Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture
«Je veux être un défricheur»
Lorsque vous avez été nommé, nous avons identifié deux sujets que votre arrivée pourrait faire bouger : le travail saisonnier et les prédateurs. Quelle est votre position en tant que ministre sur ce second sujet ?
Je tiens à souligner, au préalable, qu’avec les mesures présentées par le gouvernement, la Ferme France est gagnante. Sauf ceux qui ont peu de salariés permanents et beaucoup de travailleurs occasionnels. En tant que sénateur, j’ai posé une question au gouvernement pour dire que la suppression du TO/DE sans compensation n’était pas possible.
Ce n’est pas parce que je suis devenu ministre de l’Agriculture que je vais dire l’inverse. Le Premier ministre a arbitré. D’abord, pour une exonération portée jusqu’à 1,1 Smic pour le secteur agricole en 2019 et 2020. Après demande des parlementaires de la majorité, le gouvernement accepte d’aller jusqu’à 1,15 Smic en 2019 puis 1,1 Smic en 2020.
Vous n’irez pas plus loin ?
Quand on veut supprimer les niches fiscales, tout le monde est d’accord, sauf quand ça le concerne. Nous sommes arrivés à un point d’équilibre acceptable pour compenser la suppression du TO/DE. Je crois que c’est une bonne réponse.
Et sur les prédateurs ?
L’augmentation du nombre de prédateurs peut, dans certains territoires, remettre en cause le pastoralisme tel qu’il est pratiqué actuellement. Le plan national «Loup et activité d’élevage» a introduit des mesures nouvelles pour tenir compte de l’évolution de la population de loups et de sa répartition dans les territoires. Pour réguler la population de loups, on peut prélever jusqu’à 10 % de l’ensemble, auxquels s’ajoutent 2 % si cette limite est atteinte avant la fin de l’année. Le préfet coordonnateur vient d’ailleurs de faire usage de cette possibilité. Les éleveurs peuvent continuer à se défendre si nécessaire. Je compte bien travailler avec mon collègue en charge de la transition écologique et solidaire pour continuer à améliorer le dispositif et réduire au maximum les impacts de la prédation.
La négociation de la future Pac post-2020 a débuté. Avez-vous reçu une feuille de route de l’Elysée ou Matignon ? Quelles sont les orientations que vous souhaitez prendre ?
Le président de la République a défendu un budget de la Pac ambitieux. La proposition de la Commission n’est pas acceptable en l’état, nous sommes déterminés à nous faire entendre. La Pac doit contribuer à la souveraineté alimentaire de l’Europe, à la transformation de notre agriculture à la protection des agriculteurs face aux aléas climatiques et à la volatilité des marchés mondiaux et à la structuration économique des filières. Je sais que les agriculteurs doivent pouvoir vivre de leur métier mais, pour l’heure, nous avons besoin d’aides pour accompagner ces changements et d’une Pac protectrice.
Avez-vous une préférence concernant les outils de gestion des risques ?
Le chantier sur la fiscalité agricole, avec la mise en place de l’épargne de précaution, va permettre aux agriculteurs de pouvoir mettre de côté les bonnes années et faire face aux années plus difficiles. Je veux améliorer l’articulation entre les différents outils (épargne de précaution, fonds de mutualisation, assurance), et travailler sur la prévention des risques (pratiques agricoles, gestion de l’eau).
Je reste ouvert pour étudier les autres outils de gestion des risques comme l’assurantiel pour les aléas climatiques sur les récoltes. J’ai soutenu, lorsque j’étais sénateur, deux propositions de loi sur le sujet. Aujourd’hui, je le vois chez les agriculteurs de ma région, l’assurance est encore trop chère pour certaines productions, l’arboriculture en particulier. L’offre commerciale des assureurs, qui proposent des options pour adapter les seuils de déclenchement et les franchises aux situations individuelles, est trop peu relayée. Le débat se focalise sur le contrat subventionné, qui ne représente qu’une partie de la réalité. Je veux être un défricheur. Il y a des sujets qui sont sur la table depuis des années, on doit pouvoir les faire bouger.
La sécheresse dure. Elle a grevé la pousse de l’herbe depuis l’été, puis les rendements des cultures de printemps. Et elle compromet aujourd’hui la pousse du colza, les semis de céréales. Faut-il aller plus loin que les premières mesures annoncées ?
J’ai demandé une situation précise aux préfets. Le gouvernement a déjà mis en place des exonérations de la taxe sur le foncier non bâti, l’accélération des avances Pac pour 70 %, ce qui n’est pas rien ! Nous allons réunir le comité national de gestion des risques pour examiner les premiers dossiers de calamité agricole début décembre, et un autre fin janvier. Les départements ont jusqu’au début novembre pour faire remonter leur dossier et l’évaluation des pertes, qui doit être la plus rigoureuse possible. Les premières indemnisations seront versées dès janvier. Ce qu’il faut éviter, c’est la décapitalisation dans les exploitations qui désorganiserait les filières.
Les négociations commerciales débutent dans une semaine. La loi EGA s’y appliquera-t-elle ?
Le Conseil constitutionnel a rendu son avis. Je vais m’atteler à publier les ordonnances très vite, notamment celles sur le seuil de revente à perte et sur les promotions. La loi EGA pèsera sur les négociations commerciales. La survie du système repose sur une nouvelle construction des prix. J’appelle les acteurs à la plus grande responsabilité.
Une ordonnance sur le prix abusivement bas est en négociation. Sur quel principe doit-elle aboutir ?
La notion de prix abusivement bas est appréciée au niveau du contentieux. La loi a élargi cette notion, qui est un dispositif essentiel dans le nouveau corpus législatif. Je veux que ce soit vraiment très opérationnel car, si on n’avance pas sur ce point, on ne pourra pas bouger les choses. Il faut que les coûts de production soient intégrés dans l’appréciation d’un prix abusivement bas. Je compte sur les interprofessions pour être moteurs dans les discussions
Une ordonnance est en concertation sur la séparation de la vente et du conseil des phytos. Quel est votre objectif ?
Personne ne remet en cause la réduction des phytos. Séparer la vente du conseil pour les produits phytosanitaires, c’est un gage de transparence et d’objectivité. C’est indispensable. Certains disent que cela va engendrer des coûts supplémentaires. Moi je dis : «Non, car si on utilise beaucoup moins d’intrants, les agriculteurs vont s’y retrouver financièrement.» Celui qui ne fait que du conseil peut amener l’agriculteur vers de nouvelles pratiques. Or, c’est bien l’objectif. L’efficacité du conseil doit faire en sorte qu’il n’y aura pas de surcoût à la fin. Là où il reste des choses à caler dans le projet d’ordonnance, c’est sur le contenu du conseil qui va être séparé de la vente : conseil stratégique, individualisé, de préconisation. C’est la discussion que nous menons aujourd’hui.