Producteurs laitiers plombés par leurs investissements
La crise laitière qui dure depuis plusieurs années est-elle vraiment une crise ou n’est-elle pas le reflet de problématiques plus structurelles dans la filière ? Plongée dans les comptabilités des exploitations.
Le 28 juin, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la Fédération nationale des producteurs de lait évoquaient «mille jours de crise» pour les éleveurs laitiers dans un communiqué, insistant sur l’importance d’une revalorisation du prix du lait. Pourtant, comme le précise Benoît Rubin, délégué régional Bretagne, Pays de la Loire à l’Institut de l’élevage (Idele) «trois ans de crise, c’est très long !». «Assistons-nous à une crise par définition conjoncturelle ou à une évolution plus structurelle ?», s’interroge-t-il à bon escient.
Il note que, malgré le prix du lait supérieur à 380 euros/1 000 litres de 2014, le résultat courant moyen par unité de main-d’œuvre est de 27 000 euros cette année-là (25 100 euros en 2008, 30 100 euros en 2011 et autour de 23 000 euros en 2012 et 2013) et, cela même, alors que, depuis début 2007, les dimensions d’exploitations ont fortement augmenté. En 2015, le résultat courant dépasse légèrement 15 000 euros et, en 2016, il chute à - 300 euros. Les éleveurs n’étaient donc pas dans une situation florissante avant «la crise» de 2015, du fait de crises antérieures et de l’augmentation des coûts de production.
Benoît Rubin note également que sur les 673 exploitations laitières de l’Ouest étudiées, plus de 30 % avaient déjà une trésorerie nette négative fin 2014. Fin 2016, plus de 50 % des exploitations se retrouvent dans cette situation.
Une insuffisance de résultats et non de financements
Pour Philippe Chotteau, chef du département économie de l’Idele, la question de la crise existe bel et bien chez les producteurs. Leur difficulté financière est évidente. Du côté de la filière laitière, au vu des chiffres précédents, Benoît Rubin conclut à «des difficultés conjoncturelles des exploitations qui révèlent aussi des problèmes structurels». D’après les chiffres, les producteurs sont confrontés à une «insuffisance de résultats et non de financement de leur projet». En effet, durant la dernière période de prix élevés en 2014, les producteurs ont investi.
Mais les prix qui ont suivi ne sont pas à la hauteur. D’après Benoît Rubin, l’annuité moyenne d’un producteur en situation de croisière est de 80 euros/1 000 litres. Pour ceux qui ont récemment investi, notamment les jeunes, le montant des annuités est souvent supérieur à 110-120 euros/1 000 litres. Au niveau des bilans comptables, Benoît Rubin note que le montant des immobilisations est de 500 à 700 euros ramené par 1 000 litres en situation de croisière, et passe à 1 200 euros, voire 2 500 euros/1 000 litres avec les nouveaux investissements. Aussi, «il existe un décalage conséquent entre le capital investi et l’EBE dégagé», relève-t-il. Et d’ajouter «Les producteurs sont sur une tranche d’investissement supplémentaire à prendre en compte dans les discussions filières.»
Faire mieux avant de faire plus
Il est donc absolument nécessaire de trouver un équilibre entre les investissements réalisés et le prix du lait. En effet, par ces prix bas qui durent, les producteurs d’avenir sont les plus touchés, ce qui, à long terme, atteindra toute la filière. Benoît Rubin alerte aussi les producteurs : rien ne sert de courir derrière des volumes supplémentaires ! «Il s’agit de faire mieux avant de faire plus. Cela n’a pas de sens d’aller chercher des volumes s’il n’y a pas d’efficience», insiste-t-il.
Un message que les producteurs ont du mal à entendre, surtout dans un contexte où l’élevage reçoit beaucoup de critiques. Et pourtant, les écarts de revenu par 1 000 litres de lait sont importants entre producteurs. En moyenne, sur trois ans, cet écart est supérieur à 110 euros/1000 litres, dont 14 euros/1000 litres ont expliqués par des produits (6 euros/1 000 litres sur le prix du lait et 8 euros/1000 litres sur la valorisation de la viande), et 62 euros/1 000 litres par les charges courantes.
Les charges animales et les frais de gestion sont les postes où l’écart est le plus important, respectivement 22 euros/1000 litres et 12 euros/1 000 litres.