Un besoin en main-d’œuvre assez disparate dans la Somme
L’agriculture subit une pénurie de main-d’œuvre depuis le début du confinement, notamment à cause de la fermeture des frontières. C’est ce que la presse nationale affirme. Qu’en est-il dans la Somme ?
Manque-t-on de bras pour les assiettes des Samariens ? Au niveau national, la pénurie de main-d’œuvre en agriculture due à la crise du Covid-19 est bien réelle. Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, estime que «200 000 emplois directs sont vacants dans le secteur». Il a donc appelé les Français sans activité à participer aux récoltes.
Ainsi, la campagne de recrutement «des bras pour ton assiette» lancée le 24 mars a permis de constituer un réservoir de 207 000 profils intéressés pour effectuer les travaux des champs sur l’ensemble du territoire. Un véritable boom, alors que l’offre de travail saisonnière n’en est pas encore à son pic. «On a fait 746 mises en relation. C’est-à-dire que pour 746 missions agricoles, on a proposé des bras», explique le fondateur de la start-up Wizi Farm Jean-Baptiste Vervy, qui met en relation agriculteurs, employeurs et salariés potentiellement disponibles.
Dix missions dans la Somme ont été postées sur «des bras pour ton assiette», pour des soins aux chevaux, du conditionnement d’endives, de la plantation de pommes de terre, des préparations de sol (expérience exigée…). «Nous n’enregistrons pas plus de demandes que d’ordinaire», tempère néanmoins Sylvie Cavel, en charge de la bourse à l’emploi de la Chambre d’agriculture de la Somme. «Les saisonniers seront surtout sollicités plus tard dans l’année, à l’époque de l’arrachage des pommes de terre, du cassage d’endive et de la récolte des pommes», précise-t-elle. Au niveau local, le manque de main-d’œuvre se fait toujours sentir dans les mêmes secteurs d’activité : «des premiers chauffeurs dans les exploitations de grande culture, surtout à l’est du département, et des salariés agricoles dans les exploitations d’élevage, à l’ouest». Mais voilà plusieurs années que ces secteurs ont du mal à attirer les salariés.
Les agriculteurs malades ou accidentés, eux, peuvent toujours compter sur le service de remplacement de la Somme. «En mars, aucun des trente-deux salariés n’a émis de droit de réserve, et aucun n’a été contaminé. Nous les suivons de très près et nous les accompagnons dans les mesures de sécurité à prendre pour se protéger eux-même, et protéger les agriculteurs chez qui ils interviennent. Ils font preuve d’une grande conscience professionnelle», assure Émile Foirest, le président. Pour ces agents de remplacement, la quantité de travail est sensiblement la même qu’en mars 2019, mais les motifs de remplacement sont un peu différents. «Nous ne remplaçons plus pour les congés, ni pour les formations, puisqu’elles sont toutes annulées pendant cette période de confinement. La priorité est mise sur les remplacements pour cause de maladie, d’accident, et de congé maternité.»
Des agriculteurs frileux à l’embauche
Le groupement d’employeurs départemental fonctionne lui aussi, avec trente salariés en activité. «Mais 10 % des demandes qu’avaient effectuées des chefs d’exploitation ont été annulées. Pour la plupart, ils craignent la venue d’une personne extérieure dans leur ferme à cause de la propagation du virus», précise Émile Foirest.
Pour certains agriculteurs, le manque de vision à moyen terme est aussi un frein à l’embauche. C’est le cas de Mathilde et Rémi Degrendel, gérants de l’exploitation maraîchère la Cueillette de Cappy. «Pour pallier la fermeture de la cueillette et les livraisons pour les cantines scolaires, nous misons beaucoup sur le drive fermier.» Un vrai succès, puisque les commandes de fruits et légumes affluent chaque semaine, mais la rentabilité n’est pas la même. «La semaine dernière nous avons mis plus de dix heures à donner quatre-vingt commandes, contre deux à trois heures de livraison des collèges d’habitude.» Pour autant, Mathilde et Rémi n’embauchent pas. «Nous sommes prudents, parce qu’avec ce contexte, nous ne savons pas quel sera notre chiffre d’affaires à la fin du mois. On préfère travailler deux fois plus, même si ce n’est pas gérable dans la durée.»
Pénurie localisée
À Ham, Francis Debray connaît en revanche une vraie pénurie de main-d’œuvre pour ramasser les trois millions de choux produits dans son exploitation. «Avec la centaine d’hectares de pommes de terre et les choux, j’emploie chaque année vingt à vingt-cinq saisonniers. D’habitude, une quinzaine de polonais viennent travailler ici. Mais avec la fermeture des frontières, ils ne peuvent pas venir. La situation est catastrophique», s’alarme-t-il. Francis Debray est obligé de refuser des ventes, faute de bras, et devra terminer sa saison plus tard. L’agriculteur lance un appel aux «dix millions de chômeurs», qui pourraient venir lui prêter main forte, contre rémunération évidemment.
Le groupement d’employeur, facilitateur administratif
Bénéficier de candidatures grâce à la plateforme «des bras pour ton assiette» est une bonne chose. Mais les démarches administratives pour régulariser la situation de ces «bras» sont toujours aussi fastidieuses. Le Groupement d’employeur se propose donc d’être le «facilita-teur administratif» de ces embauches ponctuelles. «Cette fonction est en plein dans notre corps de métier», annonce Émile Foirest, le président. Les candidats seraient ainsi embauchés par le groupement d’employeurs, qui gérerait, comme il le fait avec ses salariés, toutes les formalités administratives (recrutement, déclaration d’embauche, contrat de travail, fiche de paie…). L’agriculteur n’aurait plus qu’à régler une facture.