Lait : «C’est à nous de créer un élan»
L’ex-présidente de la branche française du réseau EDF (European Dairy Farmers), et productrice de lait en Normandie, fait le point sur la situation de la filière et les raisons d’espérer.
Que vous inspire le titre choisi pour cette deuxième journée Ambition Ozé, «Vive le lait, vivre le lait» ?
Au premier abord, j’ai trouvé ce titre osé, et sans jeu de mot, car notre sentiment en tant qu’éleveur est compliqué. Même si le plus fort de la crise laitière est derrière nous, on ne sait pas trop ce que nous réserve le futur. Nous n’avons plus, à vrai dire, de repères. Mais vivre le lait, c’est bien l’objectif. C’est à nous d’aller de l’avant. Reste que notre profession est un peu passive et a tendance à attendre que les solutions viennent d’ailleurs.
Quelle est votre analyse de la situation laitière aujourd’hui ?
Avec la fin des quotas en 2015, la volatilité des prix s’est installée, et elle va durer. Il va donc falloir s’y habituer. Il ne faut pas s’attendre à ce que la loi issue des Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation apporte une solution miracle. Néanmoins, dans le cadre des négociations commerciales, cela peut donner quelque chose pour les laiteries qui vendent en France. En revanche, pour celles qui font de l’export, il ne faut s’attendre à rien, car on ne peut pas avoir un prix du lait politique qui s’applique hors de nos frontières. Si la France est le seul pays à intégrer les coûts de production, nous ne serons pas compétitifs sur les marchés extérieurs.
Une fois cela dit, la bonne nouvelle, c’est qu’il faudra du lait, à long terme, au vu de l’évolution de la démographie mondiale. Et le produit lait standard restera parce que l’industrie a besoin de lait pas cher. Par ailleurs, la dimension écologique et le bien-être animal sont des critères qui entreront en compte dans notre production. Ils devraient être pris en compte, au final, dans le prix du lait. Mais la route pour atteindre nos objectifs est tout sauf une ligne droite. Elle sera particulièrement sinueuse, et il faudra s’adapter tout le temps.
Est-ce que vous pensez que les éleveurs sont prêts à s’adapter tout le temps ?
Il faut reconnaître que l’on manque de souplesse. Pourtant, nous sommes assez résilients mais, en même temps, nous voulons protéger les systèmes d’avant. Quand les quotas ont été créés, nous n’en voulions pas. Puis, quand ils ont été supprimés, nous étions contre. Nous ne voulions pas non plus de la Pac, et, à présent qu’elle est menacée, nous réclamons son maintien en l’état.
Dans notre culture, nous sommes en fait assez conservateurs, ce qui induit un manque de capacité à s’adapter. Nous devons lutter contre ce manque d’agilité dont nous faisons preuve. Le changement passera par le développement personnel et par notre capacité à être chef d’entreprise.
Concrètement, exercez-vous cette capacité à s’adapter dans votre exploitation ?
Nous avons un système très résilient, qui présente beaucoup de souplesse, car nous avons très peu de charges de structure. Nous sommes très low cost. Notre exploitation se compose de 100 ha, que des fourrages, sauf 6 ha de blé, et de 150 vaches. Nous embauchons beaucoup pour compenser la vieillesse de notre bâtiment d’élevage et de notre salle de traite, mais cela nous permet d’avoir une bonne qualité de lait. La plaine, elle, est totalement déléguée.
Avec la crise, nous avons fait le choix de ne pas investir. On fait le dos rond en attendant des jours meilleurs, mais notre système fonctionne encore. Et si, demain, nous avons un coup dur, nous pourrons diminuer notre main-d’œuvre. Mais notre vrai défi pour demain, c’est la fin du glyphosate, car nous sommes en semis simplifié. De fait, si cela arrive, je ne sais pas comment nous allons faire.
European Dairy Farmers
Le réseau réunit cinq-cents producteurs de lait, provenant de vingt-deux pays européens. Ses objectifs sont de favoriser les échanges d’expérience et d’informations entre éleveurs, de comparer les différents systèmes de production en Europe et dans le monde du point de vue de leur efficacité, et de coopérer avec les secteurs amont et aval. Il travaille aussi sur les compensations de prix.