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Justice
Des pêcheurs de civelles de la Baie de Somme condamnés

Bien que classée en danger critique d’extinction, l’anguille est une espèce encore pêchée en France. Les professionnels sont cependant soumis à une réglementation drastique, avec des quotas individuels. Plusieurs pêcheurs de la Baie de Somme étaient jugés pour des manquement à cette législation ce 11 mars.

Sur le marché noir asiatique, le kilo de civelles vaudrait entre 1 000 et 5 000 €.
© D. R.

À 500 €/kg sur le marché officiel, et jusqu’à 5 000 € sur le marché asiatique (aujourd’hui interdit), la pêche à la civelle est lucrative. En Baie de Somme, seuls sept pêcheurs professionnels sont autorisés à prélever ces alevins d’anguille, classés en danger critique d’extinction, en respectant des règles strictes : quotas individuels, pesée systématique, déclaration de fiches de pêche… Plusieurs d’entre eux comparaissaient ce 11 mars devant le tribunal judiciaire d’Amiens pour des manquements à la réglementation.

"On a toujours fonctionné comme ça. On s’arrange entre nous pour les quotas."

Deux pêcheurs sont notamment tombés dans les filets d’agents de l’OFB (Office français de la biodiversité) après avoir déclaré leur pêche sous le nom d’autres pêcheurs eux aussi détenteurs de quotas. Pierre a notamment pêché 47 kg de civelles qu’il a déclaré au nom de son frère, Etienne. «On a toujours fonctionné comme ça. On s’arrange entre nous pour les quotas. Je dépanne parfois mon frère en faisant une ou deux marées pour lui quand il est coincé», déclarait-il à la barre. Sauf que ces «arrangements» ne sont légalement pas autorisés. Pour toucher l’argent de la vente effectuée auprès d’un mareyeur ? Pierre a simplement raturé le prénom de son frère noté sur le chèque pour y inscrire le sien.

 

3 000 anguilles par kg

Pierre a aussi été contrôlé en retour de pêche, alors qu’il avait déclaré 2 kg de civelles. «J’avais estimé ça à la louche, parce que ma balance ne fonctionnait pas.» Celle des agences de l’OFB, munie de piles cette fois, a révélé que le volume était de 2,474 kg. «474 g non déclarés, ça peut paraître dérisoire, explique un administrateur des affaires maritimes. Mais cela représente 1 422 anguilles qui ne se reproduiront pas. Si tous les pêcheurs agissaient ainsi, des dizaines de centaines d’anguilles disparaîtraient. Lorsqu’on connaît l’enjeu environnemental, ce n’est pas acceptable.»

Un autre pêcheur a, lui, été surpris en mars 2021 à pêcher à moins de 50 m de l’écluse de Saint-Valéry-sur-Somme, alors que la réglementation interdit les prélèvements dans cette zone, puisque les civelles s’y retrouvent bloqués en nombre jusqu’à l’ouverture du barrage. «Deux panneaux ont été disposés de part et d’autre du chenal pour matérialiser cette zone de non-pêche», rappelle la présidente. «J’étais mal informé des repères, et les panneaux sont très peu visibles depuis le bateau», se défend le pêcheur.

 

L’anguille, plus menacée que l’ours polaire

Pour les fédérations de pêche départementale et nationale, qui se portaient toutes les deux parties civiles dans cette affaire, ces fautes portent un lourd préjudice à l’environnement. «La grande absente aujourd'hui, c’est l’anguille», martèle leur avocate. Cette espèce, classée en danger critique d’extinction à l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), est encore plus menacée que la baleine bleue et l’ours polaire. «L'anguille ne se reproduit que dans la mer des Sargasses. Les civelles effectuent un fabuleux voyage de 6 000 km à travers l'océan Atlantique pour venir vivre dans nos rivières européennes. C’est la montaison. Une fois adultes, elles parcourent le chemin inverse pour se reproduire», rappelle-t-elle.

 

Une déception palpable

La fédération départementale de pêche réalise un gros travail de suivi et de protection de cet incroyable poisson. L’anguillère d’Eclusier-Vaux en est un exemple. L’ouvrage permet le suivi de la dévalaison des anguilles. «Ces actions ont un coût humain et financier. Le repeuplement d’1 kg de civelles représente 1 000 €.» Pour les déclarations faires sur les quotas d’autres pêcheurs, la fédération réclamaient des sommes de 13 550 € et 47 474 € pour le préjudice subi par le milieu, ainsi que des amendes pour le préjudice moral et matériel. La décision du tribunal n’a officiellement pas été rendue pour tous les prévenus ce 11 mars, mais des amendes et des montants pour préjudices n’excédant pas 1 000 € ont été annoncés oralement. Du côté des fédérations de pêche, la déception était palpable.

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