Lait : ils osent investir en plaçant l’élevage au cœur de l’assolement
Depuis février, les laitières des Bonneval ont intégré un
bâtiment flambant neuf. Le projet implique une
cohérence technique, économique, agronomique et humaine. Avenir conseil élevage y organisait son forum, le 21 juin.
Un bâtiment de 2 000 m2, très lumineux et aéré, d’une capacité de 190 vaches laitières, doté de 150 logettes, un robot de traite de trois stalles (3 x 60 VL), le sol en fosse sous caillebotis… Un bijou de 1 135 000 €, que les Bonneval, père, mère et fils, associés du Gaec Chemin d’Abbeville, devront rembourser en douze à quinze ans.
«Mes parents étaient en Gaec avec mon oncle et ma tante, à Warlus. Mais la ferme était enclavée dans le village. Impossible de la développer pour que je puisse m’installer», explique Benoît Bonneval. La décision a donc été prise de scinder le Gaec et de délocaliser les laitières à Belloy-Saint-Léonard. Les 104 Prim’Holstein à la traite et une centaine de génisses profitent du confort optimal depuis le 23 février, mais la réflexion date de 2013. Car pour relever un tel pari, la famille, encadrée par Avenir conseil élevage (ACE), notamment, a dû tout calculer. Objectif : pouvoir amortir le prêt et se dégager un salaire net de 2 000 € par associé.
Premier levier, pour y parvenir : augmenter le cheptel. «La marge brut du lait s’élevait à 172 000 € en 2017. Il faut atteindre 220 000 € en 2018 et 250 000 € en 2019 (calcul fait sur une base de
330 €/1 000 l de lait, ndlr), détaille Sébastien Daguenet, du Cerfrance Somme. Pour cela, il faut augmenter le volume de lait, et donc le nombre de vaches.» Aujourd’hui, les 104 VL (vaches laitières produisent 1 160 000 l. L’objectif est d’atteindre 120 VL pour 1,2 Ml. D’ici 2019, le nombre de vêlages du troupeau devra donc passer de 104 à 130, et les vêlages de génisses de 42 à 50.
Le calcul intègre également une diminution des coûts des aliments grâce à une optimisation des rations : «de 128 € d’aliments pour 1 000 l de lait, il faudra descendre à 110 €/1 000 l.» La marge sur coût alimentaire idéale serait de 220 000 € en 2018 et de 250 000 € en 2019. La clé : réduire la quantité d’aliments achetés. Finis le Cartalim et le Lactoplus dans l’assiette des VL, qui représentent 194 €/jour pour 92 VL. Mais les pulpes surpressées, le foin de luzerne et le maïs seront distribuées en plus grande quantité. Les vaches mangeront désormais aussi du tourteau de colza, du Stimulax mix, du Corex 200 et du Suprolic 30 (204 € pour 100 VL). La marge sur coût alimentaire passerait ainsi de 575 €/jour à 680 €/jour pour l’élevage, malgré une augmentation du cheptel.
Adapter le système fourrager au terroir
Une très bonne qualité des aliments permettrait enfin aux vaches d’augmenter leur propre production et de passer de 9 300 l/VL en moyenne en 2017 à 10 000 l/VL. Et sur ce point, la réussite résulte du savoir-faire de l’éleveur à conduire son système fourrager. «Chaque agriculteur doit prendre en compte les caractéristiques de son terroir», assure un technicien ACE. Premier point à retenir : un maïs doit absolument être ensilé à maturité, car il doit présenter au moins 32 % de MS (matière sèche). «Le maïs est souvent ensilé trop tôt. Or, gagner 1 t de MS, c’est gagner 900 UF (unités fourragères), soit 950 kg de concentré énergétique que vous n’achetez pas.» Dans les terres blanches des Bonneval, des variétés de maïs précoces sont à privilégier. Il faut néanmoins savoir ensuite gérer les stocks pour le conserver correctement.
Pour la luzerne, le problème est inverse : «les agriculteurs ont souvent tendance à la récolter trop tard.» Or, une luzerne récoltée plus tôt est de meilleure qualité : «La luzerne a une valeur énergétique assez faible, autour de O,8 UF. Mais elle offre un apport de fibres bon pour l’effet rumination et la réduction du risque acidogène. Elle est riche en calcium, en apport minéral et azoté, et permet donc la réduction du tourteau d’environ 500 g par kg de MS».
Une génétique spécifique
Plus qu’une ration revue, le gros changement pour les laitières était le passage au robot de traite. Un changement que les Bonneval ont anticipé depuis plusieurs années, en se penchant sur la génétique. Car des vaches physiquement adaptées au robot sont des vaches traites facilement. «Les mamelles et les membres sont les éléments les plus importants», assure Laurent Ferry, de Prim’Holstein France. Les membres doivent être parfaitement alignés pour éviter les risques de boiterie. Le taureau doit donc présenter un index compris entre 0,6 et 2. Les trayons, eux, doivent être suffisamment écartés pour éviter les risques de mammite et pour que le robot puisse s’y fixer facilement. Autre aspect à prendre en compte : la vitesse de traite. «Il faut au moins entre 2,5 et 3,5 kg/minutes de débit, pour pouvoir traire la vache entre 7 et 4 minutes.»
Le pari de l’adaptation des vaches au bâtiment semble réussi. C’était pourtant la première inquiétude de Marie-Christine. «Mais dès le lendemain du déménagement, elles étaient couchées dans les logettes et semblaient paisibles. Elles sont allées au robot sans difficulté. Quand on voit que les vaches sont bien, l’agriculteur est forcément bien», sourit-elle. Pour la famille aussi, le travail est moins pénible. «Avant, il fallait absolument être deux ou trois. Désormais, j’arrive à tout faire seul le matin», confie Benoît. Ne reste plus qu’à remplir les objectifs économiques fixés.