«En Belgique, il n’existe aucune assurance climatique»
Comme une bonne partie du Nord et de l’Est de la France, mais aussi l’Allemagne et le Luxembourg, la Belgique a subi de très nombreuses intempéries. Le point avec Marianne Streel, présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA).
Comme une bonne partie du Nord et de l’Est de la France, mais aussi l’Allemagne et le Luxembourg, la Belgique a subi de très nombreuses intempéries. Le point avec Marianne Streel, présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA).
Quelles sont les conséquences des inondations qui ont touché la Belgique il y a quelques jours sur les exploitations agricoles ?
Les inondations et les crues de la mi-juillet viennent se conjuguer avec un printemps déjà très pluvieux. Ces intempéries du printemps avaient déjà occasionné de nombreux dégâts dans les champs élargissant un peu plus des ravines en formation et provoquant parfois des coulées de boues. Les agriculteurs wallons ont connu des problèmes de semis et certains ont vu leurs récoltes, à peine sorties de terre, partir avec les eaux. Ce que nous avons subi à la mi-juillet est pire encore. Il nous a fallu affronter de nombreux obstacles : sortir les réserves de foin et de paille qui, en raison de l’humidité, ont pris feu à certains endroits. Il a également fallu mettre le bétail en sécurité et demander des dérogations sanitaires aux autorités administratives. De plus, des citernes à mazout de maisons individuelles ou d’exploitations, emportées par les eaux, ont souillé les champs, mettant en péril la qualité des sols, des cultures et, donc, de l’alimentation humaine et animale. Le gouvernement wallon estime devoir traiter quelque 42 000 tonnes de terre polluée principalement par les hydrocarbures. Plus de 11 700 km de cours d’eau devront être vérifiés ou assainis. Naturellement, tout ce que nous avons perdu en termes de récoltes de froment, d’orges etc. aura un impact considérable sur nos stocks d’hiver. J’ajouterai à cette liste, qui n’est pas exhaustive, la nécessité pour les agriculteurs de nettoyer leurs champs sur lesquels se sont accumulés énormément de déchets (gravats d’habitations et de routes, ferrailles, bois, etc.) et, parfois, refaire des kilomètres de clôture.
Quelles sont les productions les plus touchées ?
Aucune n’a été épargnée. Les zones laitières et bovines ont été marquées par ces phénomènes, mais aussi le maraîchage (carottes, petit pois, tomates…) et l’arboriculture. Je pense aux producteurs de cerises. Cette année, en raison du climat, elles n’ont pas de sucre et pas de goût. Les grandes cultures ont aussi souffert : le blé a commencé à germer à certains endroits ; la production de lin est à terre. Ces crues ont offert un restaurant cinq étoiles aux corvidés qui causent des dégâts supplémentaires.
Avez-vous pu chiffrer le coût des dégâts ?
Non, il est trop tôt pour chiffrer les dégâts des agriculteurs. Ce n’est pas, à l’heure où je vous parle, la priorité. Il faut tout d’abord que les pouvoirs publics gèrent les drames humains qui sont nombreux : en plus de la quarantaine de morts répertoriés, il y a plus de 10 000 personnes sans abri. Sur les 256 communes wallonnes, 202 ont été classées comme sinistrées et pourront bénéficier des calamités naturelles publiques. Il faut aussi patienter un peu pour voir comment la nature réagit après le retrait des eaux. À partir du mois d’août, les premières réunions entre administration fédérale, administration locale et agriculteurs devraient se tenir. Toujours est-il qu’après quatre années de sécheresse, nous avons subi de substantielles pertes de revenu, nous n’avions pas besoin de cela.
Comment s’organise la solidarité ?
De manière naturelle et efficace. Les agriculteurs qui ont été peu impactés viennent spontanément aider leurs collègues, mais aussi les populations en détresse pour vider les caves, apporter de l’eau potable, déblayer les rues et les routes avec leurs manitous, organiser les opérations paille et fourrage pour les éleveurs. Les agriculteurs flamands et français viennent aussi nous prêter main forte et il est réconfortant d’avoir des messages de soutien. L’un des premiers à m’être parvenu est celui de Christiane Lambert que je remercie une nouvelle fois. La solidarité agricole ne s’est pas arrêtée à nos frontières.
Comment les agriculteurs vont-ils être indemnisés ? D’une manière générale comment s’organise le système d’indemnisation en Belgique ?
Pour résumer en quelques mots : ça va être complexe. En effet, les bâtiments agricoles sont couverts par les assurances privées, mais il existe des seuils et donc des décotes… Quant aux cultures, il n’existe pas de système assuranciel en Belgique, à l’exception des céréales sur pied victimes d’incendie. Ce qui n’est pas le cas. De même, il n’existe aucune assurance climatique. Si bien que les agriculteurs doivent s’en remettre à la bonne volonté du Fonds de calamités agricoles qui est en fin de vie puisqu’il n’a plus d’argent. Ce fonds est bien différent du Fonds de calamités naturelles publiques. Une chose est sûre : les agriculteurs ne seront pas intégralement indemnisés, tout comme les habitants sinistrés d’ailleurs.
Selon vous, ces intempéries sont-elles exceptionnelles ? Est-ce l’un des signes du changement climatique ?
Je ne peux pas présager de l’avenir et vous dire si nous revivrons une situation identique. Je constate seulement, à l’aune de mon expérience d’agricultrice installée depuis 1990, que les phénomènes climatologiques tendent à devenir extrêmes en intensité, que ce soit la pluie ou la chaleur. Il nous est de plus en plus compliqué de nous adapter et surtout d’anticiper. En forme de boutade, je me suis posée la question de savoir si cette année, je n’aurais pas mieux fait de planter du riz… Ces phénomènes extrêmes sont également amplifiés par l’artificialisation des terres contre laquelle nous luttons au quotidien, car elle a augmenté de 40 % en trente ans.