Sécheresse : quelles incidences dans les élevages laitiers ?
La production laitière de la Somme sera-t-elle en baisse en raison de la sécheresse ? Son incidence dans deux exploitations aux systèmes de production différents. Bernard Mancaux, éleveur laitier à Fluy, et Benjamin Delva, éleveur laitier à Eplessier. Deux éleveurs, deux systèmes différents.
De mémoire de Samariens, la dernière sécheresse remonte à 1976. Certes, la chaleur a pointé le bout de son nez les années suivantes, mais point de canicule comme peuvent connaître régulièrement les régions du Sud. Mais, cette année, tous les agriculteurs de France n’y ont pas échappé. Durant plus de trois semaines, les températures ont atteint des records. Si l’épisode canicule est derrière nous dans la Somme, de fortes températures pourraient être de retour en septembre, selon les prévisions de Météo France. Et, avec le changement climatique, les températures seront destinées à grimper au fil des ans.
Pour l’heure, «on note dans notre département un manque de fourrage pour alimenter les troupeaux. De plus, on va être pénalisé par rapport à la récolte de maïs. On relève déjà des baisses de rendement, et les situations sont hétérogènes d’un secteur à l’autre. Sans compter que certains troupeaux enregistrent des baisses de production, plus sur les taux de lait que sur les volumes. La baisse des taux de lait est autour de 5 %. On note 1,5 de taux protéiques en moins et le même chiffre pour la matière grasse, soit une perte environ de 10 € sur le prix du lait», explique Simon Traullé, conseiller élevage à la Chambre d’agriculture de la Somme.
Ces conditions climatiques inhabituelles ici engendrent surtout une perte totale de repères pour les agriculteurs. Faut-il ensiler ou pas, s’interrogent ceux qui font du maïs ? Quand doit-on récolter ? Comment cela se passe-t-il ailleurs ? Comment ajuster les rations ? Autant de questions posées aux conseillers techniques de la chambre, des coopératives ou du contrôle laitier. Si les agriculteurs ont perdu leurs repères, les conseillers ne sont pas mieux lotis, semble-t-il, attendant que les prélèvements sur les maïs éclairent un peu mieux la situation actuelle.
Que faire ?
Pour compenser le manque de fourrage, la solution la plus simple est l’achat de coproduits. De quoi alourdir le coût de production, et ce d’autant que ces produits ont vu leur prix s’envoler ces dernières semaines, enregistrant des augmentations de près de 20 %. Pas la meilleure solution pour des exploitations laitières à la trésorerie exsangue. Autre option : implanter des couverts intermédiaires consommés par les animaux tels que de l’avoine, du ray-grass et du seigle, plutôt au printemps pour ces deux intercultures.
Côté bien-être animal, «il est important de bien ventiler le bâtiment, de repousser la nourriture des bêtes plusieurs fois par jour et de multiplier les points d’eau d’abreuvement», indique Simon Traullé. Reste que la problématique diffère d’une exploitation à l’autre, en fonction notamment du système de production choisi. Deux types existent : le système maïs ensilage (90 % des pratiques dans la Somme) et le système herbager (autour de 10 %).
Dans un système de maïs ensilage
Avec ses 80 vaches laitières et un contrat lait de 760 000 litres, Bernard Mancaux, éleveur à Fluy, a privilégié depuis longtemps le système de maïs ensilage pour nourrir ses bêtes. «Le système herbager n’a jamais été adapté pour les prairies par ici. D’une part, parce que, dans le temps, le bâtiment d’élevage se trouvait au cœur du village, ce qui supposait de le leur faire traverser pour rejoindre les prairies en passant par la route, et, d’autre part, parce qu’économiquement c’était moins rentable que le système de maïs ensilage. Sans compter qu’un système herbager est plus vulnérable», précise l’éleveur laitier, qui travaille toute l’année avec du maïs ensilage pour nourrir ses vaches.
Mais la sécheresse qui s’est abattue sur le département a quelque peu changé la donnée. D’abord, pour les stocks de maïs. Si l’éleveur a du stock, lui évitant d’être en rupture et de ne pas être pénalisé par la sécheresse, «ses effets se feront sentir l’an prochain, car le stock sera forcément inférieur», précise-t-il. Et de craindre, côté récolte de maïs, des prévisions à la baisse de l’ordre de 20 % en volume. Plusieurs possibilités seront alors à explorer si les prévisions se confirment : soit acheter du maïs pour compenser le manque de rendement, soit semer du ray-grass et du trèfle pour avoir de l’ensilage en octobre, «ce qui coûtera moins cher que d’acheter des produits à l’extérieur», dit-il. Autre option : l’achat de coproduits, mais vu l’envolée des prix, ce n’est même pas envisageable.
Autre conséquence de la sécheresse : une baisse de production laitière, oscillant de 4 et 10 %, «mais de façon très irrégulière suivant la fraîcheur ou non des nuits», indique-t-il. Même si, pour l’heure, la sécheresse ne joue pas encore sur la conjoncture, et donc sur le prix du lait, «les prix que nous avons aujourd’hui ne seront pas suffisants par rapport à l’augmentation du coût de production engendré par la sécheresse», commente-t-il. Et de conclure que, avec le réchauffement climatique, les éleveurs devront réfléchir à la meilleure manière de diluer les risques. Pour sa part, sa réflexion est la suivante : faut-il s’orienter vers des cultures de luzerne ou, à l’inverse, faire un assolement de maïs sur plus d’hectares ?
Dans un système herbager
Avec deux tiers de son assolement en herbe en prairies permanentes (30 ha) et temporaires (80 ha), la sécheresse a tout grillé chez Benjamin Delva, éleveur laitier en bio à Eplessier. Pour nourrir ses vaches, il utilise d’ordinaire de l’herbe fraîche, divers mélanges de légumineuses en bio (trèfle blanc pour le affouragement vert, trèfle violet pour l’ensilage et luzerne pour le foin ou l’ensilage) et quelques graminées telles que la fétuque ou le ray-grass.
Mais, avec la sécheresse, le trèfle blanc n’a pas poussé. «On a dû se rabattre sur le trèfle violet et la luzerne que l’on a fait passer en affouragement en vert. Malgré cela, on a dû taper dans nos stocks d’hiver et on est passé de 60 à 70 % d’affouragement en vert au lieu de 90 %. On continue aussi à donner de l’herbe fraîche aux bêtes pour éviter les problèmes d’acidose», détaille Benjamin Delva. Les génisses, elles, ont été régulées dans les prairies permanentes avec du foin, de la luzerne et de l’orge aplati.
L’éleveur reste cependant optimiste, pariant sur une belle seconde partie de saison pour rattraper le manque. Dans tous les cas, hors de question d’acheter du foin ailleurs. Trop cher. Quant à la baisse de production, là aussi, l’optimisme prédomine. «On a des vaches à 22 l en bio. La baisse de production ne pourra pas être drastique», dit-il. Et d’ajouter : «On a tellement de diversité de terres et de cultures qu’on arrive à s’en sortir, tout en régulant avec un peu de stock.» Mais, pour tenir, à l’avenir, ne faudra-t-il pas mettre en place de l’irrigation dans les prairies ? La question est ouverte.
Prix du lait : la sécheresse ne joue pas encore sur la conjoncture, selon le Cniel
Dans sa dernière vidéo, publiée le 9 août, Benoît Rouyer, économiste au Cniel, décrit une conjoncture laitière peu évolutive depuis juin. Les cours des produits laitiers ont, pour l’heure, peu souffert de la sécheresse des dernières semaines en Europe. «Le prix du beurre reste élevé, sans pour autant atteindre les sommets de l’année précédente, décrit-il. Celui de la poudre de lait écrémé se maintient à un niveau très bas.» La collecte non plus n’a pas marqué le pas. D’après les données hebdomadaires de FranceAgriMer, qui s’arrêtent à fin juillet, la production française reste en légère progression par rapport à l’an passé. Benoît Rouyer indique toutefois que la production laitière devrait ralentir en Europe au second semestre, «et donc conforter une tendance plutôt à la hausse» des cours «dans les mois à venir». En France, le prix standard du lait de vache conventionnel affichait 306 €/1 000 l en mai, toujours selon FranceAgriMer. «Il se situe 15 € en dessous du prix standard du lait de vache toutes qualités confondues, qui englobe non seulement le lait conventionnel, mais aussi le lait bio et le lait destiné à la fabrication d’AOP», ajoute Benoît Rouyer.