Série «les indispensables» : Raphaël Delva, technicien de culture bio
Ils ne sont pas agriculteurs, mais sont pourtant indispensables aux exploitations. Raphaël Delva témoigne du métier de conseiller technique. Sa particularité : il est expert en bio.
La clé de la réussite d’une exploitation bio ? Sans hésiter, pour Raphaël Delva, conseiller technique à Bio en Hauts-de-France, elle réside en la motivation de l’agriculteur. «C’est pour cela que, dès la première rencontre avec l’agriculteur qui souhaite se convertir, j’aime prendre le temps de comprendre qui est en face de moi, livre-t-il. Une conversion doit être choisie et non subie.»
Bien souvent, les premières questions qui lui sont posées sont très concrètes. Quelles rotations, quelles solutions pour gérer les adventices, quelle alimentation pour assurer la productivité d’un troupeau…? Mais, au risque de paraître trop curieux, Raphaël veut cerner les envies profondes des personnes, pour définir le projet qui conviendra le mieux à chacun : «L’agriculteur veut-il plus de temps libre ? Un meilleur salaire ? Espère-t-il pouvoir se faire remplacer facilement ?»
Au-delà du suffixe «technique» accolé à son titre de conseiller, Raphaël a donc dû développer ses qualités de psychologue. Pour lui, l’important est que l’agriculteur se sente bien dans ce qu’il fait. «Souvent, la conversion en agriculture biologique est un moyen de retrouver du plaisir dans son travail. A la base, c’est un métier-passion, car la rémunération n’est pas toujours à la hauteur des efforts fournis. Alors, il faut au moins trouver du plaisir à l’exercer.»
Pour cerner au mieux les envies, Raphaël Delva se rend au moins la moitié de son temps dans les exploitations. «Je réalise un diagnostic en une demi-journée, puis l’étude technico-économique prend environ cinq jours.» Son dada à lui : la polyculture-élevage. Car, pour lui, «les deux sont complémentaires. En bio, il serait difficile de fermer la boucle sans élevage. Le collier tomberait.» Techniquement, l’implantation de prairies temporaires est une nécessité dans le plan de rotation des terres bio, pour assurer la fertilité des sols. Pour valoriser ces prairies, mieux vaut donc avoir des animaux d’élevage. «Et puis j’ai du mal à me projeter dans une ferme sans animaux…»
Il faut dire que Raphaël a grandi dans la ferme laitière bio familiale. Un atout qui lui permet bien souvent d’asseoir sa crédibilité, malgré son jeune âge (vingt-quatre ans, ndlr). «C’est bête à dire mais, souvent, quand l’agriculteur apprend que je suis fils d’agriculteurs, beaucoup de freins sont levés.» Le conseiller peut également s’appuyer sur son bagage d’ingénieur agronome, qu’il a obtenu à Rouen, et sur son ouverture d’esprit. «Les connaissances pointues finissent de rassurer.»
La diversification, facteur de réussite
L’ouverture d’esprit et la remise en question sont aussi de mise, dans un secteur en perpétuelle évolution. «On ne sait pas toujours pourquoi on a réussi, mais on doit savoir pourquoi on a échoué pour pouvoir s’améliorer ! De nouvelles techniques voient le jour. Il faut se tenir au courant de tout.» Une des clés réside aussi dans la diversification. «Ce terme est à entendre au sens large», précise-t-il. Diversifier les productions, la main-d’œuvre, les débouchés, etc., permet de pouvoir s’appuyer sur un élément lorsque l’un d’eux devient moins performant. Les débouchés, d’ailleurs, sont nombreux. «Le marché est très demandeur. On est certain que tous les produits trouveront acheteur. La difficulté réside donc bien dans la production elle-même.»
Ce discours parle surtout aux jeunes générations. «Beaucoup d’enfants reviennent s’installer dans la ferme familiale et ont envie de faire bouger les choses. Ils sont souvent très motivés et disposent déjà de bonnes connaissances théoriques, en plus de l’expérience de gestion de leurs parents.» Du pain béni pour le conseiller ? «Seulement si la conversion n’est pas source de conflit avec les générations antérieures ! Parfois, les tensions sont tellement fortes que des projets peuvent capoter.»
Pour booster l’ouverture d’esprit, Raphaël intervient ponctuellement dans les organismes de formations agricoles. «Mais plus que ces interventions anecdotiques, il faudrait qu’il y ait de vrais modules, pour un enseignement plus pointu des techniques de la bio.» Car, il en est persuadé, cette filière a encore de belles perspectives de développement.
L’œil de l’agriculteur
Les agriculteurs de Bussu, commune proche de Péronne, sont à la pointe en termes de grandes cultures. Mais l’élevage laitier ? Qui plus est, bio ? Très peu connaissent. Alors lorsque Géry Compère, installé dans cette même commune, s’est converti en mai 2017 - le troupeau d’une trentaine de Prim’Holstein et de Brunes des Alpes l’a été au 15 mai 2018 - personne ne pouvait le conseiller dans son entourage. «Mes questions portaient surtout sur le pâturage, que je ne pratiquais pas du tout jusque-là, et sur la gestion du fourrage, confie-t-il. Mais, dans mon secteur, il n’y a quasiment pas d’éleveurs. Impossible d’être conseillé.»
Des conseils, l’éleveur en a finalement trouvé auprès de Raphaël Delva, de Bio en Hauts-de-France, grâce à un dispositif que finance la Région. Son questionnement reposait surtout dans l’autonomie fourragère. «Il faut pouvoir nourrir ses bêtes en autonomie. Et, en bio, on doit se contenter de ce que la terre nous offre. Difficile de se projeter lorsqu’on est habitué à cultiver avec des engrais.»
Gestion de l’herbe en pâturage tournant
10 ha de prairies temporaires ont été semés. «Raphaël m’a surtout aiguillé dans la gestion de ces surfaces en paturâge tournant. C’est très technique, mais cela permet de valoriser l’herbe au maximum.» Le technicien l’a aussi orienté vers les variétés qui s’adaptent le mieux à ses terres. «Et puis il connaît bien son sujet, il a accompagné beaucoup de fermes et bénéficie donc d’un certain recul. Son suivi, même s’il ne s’agit que de trois rendez-vous, est rassurant.» Résultat : la gestion de l’herbe a été optimale au printemps, lorsque la pousse de l’herbe était très forte. Désormais, comme presque toutes les exploitations, l’agriculteur est obligé de puiser dans ses stocks, sécheresse en cause.
Mais la motivation pour le passage en bio reste intacte. Géry compte ainsi booster encore plus la vente en circuits courts des produits transformés à la ferme. La famille Compère, qui transforme depuis 2005, était d’ailleurs l’une des premières de la Somme à se lancer dans cette filière.
200 000 yaourts sont fabriqués chaque année à partir de 30 000 l de lait. «Nous livrons notamment dans des cantines scolaires. Que les enfants puissent manger sans trace de pesticides est important pour nous !» La carotte est aussi alléchante, puisqu’Ingrédia, leur laiterie, a accueilli leur conversion à bras ouverts. Le lait leur sera acheté 475 Ä dans quatre mois.