Négociations commerciales : premier bilan en demi-teinte
Quelques jours après la fin des négociations commerciales 2019, la loi Egalim a-t-elle porté ses premiers fruits ?
«Cette année encore, les négociations commerciales continuent d’être centrées uniquement sur le prix : près de 49 % des entreprises ont ainsi signé en déflation», a déploré l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), le 3 avril, à l’occasion de sa conférence de presse économique annuelle. Une déflation qui se chiffrerait, selon l’Ania, à - 0,5 % en 2019 pour l’ensemble des entreprises.
Pour Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, présentés d’une autre façon, ces chiffres indiquent que la majorité des entreprises n’a pas connu de baisse de prix. Auditionnée le 4 avril devant la commission des Affaires économiques du Sénat, la secrétaire d’Etat a indiqué que, d’après les trois cents contrôles qui se sont déroulés sur ces négociations commerciales - et qui ont concerné cent cinquante PME, cent ETI et quatre très grosses entreprises -, la tendance serait plutôt à «- 0,27 % de déflation par rapport à l’entame des négociations commerciales». Une déflation qui était de - 3 % en 2018.
Renforcer les sanctions
D’après les premiers retours de la DGCCRF, «certains groupes de produits tirent leur épingle du jeu», a précisé Mme Pannier-Runacher, citant notamment le frais en libre-service, dont les prix ont augmenté de 1 %. Dans ce secteur, l’appréciation du comportement des acheteurs a été jugé «très bon», et les contreparties jugées «bonnes». Par ailleurs, ce sont les plus grosses entreprises qui estiment avoir eu le plus de difficultés, alors «tout ce qui était proche des agriculteurs a plutôt été mieux traité», indique la secrétaire d’Etat.
Si l’Ania demande «où sont passés les six cents millions d’euros gagnés par les distributeurs suite au relèvement du SRP», Agnès Pannier-Runacher rappelle, de son côté, que la mesure n’a été mise en place que le 1er février. «On n’est pas dans une phase de redistribution massive de l’argent.» Néanmoins, après une première phase de plus de 1 300 contrôles, qui ont surtout mis l’accent sur le rappel à l’ordre, plusieurs contournements ont été relevés au niveau de l’encadrement des promotions. «Les dispositions sur les promotions ne sont pas respectées. On a observé des contournements par le cagnottage et les cartes de fidélité», reconnaît la secrétaire d’Etat, qui ajoute que les contrôles vont donc «monter en pression».
Les sanctions devraient donc être renforcées, comme le demandent l’Ania et la FNSEA, qui a rappelé dans un communiqué du 5 avril que «la loi doit s’appliquer». «La FNSEA et son réseau vont redoubler de vigilance sur la bonne application de l’encadrement des promotions dans les magasins et dénonceront les tentatives de contournement», prévient également l’organisation.
Un bilan officiel des négociations commerciales doit être publié fin avril par la Médiation des relations commerciales agricoles.
INTERVIEW Patrick Bénézit
Secrétaire général adjoint de la FNSEA
«Le monde agricole ne peut plus attendre»
Alors que les négociations commerciales se sont achevées le 31 mars, beaucoup d’acteurs se sont exprimés, regrettant le peu d’effet de la loi Egalim. Qu’en-est-il, du côté des producteurs ?
Tout d’abord, il faut rappeler que les producteurs ne sont pas dans les box de négociation. Ils ne savent pas ce qui s’y passe. Si la loi pèche sur une chose, c’est sur la transparence à ce sujet. Car les déclarations de l’Ania et de la FCD ne sont pas représentatives de ce que la DGCCRF a vu. On a parlé de mettre des caméras dans les box, ce qui a pu être pris pour une plaisanterie mais, en tout cas, nous avons besoin de cette transparence. Ensuite, nous attendons un bilan un peu plus détaillé de la part de Bercy suite aux contrôles qui ont été réalisés. Le ministère de l’Economie s’est également engagé à organiser une réunion sur la transparence des pratiques commerciales en avril, pour avoir les détails production par production, mais malgré ces débuts de transparence, on reste dans le cirque des postures. Et ce qui est problématique, c’est qu’on ne sait pas qui croire.
Il est donc possible qu’il y ait eu une amélioration, dans ces négociations commerciales, par rapport à ce qui avait cours les années précédentes ?
Si on est sur une moyenne quasi identique à ce qui se faisait avant la loi, selon la DGCCRF, le compte n’y est pas très clairement ! Cependant, aujourd’hui, nous ne sommes absolument pas sûr que toutes les organisations de producteurs (OP) aient joué le jeu et se soient saisies des éléments de la loi. Quelles sont les offres de prix et de contrats qui ont été faites par les OP ? Est-ce que l’on a des exemples pour attaquer sur des prix abusivement bas, pour les OP qui auraient fait des propositions de prix rejetées ? La loi prévoit que ce soit les producteurs qui proposent les prix. Pour avoir des hausses, encore faut-il avoir fait des propositions de contrat en bonne et due forme. D’autant qu’il n’y a pas de représailles possibles : les acheteurs, que ce soit des industriels ou des distributeurs, doivent répondre à toutes les propositions de contrat sous peine de sanction. On ne déréférence pas comme ça. Il y a des règles qui protègent, et les ruptures de contrat sont condamnables de manière extrêmement forte.
Quel est votre message, après ces premières négociations commerciales réalisées après le vote de la loi Egalim ?
Nous appelons tous les acteurs, et notamment les organisations de producteurs, à utiliser ce qu’il y a dans la loi, car on voit bien que cela n’a pas été le cas à l’occasion de ces négociations commerciales. Et nous appelons aussi la puissance publique à compléter les dispositions réglementaires. Par exemple, on voit certains contournements au niveau de la guerre des prix, comme le cagnottage. Par ailleurs, certains fournisseurs auraient été déréférencés pendant les négociations commerciales, ce qui est totalement illégal. Il faudrait le vérifier mais, aujourd’hui, l’arsenal répressif est là. Si c’est constaté, on ne comprend pas pourquoi l’Ania n’attaque pas. Ce que nous voulons se résume en trois points : que tous les acteurs se saisissent des outils de la loi, car des mauvaises habitudes continuent, y compris dans les OP, améliorer l’arsenal législatif, et augmenter les contrôles et les sanctions. Le monde agricole ne peut plus attendre.
Propos recueillis par D. J.