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«Il faut produire plus et produire mieux»

Le président de la République, présente, dans un entretien à AGRA, sa vision d’une agriculture tournée vers la production autant que vers l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.

© CP : R. DE CEGLIE/AGRA

L’année 2015 est marquée par l’impératif écologique lié au sommet de Paris sur le réchauffement climatique. Quelle mission supplémentaire demandez-vous à l’agriculture d’assumer sur la question environnementale ?
J’invite les agriculteurs à se saisir pleinement des enjeux de la conférence sur le climat. Qu’ils ne considèrent pas l’accord qui en sortira comme comportant des nouvelles contraintes mais comme offrant des opportunités supplémentaires pour promouvoir l’agriculture française. J’ai d’ailleurs veillé à ce que les spécificités du secteur agricole soient reconnues dans la plate-forme du Conseil européen pour la préparation de cette conférence. Notre agriculture qui est déjà soucieuse de ses émissions de gaz à effet de serre peut se mobiliser encore davantage pour stocker davantage de carbone dans les sols, conduire une sélection génétique pour produire des plantes plus résistantes à la sécheresse, traiter davantage les déchets agricoles avec la méthanisation.
Jamais je n’accuserai l’agriculture d’être à l’origine du réchauffement de la planète. Mais j’ajouterai toujours que l’agriculture peut contribuer à sa diminution. Il faut produire plus et produire mieux, c’est le sens de la stratégie d’agroécologie proposée par Stéphane Le Foll.

Les agriculteurs ne comprennent pas les procès qui leur sont faits par exemple dans des cas emblématiques comme le barrage de Sivens ou la ferme des 1 000 vaches. Quelle est votre position sur ce type de dossier ?
Ma volonté est d’éviter des affrontements. Ces conflits ne servent ni la cause de l’agriculture ni la cause de l’écologie. Nous avons besoin de structures agricoles qui, notamment en matière d’élevage, accueillent des regroupements. Mais nous n’avons pas besoin d’usine d’élevage. Ce serait la pire des images pour l’agriculture française. Donc il doit y avoir un équilibre. Les agriculteurs y sont attachés et ils ne veulent pas se faire imposer un modèle industriel qui ne serait pas le leur.
Sur les barrages et l’approvisionnement en eau, la question n’intéresse pas uniquement les agriculteurs. Elle est posée à l’ensemble des territoires qui connaissent des risques de sécheresse. Nous avons besoin de réserves et d’équipements qui permettent d’approvisionner en eau nos territoires. Pas simplement l’espace rural. Encore faut-il que les projets soient à la bonne taille, sur les meilleurs lieux et qu’ils puissent avoir été concertés pour qu’ils ne soient pas contestés. Il est paradoxal d’attendre qu’un équipement soit presque en chantier pour le bloquer. Et que surviennent en plus des débordements de violence comme à Sivens. A la suite de ce drame, j’ai pris deux décisions. La première consiste à améliorer les conditions du débat public pour ce type d’investissements ; la deuxième vise à réduire les délais. On ne peut pas avoir des projets qui sont décidés à l’année N et qui s’exécutent à l’année N +10, dans la colère et la frustration.

Ne faudrait-il pas davantage de régulation des marchés pour permettre aux agriculteurs de mieux répondre aux exigences environnementales ?
D’abord, la France a obtenu en 2013 une renégociation de la PAC qui était, à bien des égards, inespérée. Autant en ce qui concerne sa place dans le budget européen que ses modalités d’application. Nous avons pu renforcer la régulation des marchés, augmenter le couplage des aides tout en introduisant le verdissement. Mais face à des cours de plus en plus vola-tiles et qui sont insupportables pour beaucoup de producteurs, nous devons, à crédits constants, réguler davantage. Les pouvoirs de la Commission européenne ont été renforcés, elle doit s’en saisir. J’ai donc écrit au président Jean-Claude Juncker pour que des mesures de gestion des marchés soient prises. L’Europe doit adopter rapidement une décision concernant le stockage privé pour la viande porcine pour redresser des cours particulièrement bas et pour compenser les effets de l’embargo russe. C’est la pérennité de nombreuses exploitations qui est en cause.

A ce sujet, après l’accord de Minsk, s’il est respecté, peut-on espérer une prochaine levée de l’embargo russe ?
Depuis plusieurs semaines, j’ai engagé des démarches auprès des autorités russes pour une levée progressive de cet embargo. Si je m’engage autant pour la paix en Ukraine, c’est bien sûr pour que nous en terminions avec une guerre qui a déjà fait plus de 5 000 morts. Mais c’est aussi pour que nous retrouvions des relations amicales et commerciales avec la Russie. J’ai l’espoir que si l’accord de Minsk se confirme — mais nous avons beaucoup d’incertitudes dans cette période — nous puissions aller très vite vers une reprise de nos échanges.

Le troisième chantier concerne les contrôles pour stabiliser les règles, privilégier les contrôles sur pièces par rapport aux contrôles sur place, favoriser la concertation entre administrations et réaliser sans armes les contrôles sur les exploitations. Et en ce qui concerne les nitrates ?
Concernant les nitrates, j’ai demandé aux ministres de l’écologie et de l’agriculture de revoir les extensions de zones vulnérables par rapport à ce qui était prévu en juin. Précisons que ce n’est pas parce qu’un territoire est classé en zone vulnérable qu’il est impossible à une exploitation agricole de travailler. L’exemple m’est souvent donné de l’Allemagne dont l’intégralité du territoire est classée en zones vulnérables mais dont l’agriculture est tout de même compétitive.

Plutôt que de subir de nouvelles réglementations en matière d’environnement, les agriculteurs demandent surtout des alternatives technologiques et scientifiques. Ne devrait-on pas amplifier nos efforts de recherche en matière agricole ?
Oui. Nous avons l’obligation d’investir davantage dans la recherche. Je veux faire de l’innovation un principe fondamental pour notre agriculture. Nous mobiliserons nos centres de recherche qui sont reconnus sur le plan mondial, l’Inra, l’Irstea, le Cirad. Et nous ferons en sorte de mieux diffuser ces innovations. Les agriculteurs seront eux-mêmes associés à ces travaux et à leur application.
Dans cet esprit, je veux proposer une stratégie de recherche agricole qui mettra l’accent à la fois sur la compétitivité et sur l’environnement. Elle établira un lien entre les organismes de recherche, l’industrie française et les professionnels de l’agriculture. L’agriculture de demain, c’est l’agroécologie qui va mobiliser aussi bien l’agronomie que la robotique, le bio-contrôle, les biotechnologies et le numérique. C’est aussi favoriser des démarches plus collectives comme les groupements d’intérêt économique et écologique prévus par la loi pour l’avenir de l’agriculture. Savoir que l’agriculture est un domaine d’avenir sur le plan technologique, c’est aussi, pour les agriculteurs, une fierté et une reconnaissance pour ce qu’ils font déjà. Ils expérimentent, ils inventent, ils innovent. Jusqu’à présent, la politique agricole était une combinaison de soutiens aux produits, de compensation des handicaps, de régulation des marchés. Il y aura un nouveau volet dans la politique agricole : elle portera sur la recherche et le développement des nouvelles technologies.

L’an dernier vous aviez eu un discours très encourageant à l’égard des biotechnologies et des OGM en particulier. Depuis, il ne s’est pas passé grand-chose hormis une directive européenne qui permet à tout pays membre de l’UE de prohiber les OGM sur son sol.
La réalité, c’est que les consommateurs, qu’ils soient français ou européens, sont hostiles aux OGM qui existent aujourd’hui. Ils les considèrent, à tort ou à raison, comme n’apportant pas d’avantages réels mais comportant au contraire des risques pour l’environnement. C’est pour cela que ce sujet constitue l’une de nos lignes rouges dans la négociation commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis. Mais dans la lutte contre le réchauffement climatique, les biotechnologies peuvent nous permettre d’être plus sobres dans la consommation énergétique, de stocker davantage de carbone, de développer de nouvelles méthodes de production. C’est pourquoi notre pays doit poursuivre son effort de recherche publique sur les biotechnologies, ce qui suppose que les chercheurs français puissent faire leur travail en toute sérénité et conserver une expertise sur ces technologies, de manière à éviter leur mauvais usage, voire dénoncer ceux qui les instrumentalisent. L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole. Le Haut Conseil des Biotechnologies sera un lieu utile pour faire partager ces enjeux à l’ensemble des acteurs.

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