Les «tondeuses» vivantes de Pierre Bellavoine
Pierre Bellavoine, éleveur caprin et ovin, a monté, en mai 2017, à Amiens, sa société La Chèvrerie de Pierrot - Bell’Green, spécialisée dans l’éco-pâturage et l’entretien écologique d’espaces verts.
Si l’éco-pâturage est en vogue dans les villes et les milieux péri-urbains depuis peu, Pierre Bellavoine n’a pas attendu l’effet de mode pour être convaincu des bienfaits de cette pratique. Après un Bac en gestion des milieux naturels et de la faune, il intègre le Conservatoire des espaces naturels de Picardie en tant qu’agent technique à la gestion du pâturage. Sa mission consiste alors à entretenir les milieux naturels avec des moyens vivants, soit des chèvres, des vaches et des moutons dans toute la Picardie.
«Entre l’action animale et l’action humaine, on retrouve une biodiversité intéressante. C’est ce que faisaient mes grands-parents. L’éco-pâturage, c’est finalement remettre les pratiques anciennes au goût du jour», commente le jeune homme de vingt-deux ans. La passion pour l’élevage et l’éco-pâturage le gagnant de plus en plus, après six années au conservatoire, il décide de s’installer à son compte, en mai 2017.
Du pâturage à gestion raisonnée
Première étape : constituer son cheptel de «tondeuses» vivantes. Il porte son dévolu sur des moutons d’Ouessant et des chèvres de races naine, demi-naine et toy. Des choix liés aux qualités rustiques des bêtes, à leur sociabilité, à leurs capacités à pâturer dans tout type de milieu, à la simplicité des mises-bas et agnelages pour les moutons, et à leur complémentarité pour obtenir un pâturage correct. «Puis, moutonnier ou chevrier, ça peut s’inventer, vacher non. Il faut vraiment être issu du milieu agricole, ce qui n’est pas mon cas, et avoir fait des études spécialisées pour se lancer dans l’élevage bovin. Enfin, j’avais plus l’habitude de travailler avec des moutons et des chèvres», explique Pierre. Son cheptel se compose aujourd’hui de vingt-cinq moutons et de trente chèvres.
Si aucune règle spécifique n’existe vraiment pour pratiquer l’éco-pâturage, celui-ci implique tout de même une gestion raisonnée du pâturage dans le respect de la nature. Pour ce faire, un calcul de l’UGB (unité gros bétail, ndlr) est incontournable, soit un calcul de la charge animale à l’hectare. Impératif pour éviter le sur-pâturage et respecter la biodiversité. Autres compétences requises : la connaissance pointue des mesures environnementales, de l’élevage, de l’écologie, de la nature des sols et des aptitudes pour sensibiliser tous les publics. «Autrement dit, en termes de compétences, on doit être des touche-à-tout», indique Pierre.
Si, pour mettre en place un éco-pâturage, la surface minimale doit être de 1 000 m2, l’éleveur a commencé son activité sur des surfaces de 500 m2 chez des particuliers. Son travail a consisté à une mise en pâturage de cette surface en y installant deux bêtes
- le minimum selon lui pour avoir un résultat intéressant, mais aussi pour le bien-être des animaux -, des clôtures électriques, une cabane pour les intempéries, un point d’eau et un poste électrique autonome avec un panneau solaire pour éviter de brancher un poste sur secteur. «Pour réussir un éco-pâturage, il faut aussi prendre en compte l’aspect paysager pour éviter un côté fouillis, car il y a des plantes que les animaux ne mangent pas», précise-t-il.
Des pratiques qui séduisent de plus en plus les collectivités territoriales, les entreprises, les établissements publics et les particuliers, chacun ayant ses raisons. «Certains sont à la recherche du rétablissement de la biodiversité sur leurs terrains, d’autres y ont recours pour le débroussaillage, pour l’entretien des jardins ou encore pour le côté attractif et ludique que représente la présence d’animaux dans leur jardin», détaille-t-il. Quelles que soient les raisons, la demande se développe et le carnet d’adresses de Pierre s’étoffe.
Interventions diverses
Pierre intervient autant chez des particuliers que pour le compte des collectivités. Ainsi a-t-il été chez un particulier à Villers-sous-Ailly sur un terrain de 2 500 m2, sur lequel il a installé quatre bêtes durant trois mois. Le but était d’assurer un pâturage assez intense pour restaurer leur jardin.
Côté collectivités, Amiens métropole lui a proposé un contrat d’éco-pâturage itinérant d’un an sur cinq sites (citadelle d’Amiens, le parc du Grand marais à Etouvie, le parc Saint-Pierre, le parc de la Hotoie, et le Bois Bonvallé, qui devrait débuter début 2019. «Vingt bêtes seront mobilisées à partir d’un cheptel unique dédié exclusivement à la métropole. Suivant les sites, elles resteront un ou plusieurs jours, ou quelques heures pour un pâturage flash», détaille-t-il. Le tout accompagné d’animations scolaires et d’actions de sensibilisation tout public.
De quoi mettre du beurre dans les épinards et faire progresser le chiffre d’affaires de l’entreprise. Avec un investissement initial entre le matériel et les bêtes de 12 000 € et un budget annuel pour l’alimentation des bêtes en hiver de 4 000 €, le chiffre d’affaires devrait passer de 26 000 € en 2017 à 47 000 € en 2018. Et, avec les nouveaux contrats engrangés, «si tout se signe, on devrait être, en 2019, à 80 000 € et embaucher deux personnes», espère-t-il.
www.lachevreriedepierrot.fr ou .com
L’élevage débarque en ville
Si les potagers et les ruches fleurissent en ville, l’élevage n’est pas en reste avec l’arrivée de l’éco-pâturage.
Renault, SNCF, Pomona Passion froid, Truffaut, HEC, Parc Astérix, tous ont déjà fait appel à cette nouvelle technique d’entretien des espaces verts : l’éco-pâturage. Moutons, caprins, bovins sont aujourd’hui utilisés en ville pour remplacer la tonte et favoriser la biodiversité. A l’image de l’agriculture urbaine, arrive l’élevage urbain. Un constat qui a amené deux chercheurs à s’interroger sur cette pratique. D’après leurs conclusions, «le pâturage urbain revisite les traditionnelles manières d’entretenir, remet en question les acquis techniques de l’aménagement paysager et permet d’évoluer vers une durabilité des façons d’intervenir, ouvrant de nouvelles perspectives pour la formation et l’emploi dans le secteur».
En pratique, Alain Divo, fondateur du bureau d’études Ecoterra, et ayant déposé le terme d’éco-pâturage à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), explique sa façon de faire. Déclaré exploitant agricole, il possède 280 ruminants répartis entre des chèvres des fossés, des moutons d’Ouessant, Lande De Bretagne et Ile-de-France et des bovins Bretonne Pie Noir, Froment du Léon ou Nantaise. S’il possède 10 hectares autour de chez lui, en Ile-de-France, il utilise près de 150 à 180 hectares de pâtures dans Paris et ses banlieues.
150 à 180 hectares de pâture en villes
«Je travaille dans une logique agricole», explique-t-il. Il rentre ses animaux à l’automne pour que les mises-bas aient lieu à la ferme. Il garde les agneaux quinze jours à trois semaines après leur naissance «afin que les renards, très présents en ville, ne les attaquent pas». Engraissés à l’herbe, les animaux sont ensuite tués pour partir en circuit court. «Que du bouche-à-oreille», souligne-t-il. Les carcasses sont légères, mais la valorisation est là, car les races utilisées sont recherchées. Toutes en voie de disparition, les races qu’il utilise lui permettraient de toucher des aides publiques mais, «je ne touche pas une seule prime de la Pac», relève-t-il.
Son exploitation-bureau d’étude emploie trois salariés à temps plein. Le chiffre d’affaires de l’entreprise, toutes activités confondues, atteint 250 000 e en 2016. En parallèle, il propose des formations pour les écoles et des diagnostics concernant la biodiversité. Pour la surveillance, il forme une personne de l’entreprise ou de l’organisme public. «Il y a toujours un volontaire pour aller voir les animaux, les surveiller, et il m’appelle en cas de problème», fait remarquer Alain Divo. Il rapporte peu de vols ou d’actes de Malveillance, comme l’ouverture de clôtures la nuit. Mais il s’inquiète de la concurrence sur le marché par des non-professionnels, voire même d’autres éleveurs qui mettent des animaux à disposition... gratuitement.
Des «professionnels» de tous horizons
Marjorie Deruwez, créatrice et gérante d’Ecozoone, ancienne institutrice, travaille également avec des races à petits effectifs. Elle déclare posséder 1 500 bêtes et pouvoir desservir toutes les villes de France. Elle n’hésite pas à prendre en location les moutons d’éleveurs, et embauche des saisonniers qu’elle forme pour surveiller les brebis. En ville, ils vivront en caravane, instaurant un dialogue avec les citadins et protégeant les brebis d’un vandalisme fréquent, selon son discours.
Son entreprise emploie quinze équivalents temps plein. Mais elle ne donnera pas de chiffre d’affaires. Elle dit ne pas rentrer dans une logique de production et conserver les animaux à vie. Pour recruter, elle cherche des «passionnés», car «ce n’est pas un métier où l’on compte ses heures !». Un discours que les éleveurs connaissent trop bien...
Eco-Mouton, entreprise créée par Sylvain Girard, gérant d’un entrepôt logistique en région parisienne, utilise, selon son site Internet, 1 500 moutons d’Ouessant et emploie douze salariés. Il se qualifie d’«éleveur». En plus, de l’installation de poulailler ou de potager en ville, l’association Les bergers urbains, s’est lancée dans la même démarche. Avec sa centaine de moutons, elle propose même des transhumances, comme le montre la photo de leur site internet, avenue de la République, à Saint-Denis (93).
Appels d’offres
Avoir des compétences agricoles ou des connaissances en zootechnie n’est pas forcément un plus lors de la réponse à des appels d’offres sur l’éco-pâturage, estime Alain Divo, fondateur d’Ecoterra.
Il constate que «la compétence agricole n’est pas le problème de ceux qui lancent les appels d’offres. Les élus vont faire confiance à des gens qui parlent bien. Un discours purement agricole n’est pas adapté non plus». D’après lui, le prix proposé est l’autre élément qui joue dans la balance pour remporter les appels d’offres.