Viande : le confinement a chamboulé la commercialisation
Depuis l’émergence de la crise sanitaire, les ventes d’ovins et de bovins viande sont fortement perturbées en France et dans le monde. L’institut de l’élevage (Idele) donne quelques exemples dans sa dernière note de conjoncture.
Les McDonald’s ont fermé dans toute l’Europe, or, un hamburger sur cinq est d’origine irlandaise.
Après Pâques et le rendez-vous manqué avec les consommateurs confinés, les producteurs français d’ovins viande misent sur le Ramadan. Débuté le 23 avril dernier, il s’achèvera dans un peu plus d’une semaine (23 mai) lorsque les agneaux d’herbe et issus du troupeau laitier seront prêts à être abattus. Pour autant le marché ovin sera lourd. Trois à quatre mille agneaux Lacaune de plus que l’an passé seront mis sur le marché français alors que les ventes d’agneaux n’excèdent pas 75 000 animaux par semaine, souligne l’Institut de l’élevage dans sa dernière note de conjoncture. Les éleveurs sont donc obligés d’accepter des baisses de prix pour vendre leurs animaux. Par ailleurs, la fin annoncée du confinement ne va pas améliorer la conjoncture de la filière ovine française car les restaurants, où la viande ovine est fortement consommée, resteront fermés après le 11 mai.
À l’étranger aussi
La baisse de la consommation de viande ovine et caprine s’étant répandue dans toute l’Union européenne, la Commission européenne a pris des mesures pour désengorger le marché de la viande ovine et caprine. Elle propose de stocker 36 000 t de viande. La réserve de crise de
478 millions d’euros ne sera pas activée car une telle mesure conduirait à une baisse des aides Pac du premier pilier.
Constatée sur tous les marchés, la faiblesse des cours de la viande ovine traduit aussi les problèmes rencontrés par les pays exportateurs pour écouler leurs animaux. La demande n’est pas toujours au rendez-vous et les abattoirs ne fonctionnent pas au maximum de leurs capacités si bien que les animaux restent dans les fermes. «Selon Beef and Lamb NZ et Meat and Livestock Australia (MLA), les protocoles sanitaires liés au Covid-19 appliqués par les entreprises néozélandaises auraient réduit de près de moitié les capacités d’abattage, de découpe et de conditionnement de viande ovine», rapporte l’Institut de l’élevage. L’expédition pose aussi des problèmes. «Des vols d’urgence vers Abu d’Abi et la Chine, remplis de viande d’agneau (45 t), ont été financés par le gouvernement australien pour pallier l’absence de vols commerciaux», rapporte l’Idele.
Filière bovine en porte-à-faux
En France, «la croissance des ventes de viande de bœuf hachée en grande surface continue semaine après semaine à impacter le marché. Alors que la question de la valorisation de la carcasse reste posée». L’évolution récente des cours traduit ces deux tendances. Portée par la consommation de viande hachée, la vache O est mieux valorisée. Les carcasses issues du troupeau allaitant le sont moins. Les cours des animaux dépendent aussi du niveau de l’offre. Ainsi les cours des gros bovins maigres ont été reconduits. Par exemple, le prix du Charolais U de 450 kg s’était établi à 2,52 E/kg vif, selon l’Idele.
À l’étranger aussi, les changements des habitudes alimentaires impactent la filière bovine. «En Irlande, l’abattage des vaches de réforme s’est contracté de - 27 % consécutivement à la fermeture des McDonald’s dans toute l’Europe, souligne l’Idele. Or, le groupe originaire des États-Unis est l’un des plus gros acheteurs de viande bovine irlandaise avec 40 000 tonnes achetées en 2019. Un hamburger sur cinq vendu à travers l’Europe est d’origine irlandaise !». En Italie, le confinement avait boosté à la fin du mois de mars, la consommation de viande bovine à domicile, d’origine française notamment. Mais la baisse des revenus des ménages, consécutive à l’arrêt de l’activité économique en Italie, réduit l’appétit des Italiens. Par ailleurs, les importations de viande polonaise très bon marché (85 % de la production nationale est exportée) pèsent sur l’ensemble des cours. Avant la crise, elles étaient destinées à la restauration hors domicile aujourd’hui fermée.
Le paradoxe du steak haché
La consommation de steak haché a explosé depuis le début du confinement, au point d’accaparer des pièces de viande «nobles» ou mixtes, normalement vendues en piécé. Ce phénomène a aggravé le déséquilibre de valorisation des carcasses, la viande pour haché étant payée moins cher. Faire la lumière sur la construction du prix de la viande hachée «devient donc un enjeu majeur», martèle le ministère de l’Agriculture dans un communiqué le 4 mai : la «part du steak haché dans la valorisation d’une carcasse» atteint 70 %. «La réalité est très disparate selon les types d’animaux», nuance Philippe Chotteau, chef du service économie de l’Idele (Institut de l’élevage). Selon l’étude «Où va le bœuf», 72 % de la viande issue des femelles laitières est effectivement transformée, essentiellement en steak haché. Mais cette part est réduite à 36 % pour les femelles de races à viande, et même 24 % pour les jeunes bovins allaitants, avant tout destinés à l’export.
Toutefois, quel que soit le type de bovin, la transformation s’impose de plus en plus : «En 2019, on doit être autour de 85 % pour une femelle laitière et 40 ou 45 % pour une femelle allaitante», estime Philippe Chotteau. Cette tendance lourde s’explique notamment par la progression de la restauration et par l’explosion des ventes de burgers. En temps de confinement, cette prépondérance du haché s’est accrue, mais paradoxalement à cause de la fermeture des restaurants.
Alors que la consommation s’est massivement reportée vers les grandes surfaces, celles-ci ont eu «tendance à simplifier leur gamme à outrance, notamment par manque de main-d’œuvre», constate l’économiste. Or, le plan de filière visait une montée en gamme ambitieuse, avec un objectif de 40 % en Label rouge. «Cette stratégie a été complètement percutée par la crise sanitaire», affirme-t-il.
La fermeture de la restauration a aussi provoqué un deuxième effet dévastateur. «Environ 85 % de la viande bovine importée par la France provient de vaches laitières de réforme de nos voisins européens», rappelle Philippe Chotteau. Des volumes qui fournissent notamment les restaurants, en piécé comme en haché. Avec la fermeture généralisée des restaurants en Europe, «ce marché s’est complètement arrêté et le prix de ces vaches s’est complètement effondré. Le prix des femelles laitières chute aussi en France et, par capillarité, celui des femelles allaitantes.»
Hausse du prix : la solution ?
Cruel paradoxe du steak haché, plébiscité par les consommateurs mais accusé de tirer à la baisse les prix payés aux éleveurs. À quelle hauteur ce produit pèse-t-il dans la baisse des prix à la production ?
Une étude de l’AHDB (organisme de développement britannique) fournit quelques pistes. Au Royaume-Uni, la viande hachée représente 43 % du volume d’une carcasse, mais seulement 39 % de sa valeur. Si cette part de haché passait à 63 %, la valeur de la carcasse fondrait de 8 à 9 %. «En hachant la totalité de la viande nette commercialisable, la perte de valorisation atteint près d’un tiers (- 31 %)», prévient l’Idele. En France, l’impact serait encore plus important, car, d’après Philippe Chotteau, «il y a plus d’écart de prix entre le haché et le piécé qu’au Royaume-Uni. (...) Aujourd’hui une hausse – raisonnable – du prix est incontournable», estime-t-il, à condition de «s’assurer qu’il y ait une répercussion aux éleveurs». Selon lui, «aujourd’hui, très clairement, les GMS sont gagnantes.»
De son côté, la Fédération nationale bovine (FNB) demande – comme avant la crise du Covid-19 – une revalorisation de 1 €/kg au producteur, soit «une hausse théorique du prix consommateur de 15 centimes par steak». Guy Hermouet, le président de la section bovine d’Interbev. «Revaloriser la viande ne veut pas forcément dire que le prix au consommateur va augmenter», prévient-il, plaidant pour une «répartition équitable de la valeur». Les résultats d’Interbev sont donc attendus, à la fois pour savoir à quel stade de la filière et de combien il sera possible de revaloriser le steak haché.