Quelle situation pour le lait de la région ? Les élus font le point
Marie-Sophie Lesne, en charge de l’agriculture pour
la Région, a fait le déplacement dans la Somme, le 14 février.
Au programme : visite d’exploitation, de la laiterie Lact’Union et annonce des dispositifs d’accompagnement régionaux.
150 vaches à la traite pour un contrat annuel de 1 700 000 l de lait par an. 265 hectares dont 85 de prairie et de maïs pour permettre l’autosuffisance alimentaire du troupeau. Un coût alimentaire optimisé à 80 € par vache. Trois robots de traite, un grand et lumineux bâtiment… Tout porte à croire que l’exploitation de la famille Dengreville (père, mère et fils, associés en EARL), à Saint-Riquier, a traversé la crise comme une lettre à la poste. «Et pourtant, pour nous non plus, rien n’est simple. Ces belles installations nous coûtent 19 000 € de mensualités, en partie pour le remboursement de l’installation de Romain en 2014», assure Dominique Dengreville.
Ce mercredi matin, Marie-Sophie Lesne, vice-présidente de la Région en charge de l’agriculture et Jean-Michel Serres, président de la commission agriculture et agroalimentaire pour la Somme, ont répondu à l’invitation de Patricia Poupart, conseillère régionale, dans cette exploitation laitière pour un échange avec les agriculteurs. Plusieurs inquiétudes évoquées, dont la «défaillance du système d’aide de la Région».
Les Dengreville s’expliquent : «Nous avons investi dans un troisième robot de traite en 2015, pour lequel nous avons obtenu 40 000 € de subventions de la Région. Celui-ci a été installé en avril 2016. Et nous avons perçu le premier acompte en octobre 2017…» Une lenteur administrative qui n’incite pas les exploitants à se lancer pleinement dans leur projet de diversification. «Nous pensons à la méthanisation. Mais le coût - 300 000 € à 1 M € en fonction de l’installation - nous a refroidi. Nous aimerions être accompagnés et aidés sérieusement.»
Un exemple de situation à laquelle est confrontée la plupart des éleveurs de la Région. «Si une exploitation comme celle-là s’inquiète de son assise et de ses investissements, que doivent alors penser les jeunes ?», s’inquiète Edouard Brunet, président des JA de la Somme.
Marie-Sophie Lesne convient que ces délais très longs sont une réalité. «Et nous ne sommes pas sortis de l’auberge, même si nous avons essuyé les plâtres des deux premières années.» Comptez toujours un an de délai au moins entre le dépôt du dossier et la subvention, car «l’ogre du mécanisme administratif a pris le dessus. Pour éviter les pénalités de l’Europe, un système infaillible a été mis en place, qui se traduit par des délais énormes.» L’élue en est consciente, «les agriculteurs sont les premiers à payer les conséquences».
La matinée s’est poursuivie à la laiterie Lact’Union d’Abbeville : 650 producteurs répartis en Picardie, 480 points de collecte, 240 millions de litres collectés chaque année et 400 personnes pour fabriquer lait, crème, beurre, desserts prêts à consommer et lait infantile. L’occasion d’exposer la stratégie du groupe, qui mise beaucoup sur l’exportation de ses produits, avec plus de cinquante destinations dans le monde. «Aujourd’hui, nous exportons trois millions de litres de lait, soit 12 à 13 % de nos produits. Je suis persuadé que, dans quelques années, 50 % de notre lait sera exporté», explique le directeur, Olivier Buiche. Lact’Union est d’ailleurs «la première d’Europe a avoir obtenu une accréditation d’export vers la chine, marché d’avenir».
Valorisation à l’échelle locale
Marie-Sophie Lesne «ne doute pas de la nécessité d’exporter le lait», mais croit aussi en l’avenir de la valorisation du lait à échelle locale. L’objectif de 70 % d’approvisionnement local dans la restauration scolaire est «sur la bonne voie». La plate-forme de vente en direct Somme-produitslocaux devrait prochainement se développer à l’échelle régionale sous le nom Appro-locale. Des tutorats devraient être mis en place entre les communes pour aider celles qui ne sont pas encore passées à l’approvisionnement local pour leurs cantines.
La Région espère aussi pouvoir peser dans le prix du lait grâce au projet «lait à bas carbone», porté par l’Association d’organisations de producteurs (AOP)* de lait Nord-Picardie-Ardennes. Une sorte de label qui permettrait aux producteurs de valoriser les efforts faits pour réduire leur impact environnemental. Un premier bilan doit être effectué cette année, puis un deuxième bilan sera réalisé dans cinq ans pour mesurer l’impact. L’objectif : passé d’1 kg de carbone à 0,8 kg de carbone consommé pour la production d’1 l de lait. «La région accompagnera les exploitations qui devront avoir recours à quelques modifications pour obtenir le label», assure Marie-Sophie Lesne.
* L’AOP est composée de l’OP Danone Bailleul, l’OP Lactalis de Cuincy et de l’OP Fauquet (Fromagers de Thiérache, appellation Maroilles), soit près de 1 000 adhérents. Deux autres OP devraient prochainement intégrer l’association.
Deux dispositifs annoncés
La journée était aussi, pour la Région, le moyen d’évoquer le lancement des dispositifs d’accompagnement de 2018. Brièvement, car les élus comptaient faire une annonce officielle lors du Sia.
Le «chèque premier remplacement» pour les éleveurs
Permettre aux éleveurs de souffler et de prendre du recul pendant une journée, c’est l’objectif du «chèque premier remplacement innovation et valeur ajoutée». Concrètement, il s’agit de la mise à disposition d’un salarié agricole du service de remplacement (groupement d’employeurs) pendant une journée.
«Les audits-conseils, mis en place par la Région dans le cadre du plan d’urgence en faveur de l’élevage, ont souligné le faible taux d’adhérents à ce service dans les Hauts-de-France, commente Marie-Sophie Lesne. Seuls 7 % des agriculteurs de la région l’utilisent et se libèrent du temps pour s’octroyer du répit, se faire accompagner par des professionnels, s’informer et saisir des opportunités d’investissement ou d’innovation». En offrant une première journée, la Région espère bien convaincre les éleveurs à adhérer au groupement pour se faire remplacer plus fréquemment.
Ce chèque devrait permettre à 1 000 agriculteurs des Hauts-de-France, ayant au moins un atelier d’élevage et primo-bénéficiaires du service de remplacement, de bénéficier de la prise en charge totale de la première journée de remplacement. L’adhésion des primo-demandeurs sera financée par le service de remplacement.
Deux appels à projet
La Région Hauts-de-France est autorité de gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) pour la période de programmation 2014-2020. Comme en 2017, ce fonds sera utilisé pour soutenir les investissements dans les exploitations agricoles au travers de deux Programmes de développement rural régional (PDR). «Une politique d’aide aux investissements qui permet aux agriculteurs et aux groupements d’agriculteurs de consolider la performance économique, environnementale, sociale et sanitaire de leur exploitation», assure la région.
Dès le 1er mars, dans le cadre de chacun des Plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE) des deux PDR, la Région Hauts-de-France lance des appels à projets pour soutenir l’investissement dans les exploitations agricoles, dotés de 6,7 M € pour la Picardie et de 8,4 M € pour le Nord-Pas-de-Calais.
Pour le Nord-Pas-de-Calais, les mesures ouvertes sont les investissements visant la réduction des impacts environnementaux, visant l’autonomie et le renforcement des filières d’élevage et visant l’amélioration de la qualité et le renforcement des activités dans les filières végétales. Les mesures spécialisées d’investissements non-productifs liés à la réalisation d’objectifs agro-environnementaux et climatiques entre aussi en compte. (Date de clôture le 25 mai 2018, dossier à télécharger sur www.europe-en-nordpasdecalais.eu).
Pour la Picardie, les mesures ouvertes sont les investissements visant la réduction des impacts environnementaux et climatiques, dans les exploitations agricoles pour améliorer leur performance globale et leur durabilité, non productifs liés à la réalisation d’objectifs agro-environnementaux et permettant la mise aux normes des bâtiments d’élevage dans les nouvelles zones vulnérables. (Cette dernière mesure dispose de deux dates limite de dépôt : 25 mai 2018 et 26 octobre 2018. Pour les autres, la date est le 25 mai 2018. Dossier à télécharger sur www.europe-en-picardie.eu).