«La bio doit être soutenue à la hauteur de ce qu’elle représente»
Le 4 août, l’ABP
et Gabnor cosignaient un communiqué
de presse pour une reconnaissance et
un soutien en faveur de l’agriculture
biologique. Explications avec Nadou Masson, présidente de l’ABP.
«rémunération de reconnaissance» ou de «paiement pour services
environnementaux» à destination des agriculteurs bios.»
Que représente l’agriculture biologique dans les Hauts-de-France ?
Le nombre de conversion n’a jamais été aussi élevé dans les Hauts-de-France. En 2016, 129 agriculteurs ont décidé de convertir au bio 5 806 hectares de terres. Soit une hausse de 136 % par rapport à l’année précédente.
Au total, 721 exploitations produisent du bio, soit presque 2,25 % du chiffre national et 3 % des fermes de la région. 26 600 hectares y sont consacrés, soit 1,24 % de la surface agricole utile régionale. Dans notre région, l’agriculture bio concerne essentiellement les cultures. L’élevage représente un tiers des exploitations, la majorité d’entre elles produisant du lait.
Dans tous les cas, même si l’on progresse, on est, pour l’instant, tout petit. Nous sommes d’ailleurs les derniers en agriculture biologique de toutes les régions de France.
Quelle est la raison de ce communiqué ?
Nous avons souhaité faire ce communiqué à la suite de l’annonce du possible arrêt des aides au maintien de l’agriculture biologique. Dans certaines régions, les enveloppes sont déjà épuisées. Il manquerait en France près de 850 millions d’euros pour financer jusqu’en 2020 l’agriculture biologique. Nous souhaitons donc alerter les pouvoirs publics de cette situation.
Quelles sont actuellement les aides pour l’agriculture biologique ?
Dans le cadre de la Pac, nous avons des aides à la conversion dispensées pour les cinq premières années, ainsi que des aides au maintien sur une même durée. Cela représente une enveloppe totale évaluée entre 150 et 200 millions d’euros chaque année. Ce n’est pas négligeable, mais cela reste insuffisant pour couvrir les besoins. Ensuite, nous avons des aides à l’investissement comme toutes les autres agricultures, mais qui sont majorées pour les aides au bio. C’est ce que l’on appelle les bonifications.
Vous dites que les agriculteurs biologiques ne se sentent plus soutenus par l’Etat. Pourquoi ?
Comme je viens de vous le dire, les aides ne sont pas suffisantes au vu de l’augmentation des agriculteurs qui se convertissent au bio, car les enveloppes prévues n’ont pas été évaluées en tenant compte de cette augmentation. Par ailleurs, les enveloppes au maintien de l’agriculture biologique sont épuisées dans certaines régions alors que le modèle que l’on défend est indispensable, car il répond aux attentes environnementales et de santé publique de notre société. Et, de surcroît, c’est un marché porteur. Or, il ne serait pas normal que le surcoût qu’engendre la bio soit supporté par les consommateurs, car on rend service à toute la collectivité.
Pourtant, l’Etat a décidé de transférer 4,2% des crédits alloués aux aides à l’hectare (pilier I) vers le soutien de secteurs ciblés comme le développement rural, l’installation des jeunes agriculteurs et le développement de la filière bio (pilier II). Cela ne suffira-t-il pas ?
Non, nous ne le pensons pas. Il faudra a minima 10 %. Une fois cela dit, le problème est que l’on ignore encore quelle part exacte reviendra à la bio. L’enveloppe n’est pas fléchée. Conséquence : on ne connaît pas la répartition. Nous reprochons donc au gouvernement de ne pas faire de choix clair.
Ne craignez-vous pas d’augmenter les dissensions entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique en défendant le transfert de ces aides du pilier I au pilier II ?
Notre position est à l’opposé seulement du syndicat majoritaire, mais pas des autres. Ensuite, nous touchons aussi, comme l’agriculture conventionnelle, des aides du pilier I. Autrement dit, on va perdre nous aussi sur ce plan. Ce que l’on attend du gouvernement, c’est un geste fort de sa part sur ce transfert pour qu’il montre ce qu’il veut pour l’agriculture de demain.
Que demandez-vous précisément ?
Nous demandons la mise en place d’une forme de «rémunération de reconnaissance» ou de «paiement pour services environnementaux» à destination des agriculteurs bios, tel qu’exprimé dans le programme de campagne du nouveau président de la République. Nous demandons également qu’un arbitrage ministériel nous assure le soutien financier public des producteurs bios actuels et à venir, à la hauteur des ambitions de développement de ce mode de production. Enfin, nous attendons que le transfert des aides allouées du pilier I au pilier II soit fléché et à hauteur, comme je vous le disais, a minima de 10 %. La bio doit être soutenue à la hauteur de ce qu’elle représente.
La bio, selon vous, est-elle une solution à la crise que rencontre l’agriculture ?
C’est une des solutions, en effet. Ce que l’on peut constater aujourd’hui, c’est que les agriculteurs biologiques s’en sortent mieux que les agriculteurs conventionnels. Les bienfaits de ce mode de production ne sont plus à démontrer pour le bien-être des paysans eux-mêmes et de la rentabilité de leur ferme, pour la santé des consommateurs, pour l’eau, l’air, les sols, ainsi que la faune et la flore considérés en bio comme des partenaires sur lesquels construire une nouvelle relation au vivant, plus résiliente, intensive en emplois locaux et non délocalisables, plus rentable économiquement, capable de réduire l’impact agricole sur le climat. Autrement dit, la bio est une solution d’avenir réconciliant notre agriculture, notre alimentation, notre économie et notre environnement.
Aussi la disparition des aides à la bio serait-elle injuste pour les bénéficiaires actuels, qui ont fait le choix d’un mode de production «positif» pour la société et l’environnement, et porterait un coup majeur au développement de l’agriculture biologique en restreignant drastiquement l’effet incitatif de ces aides. C’est pour cela que nous avons décidé d’alerter les pouvoirs publics et l’opinion, et que des actions pourront être prévues, s’il le faut.