échanges et d'arbitrages [...] On n'est pas dans une culture pyramidale ou hiérarchique, un modèle qui n'est pas nécessairement le plus adapté», explique François-Emmanuel Blanc, précisant toutefois que «le directeur général a une autorité naturelle sur les directeurs de caisse».

Besoin de synergies opérationnelles
Enfin, la Cour recommande de «renforcer la prévention des conflits d'intérêts dans l'exercice des mandats des administrateurs». Une remarque que la MSA «entend», signalant tout de même au passage qu'elle est «le seul régime de sécurité sociale tenu de faire établir des déclarations d'intérêts». De son côté, le ministre de l'Agriculture est favorable à cette idée et suggère que la CCMSA nomme un «déontologue» pour veiller à la bonne application des règles dans les caisses locales. En dernier lieu, et non des moindres, la Cour préconise à la MSA de se rapprocher du régime général «sur un plan opérationnel». Elle appelle notamment à mutualiser les systèmes informatiques entre les différentes branches de Sécu. Une recommandation bien accueillie tant par la CCMSA, qui souligne que des synergies «sont déjà mises en oeuvre», que par Didier Guillaume, qui propose que le ministère de la Santé soit «facilitateur» dans ce chantier.

Assainissement des finances
En revanche, ni le ministre de l'Agriculture, ni la MSA ne sont très enthousiastes à l'idée de synchroniser la Convention d'objectifs et de gestion (COG) avec celles du régime général, pour des raisons pratiques notamment. Sur le plan de l'assainissement des finances du régime agricole, la Cour recommandait de définir un échéancier de remboursement de la dette du régime des retraites des non-salariés (3,7 MdEUR). Mais dans leurs réponses à la Cour, le ministère de la Santé et la CCMSA indiquent d'une part que créer un «échéancier» n'est pas possible et, d'autre part, que la dette sera absorbée dès 2022 avec la réforme des retraites.
Malgré un travail monumental des six rapporteurs de la Cour des comptes et de l'auditeur qui ont élaboré ce rapport, celui-ci n'a pas de caractère impératif. Mais dans la pratique, selon le service de presse de la Cour, environ 75 % des recommandations sont totalement ou partiellement mises en oeuvre. Qu'en sera-t-il de celles formulées à l'égard de la MSA ? En écrivant que l'intégration «rapide» de la MSA au régime général «n'est pas envisageable», la Cour des comptes laisse entrevoir le futur qu'elle imagine pour la MSA à long terme.
Alors que dans leurs réponses à la Cour, les ministères de l'Agriculture et de la Santé s'y opposent expressément, arguant la légitimité du régime agricole. Pour le directeur général de la CCMSA François-Emmanuel Blanc, deux conceptions de la protection sociale s'opposent. Une vision fondée sur la rationalité économique, celle de la Cour. Et une vision reposant sur l'engagement humain et la cohésion des espaces ruraux dont les plus éloignés. «Ce serait incompréhensible qu'au nom d'une performance entendue strictement au sens comptable, il faille retirer nos implantations du territoire. Ce serait totalement contraire aux besoins de la population d'aujourd'hui», conclut François-Emmanuel Blanc.



Les syndicats de salariés se lèvent pour la MSA et veulent plus de représentativité

Dans un communiqué commun le 28 mai, les syndicats de salariés agricoles (CGC, CFTC, CFDT, FO et CGT) défendent à cor et à cri le régime de protection sociale de la MSA, durement critiqué dans le rapport de la Cour des comptes le 26 mai. Ils reprochent à la Cour «une vision purement comptable» et «s'opposent fermement à la suppression de la MSA et à son rapprochement au régime général», dit le communiqué. Les syndicats soulignent aussi que «l'organisation décentralisée et l'ancrage territorial de la MSA [...] sont des atouts majeurs» pour maintenir le lien social dans les territoires ruraux qui se vident des services de l'État. Ils reconnaissent cependant la «pertinence» du rapport sur la nécessité de rééquilibrer la gestion paritaire des conseils d'administration des caisses locales, tout en s'étonnant de n'avoir pas été audités par la Cour à ce sujet. «Les salariés et retraités, représentant 58 % des assurés, revendiquent une représentativité proportionnelle dans les conseils d'administration de la MSA en fonction de leur poids démographique», poursuit le communiqué.

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