Bio : les filières face au défi de la structuration
Le ministre de l’Agriculture promet un plan ambitieux
pour développer l’agriculture biologique d’ici 2022. Les filières se réjouissent de cet engouement, mais gardent les pieds sur terre : tout n’est pas encore structuré.
Parce qu’elle n’en finit pas de séduire les consommateurs en quête d’une assiette à la composition plus saine, l’agriculture biologique croît. Néanmoins, toute l’énergie dont elle fait preuve ne suffit pas pour répondre à l’appétit des Français. Manque de moyens, ou de structuration ? Si tel est le cas, la filière est, depuis le 25 juin, armée d’un atout supplémentaire dans son jeu pour y remédier : le plan Ambition bio 2022.
Cette feuille de route décline en sept axes les solutions adaptées pour doper le développement d’une filière qui, doucement, gagne ses parts dans un marché dominé par la production conventionnelle. Les points saillants du programme ont rapidement été présentés par Stéphane Travert, à l’issue du Grand conseil d’orientation (GCO) réunissant près de 120 organismes, dont l’Agence bio, les principaux acteurs de la filière bio, les instituts de recherche, les représentants des régions, les associations de consommateurs et des ONG. Au-delà du développement de la production et de la consommation de la filière, le plan Ambition bio 2022 lance des pistes sur la recherche, la formation des acteurs, l’adaptation de la réglementation et les territoires d’outre-mer.
L’enjeu est d’autant plus lourd pour la filière que le gouvernement a clairement énoncé sa volonté de passer de 6,5 à 15 % de terres dédiées à l’agriculture biologique d’ici quatre ans. Sans cet effort de conversion, difficile d’équilibrer l’offre bio et les besoins des Français. «C’est ça le point de départ du programme Ambition bio 2022», martèle le ministre avant d’assurer que la France importe un milliard d’euros en valeur de produits issus de l’agriculture biologique.
Restauration collective : planche de salut
Outre les produits phytosanitaires, s’il est un débat qui a fait couler beaucoup d’encre lors des discussions du projet de loi «pour une alimentation saine et durable» (PJL Egalim), c’est celui de l’intégration de 20 % de produits bio dans la restauration collective. Ce virage répondrait, d’une part, à l’attente des consommateurs déjà sensibles à cette forme d’alimentation. D’autre part, il inoculerait peut-être à ceux qui ne le sont pas, l’idée de poursuivre dans un élan de consommation verte une fois de retour chez eux. Rien n’est encore fait, les discussions sont toujours en cours au Sénat à l’heure où nous bouclons ce numéro. Néanmoins, les filières sont toutes sans exceptions prêtes à fournir ce nouveau marché, pourvu qu’elles ne soient pas abandonnées par le gouvernement.
La filière volaille appelle à la patience
Si le Syndicat national des labels avicoles de France (Synalaf) voit le bond de l’approvisionnement des cantines d’un bon œil, c’est parce que ces mises en place de volailles de chair et de poules pondeuses bio suivent une tendance à la hausse depuis plusieurs années. «Lors des discussions sur le PJL Egalim, nous avons soutenu les propositions de l’article onze relatives à l’obligation d’introduire une alimentation bio dans la restauration collective, car nous pensons que la filière peut le faire», relate Eric Cachan, président du Synalaf. Parce qu’il constate un développement plus dynamique du côté des filières animales que végétales, Eric Cachan se réjouit aussi que les pouvoirs publics se positionnent en faveur d’une hausse des surfaces cultivées en bio. L’alimentation animale bio peine encore à suivre la progression des becs à nourrir, et les importations sont inévitables pour pallier le manque. Néanmoins, le Synalaf reste prudent : 15 % de surface d’ici 2022, c’est sûrement trop, selon Eric Cachan. «La conversion d’une exploitation prend du temps, elle exige un savoir-faire technique qui ne s’improvise pas», dit-il.
Le marché communautaire indissociable des céréales
Le ministère de l’Agriculture n’en est pas à sa première proposition de développement de la SAU bio. L’interprofession des céréales se souvient de projets trop gourmands. Mais le cap du programme Ambition bio 2022 serait «plus serein». C’est l’avis de Pascal Gury, président du groupe bio d’Intercéréales - Terres Univia. Déjà, ces dernières années, les grandes cultures s’étaient interrogées sur la vitesse de développement nécessaire pour suivre les besoins en aliments des filières animales bio. «Aujourd’hui, nous savons qu’elles doivent doubler d’ici quatre ou cinq ans», dit Pascal Gury. Les objectifs sont clairs et chiffrés mais, comme pour toutes les filières, ils ne seront atteints qu’à condition d’accompagner la structuration. «Ce plan devrait nous y aider, assure-t-il. Par le passé, on a davantage aidé les structures que la structuration, et Stéphane Travert a bien corrigé le tir.»
La filière viande active ses leviers
Chez Interbev, pas question de s’emballer non plus. «Le plan traduit une belle volonté de la part du gouvernement, se réjouit Philippe Cabarat, président de la commission bio de l’interprofession du bétail et de la viande. Mais des interrogations persistent tant sur son financement que sur l’engagement des différents maillons.» En 2016, la filière viande bio a conforté sa progression entamée depuis dix ans. Les volumes abattus gagneraient chaque année entre 10 et 15 %. C’était le cas en 2016, avec 34 098 tonnes sorties des abattoirs, soit 15 % de plus qu’en 2015. «Notre développement est suffisamment tonique pour participer à la couverture des 20 % de produits bio en restauration collective, mais c’est à la filière entière de se mettre en ordre de marche», avance Philippe Cabarat.
On constate chaque année qu’une partie de la production de viande bio est valorisée sur le marché conventionnel. Face au défi des cantines, l’heure est plus que jamais à la réorientation de ces animaux perdus. «Il y a un réservoir important, assure Philippe Cabarat. Les disponibilités vont croître avec l’arrivée sur le marché de la production des élevages encore en cours de conversion. Il y a également des réflexions en cours pour valoriser davantage de veaux et de mâles.» Dans un but de structuration et de lisibilité du marché, la commission bio d’Interbev attend de chaque maillon un engagement fort à travers la mise en place d’une contractualisation. La restauration collective elle-même aurait sa part d’effort à faire. «Il est essentiel qu’elle s’adapte aux produits agricoles selon leurs disponibilités, explique Philippe Cabarat. C’est d’autant plus important pour la viande, puisque la filière est constamment à la recherche d’un équilibre matière sur ses carcasses, et que certaines productions comme l’agneau sont très saisonnières.»
Fruits et légumes : hausse des coûts par repas
Il va de soi que le bio n’est pas la solution à la bonne santé d’une filière tout entière, mais qu’il en fait partie. C’est cette ligne que suit Laurent Grandin, vice-président d’Interfel. «Personne n’est contre le bio, sourit-il. Mais son développement n’est pas sans impact économique. Obliger la restauration collective à valoriser 20 % d’aliments en bio, c’est une chose, mais ne perdons pas de vue que cela représente 15 à 20 centimes de plus par repas. Pour se conformer aux objectifs portés par le PJL Egalim, il faudra s’assurer de pouvoir les financer.» Parents d’élèves ou utilisateurs des cantines, mairie, région, Europe... S’il existe des leviers, personne ne sait encore lesquels seront réellement activés. Au-delà de l’aide à la conversion et au développement des productions agricoles, les aides promises pour le gouvernement auront-elles aussi vocation à financer la hausse du coût des repas si personne ne veut les prendre en charge ? «La somme de 1,1 milliard d’euros annoncée par Stéphane Travert est importante au regard des enjeux de toutes les filières réunies, reste à bien définir la façon dont le gouvernement décidera de les déployer», conclut Laurent Grandin.
Les régions dubitatives
Tout aussi dynamique que soit le développement des filières biologiques, Pierre Raynaud, président de la commission Agriculture de Régions de France, doute qu’il suffise à couvrir les futurs besoins de la restauration collective. Les filières ont, selon lui, déjà des débouchés pérennes, et le risque d’ouvrir la voie aux importations est trop lourd. «J’ai aussi des craintes sur le passage d’une SAU de 6,5 à 15 %, ajoute-t-il. D’où sortent ces chiffres, sur quoi sont-ils basés ?» Régions de France regrette de ne pas avoir été sollicité afin de mettre en place avec l’Etat un état des lieux de la filière bio, afin de prédire, grâce aux courbes existantes, l’évolution envisageable dans le temps «Entre l’Occitanie qui a déjà 10 % de ses surfaces en bio, et le Nord qui n’en a que 1,2 %, le réservoir à convertir n’est pas le même, souligne Hélène Aussignac, conseillère agriculture chez Régions de France. Or, nous constatons que l’écart entre les données d’aujourd’hui et les objectifs du gouvernement est énorme. Déjà, si en 2022, l’agriculture biologique arrive à couvrir 9 % de la SAU, ce sera bien.»