Le miel Tilleul de Picardie à l’épreuve du jury
Emblématique de la région, le miel de Tilleul présente des caractéristiques recherchées. Une démarche de qualité engagée par des apiculteurs de la région devrait déboucher sur une indication géographique protégée. Une des conditions : faire agréer son miel par un comité de dégustation ad hoc. Le dernier s’est réuni le 7 octobre à Amiens.
Emblématique de la région, le miel de Tilleul présente des caractéristiques recherchées. Une démarche de qualité engagée par des apiculteurs de la région devrait déboucher sur une indication géographique protégée. Une des conditions : faire agréer son miel par un comité de dégustation ad hoc. Le dernier s’est réuni le 7 octobre à Amiens.
Pots identiques. Capsules neutres. Seule la couleur des échantillons, couleur crème ou jaune, les distingue les uns des autres. En deux heures, seize lots de miel seront dégustés par le jury. Objectif : déterminer lesquels correspondent aux caractéristiques attendues du miel de tilleul de Picardie. Une quinzaine d’apiculteurs des cinq départements des Hauts-de-France présentaient le fruit de leur récolte 2021, le 7 octobre dans les locaux de la Chambre d’agriculture de la Somme, à Amiens.
Le miel récolté il y a trois mois environ est à peine cristallisé. D’une robe jaune clair, il prend désormais une teinte plus claire encore. Mais déjà, il présente une texture homogène, une odeur végétale avec des notes fraîches ou mentholée, une saveur rafraîchissante et mentholée, astringente, une sucrosité et une acidité moyennes, et une persistance en bouche prononcée. C’est au regard de l’intensité de ces caractéristiques que chaque échantillon sera bientôt goûté, dégusté, critiqué par un jury ad hoc. Précédemment, ces échantillons ont déjà subi une analyse en laboratoire.
Plus exigeante que la réglementation relative au miel de tilleul, qui s’appuie essentiellement sur la proportion de nectar de tilleul, cette démarche de qualité est aussi plus rigoureuse que d’autres jurys de sélection : ce comité ne prend en compte que les avis de personnes qualifiées qui ont suivi une formation à la dégustation. Ici, pas de «j’aime» ou «je n’aime pas», pas de juré envoyé de la veille pour le lendemain par telle ou telle organisation partenaire. Le dégustateur doit savoir reconnaître les saveurs si caractéristiques de ce miel, ou déceler ce fameux «goût exogène», ou goût de fumée, que redoutent les apiculteurs qui auraient appuyé trop fort sur l’enfumoir lors du travail aux ruches. Rédhibitoire.
Jugement des pairs
Autour de la table siègent des apiculteurs professionnels. La dégustation s’effectuant à l’aveugle, un juré peut critiquer un échantillon qu’il a lui-même présenté. La chose est rare, mais elle peut se produire. L’exercice requiert une certaine discipline. Entre chaque miel goûté, les dégustateurs se nettoient le palais à l’eau, ou avec une bouchée de pomme ou de biscotte... Enchaîner trop rapidement les cuillères de miel tromperait les papilles. En silence, pour ne pas influencer les voisins, chacun note ses remarques sur une échelle de 1 à 9 : fraîcheur, saveur, persistance, typicité... Trop humide ? Un goût exogène trop marqué ? Pas assez de persistance en bouche ? Si l’échantillon obtient une moyenne inférieure à 5, le lot ne pourra pas être agréé. «Pour moi, ce n’est pas du tilleul ; c’est un toutes fleurs», lâche, sévère, un des plus anciens à propos d’un lot. Au moment du bilan, l’échantillon ratera la moyenne requise de quelques centièmes ; il ne sera pas agréé.
À l’issue des dégustations, les notes tombent aussitôt. «Huit passent, huit ne passent pas», résume Alain Bahuchet, de Terroirs Hauts-de-France, animateur de la séance. «Pas étonnant au regard de cette saison compliquée.» Un candidat, qui présentait son miel pour la première fois, ne cache pas sa déception. Un collègue plus expérimenté, dont le miel a déjà été plusieurs fois primé, a fait le choix de ne rien présenter cette année. «Chez nous, la miellée de tilleul a démarré presque en même temps que le toutes fleurs ; ça a rendu le travail compliqué», explique cet apiculteur du Nord, qui transhume une partie de son cheptel dans l’Oise et l’Aisne.
Les lots présentés le 7 octobre représentent une production cumulée de près de 12 t, un volume assez faible cette année. Selon les massifs, les rendements ont aussi été très hétérogènes : si la plupart ont récolté entre 10 et 20 kg de miel par ruche, certains ont récolté moins de 5 kg/ruche quand les meilleurs taux dépassent 40 kg/ruche.
Prochaine étape : l’indication géographique protégée
On en trouve dans toute la région Hauts-de-France, mais en plus grande densité dans un grand arc allant du sud du Pas-de-Calais au centre de l’Aisne en passant par la Somme et l’Oise. De nombreux apiculteurs de toute la région transhument une partie de leurs colonies sur ces massifs. Certains viennent même du Centre ou d’Île-de-France pour y faire butiner leurs abeilles.
La reconnaissance de ce miel est un cheval de bataille historique des professionnels depuis la création, il y a vingt ans, de l’association des Apiculteurs professionnels en Pays du Nord-Picardie (APPNP), rebaptisée début 2021 ADA Hauts-de-France (Association de développement apicole).
La démarche de qualité est aujourd’hui portée par l’ADA et la marque Terroirs Hauts-de-France. Pour intégrer cette démarche, les apiculteurs doivent respecter un cahier des charges commun qui porte sur la localisation des emplacements, le travail au rucher... et se soumettre à des contrôles en cours d’année.
Début 2020, les adhérents de l’association ont validé un projet de cahier des charges plus précis encore, qui appuiera leur projet de mise en place d’une Indication géographique protégée. Ce chantier, appuyé par Terroirs Hauts-de-France et le Groupement régional pour la qualité alimentaire, fait aujourd’hui l’objet d’échanges avec l’Institut (Inao) et la Commission européenne.